André Antoine: «Les députés ont peur de légiférer»

Le parlement wallon est en vacances après une année intense et chahutée. L’occasion de tirer un bilan avec André Antoine (CDH), le président parfois critiqué d’une assemblée qui doit elle aussi digérer la sixième réforme de l’Etat et son afflux de nouvelles matières régionalisées. L’asymétrie entre les majorités au fédéral et en Wallonie explique-t-elle ce climat difficile au parlement wallon ? Les hommes politiques s’accommodent en effet mal de cette situation. Mais ils l’ont pourtant voulue en faisant évoluer les structures de l’Etat. Dans un état fédéral, cette asymétrie était prévisible. Elle est normale. Mais reconnaissons que la concertation est à bout de souffle. Même au niveau de la conférence des présidents d’assemblée à laquelle je participe. Siegfried Bracke, le président N-VA de la Chambre, vient de la tuer avec la polémique sur le statut du parlementaire. Pour cette instance mais aussi pour le comité de concertation entre les gouvernements, je plaide pour des présidences tournantes. Bracke est un président parmi d’autres, pas le président de tous les présidents. Les crises entre niveaux de pouvoir portent parfois sur l’essentiel : les finances par exemple… C’est normal aussi parce que le financement public est en panne en Belgique et en Europe. Voyez l’incompréhension autour des exigences européennes, les normes SEC. La requalification des politiques publiques m’a coûté très cher, on ne voulait pas me croire. J’en ai encore mal aujourd’hui, pas pour moi, mais pour la Wallonie… Sans compter que nous sommes en litige quasi permanent avec le fédéral sur les recettes fiscales ou la trajectoire budgétaire. La Cour des Comptes devrait pouvoir vérifier que les mesures prises à un niveau de pouvoir ne puissent pas en mettre un autre en difficulté. [scald=1821091:sdl_editor_representation] Quelle appréciation portez-vous sur l’attitude souvent agressive du MR, même à votre égard ? Entre 1988 et 2016, le MR a été au pouvoir pendant cinq ans à peine en Wallonie. Je comprends vraiment la frustration qui peut habiter la génération d’hommes et de femmes politiques qui ont traversé cette période. Mais je leur dis aussi que l’opposition est vitale pour un parlement et pour la démocratie. A condition d’être une force de proposition et pas uniquement de contestation. Le parlement wallon a mis en place des procédures de participation citoyenne. Quel est le bilan ? Satisfaisant pour les avis du public sur les textes en débat, mais deux demandes de pétition à peine ont été déposées, ce n’est pas beaucoup. Il faut que l’habitude s’installe, relancer l’information des citoyens. Cela prendra du temps. Mais il faut aussi rester prudent et fixer des limites : le politique n’est pas forcément nul et le citoyen forcément expert. La perspective de consultations populaires prend forme en Wallonie. C’est utile, mais ce n’est pas la panacée. D’ailleurs, le travail législatif n’est pas achevé, loin de là. Il faut travailler sur l’organisation pratique. Gare aux effets d’annonce ! Une de vos obsessions, c’est d’ouvrir le parlement… Bien sûr ! Même les missions parlementaires, autrefois si décriées, ont un sens si elles sont bien préparées et sont une contribution au travail d’instruction des dossiers que nous traitons. Je plaide aussi pour des contacts fréquents avec les assemblées de Flandre et de Bruxelles. Savoir comment les voisins légifèrent, cela m’intéresse. La Flandre vient de dépouiller les provinces d’une grande part de leurs compétences. Le parlement wallon devrait s’intéresser à cette décision. Je vous annonce au passage que le parlement wallon vient de conclure un accord de collaboration avec le Sénat, nouvelle mouture. C’est une première. Où en sont les discussions sur l’agenda avec le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Nous avons obtenu de pouvoir travailler à Namur les jeudis après-midi et les vendredis. La semaine de cinq jours, nous y sommes ! La session parlementaire s’est achevée sur trois journées intenses, au terme d’une année très chargée. Est-ce tenable ? De quoi parle-t-on ? Nous terminons l’année avec plus de 8.000 questions aux ministres. Il s’agit en théorie de contrôler le gouvernement, mais dans la réalité, on lui demande son avis sur tout et sur rien. Il faut devenir plus raisonnable, même si la disparition quasi-totale des questions locales est une première victoire. Même chose pour les auditions d’experts : 350 en un an, c’est l’overdose. Pour soulager les ordres du jour, je propose la disparition des motions et un usage plus mesuré des propositions de résolution à travers lesquels on demande au gouvernement d’être attentif à un sujet… Mais que reste-t-il alors ? Le travail législatif, bien sûr ! Cette année, les parlementaires ont à peine produit 22 propositions de décret. C’est trop peu ! Les députés doivent oser légiférer. L’audace de l’acte législatif, c’est la grandeur de ce métier. J’essaye de montrer l’exemple. Et un échec n’est jamais une défaite. Ma proposition sur le panachage électoral m’a valu de grosses critiques, mais je ne compte pas en rester là. L’élu doit militer pour les causes auxquelles il croit, cela ne débouche jamais sur une défaite totale. Le parlement wallon doit jouer l’offensive. Les députés de la majorité ne doivent pas craindre de heurter leur partenaire ou de souligner une division, ceux de l’opposition ne doivent pas avoir peur d’un échec. Toute proposition mérite débat. Au fond, quel genre de président d’assemblée êtes-vous ? Dès mon installation en 2014, je l’ai dit : j’ai des ambitions pour ce parlement, je serai un président politique, pas un magistrat ou un prépensionné. Je suis bien sûr garant de l’organisation des débats et du respect du règlement, mais je m’exprime à travers des propositions de décrets : notre règlement ne prévoit pas que mon groupe, le CDH, soit privé de l’expression d’un de ses membres. Je m’investis aussi dans des initiatives parlementaires fortes : la commission du renouveau démocratique ou celle sur les questions européennes. Le travail porte ses fruits : le parlement wallon est à la pointe dans le débat sur les traités internationaux. Nous avons reçu des messages de toute l’Europe. Les critiques sur votre fonctionnement vous touchent-elles ? Le plus énervant, c’est quand les critiques portent sur le passé et mon travail de ministre. Je ne peux pas répondre. Le reste m’indiffère, les jugements sont souvent prononcés dans un coup de fièvre. A tête réposée, le discours change : en quittant le parlement, Georges-Louis Bouchez m’a rendu hommage, alors qu’il ne m’avait pas épargné… En fait, ce qui dérange, c’est l’homme politique, pas le président. Et je resterai un homme politique.

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