A travers champs, dans la vallée de la Pede

Sous une chaleur éreintante, je prends mon courage à deux mains et enfile mon short de randonneuse. Je vais loin, très loin. Tout au bout de la ligne 5, direction Erasme, jusqu’à la station Eddy Merckx. En sortant du métro, j’ai du mal à imaginer une balade agréable. Le guide me promet des champs, des vaches et une réserve naturelle mais je suis au beau milieu de la zone commerciale désertique d’Anderlecht, entre un Quick et un Décathlon. Très vite, les choses s’arrangent et je découvre un petit quartier peuplé de retraités qui mangent et boivent sur les terrasses de quelques petits troquets, avenue du Soldat Britannique à Anderlecht. Je me perds un peu et fais la rencontre d’un personnage des plus abjects. Environ 70 ans, désireux de converser, j’en profite pour lui en demander un peu plus sur la vie du quartier. Je reçois en pleine face un discours raciste, des amalgames, de fausses généralités que je ne prendrai pas la peine de rapporter. « Et puis une jeune fille comme vous s’est fait violer et on l’a retrouvée morte il y a quelques semaines, là, à quelques mètres vous vous rendez compte ! », me dit-il alors que je m’apprête à marcher seule, en short, tout l’après-midi. Merci. J’abrège cette conversation et continue ma marche. Très vite, je me retrouve effectivement en pleine campagne. J’arrive aux abords d’une prairie et aperçois des serres, et trois hommes en train de travailler la terre sans machine. J’ai déjà vu ça quelque part. C’était à Watermael-Boitsfort, à la Ferme du Chant des Cailles : un projet d’agriculture participative, locale et durable. Je lis la petite pancarte que je rencontre et réalise qu’il s’agit à peu près de la même initiative. La commune d’Anderlecht a mis ce terrain à la disposition de l’ASBL Le début des haricots. Il s’agit d’un espace test, où plusieurs paysans s’exercent à la production durable de légumes de saison. Pas de pesticides, pas de machines, tout est pensé pour revenir à une agriculture responsable qui prend soin de la terre et de la santé de ceux qui consommeront ces légumes. Cette vision me réjouit et me fait vite oublier ma mauvaise rencontre. Paysage contrasté Je traverse ensuite une partie de la réserve naturelle du Vogelensangbeek. À travers un large tapis d’herbes hautes, j’avance à travers un paysage particulier, entre nature et pylônes à haute tension géants, avec une barre d’immeuble imposante à l’arrière-plan. En sortant de la réserve, je déambule dans une rue déserte bordée de petites maisons qui semblent à l’abandon. La vision d’une vieille caravane délabrée garée devant une espèce de grange me donne l’impression d’être au fin fond du Texas. Je continue dans un paysage très rural. Des champs, des vaches… Le guide me fait traverser un champ de maïs. J’arrive dans une nouvelle petite rue avec quelques maisonnettes. Un petit chien me suit et semble vouloir m’amener jusqu’à Henriette, sa maîtresse, avec qui je discute quelques minutes. Elle passe ses journées à entretenir son petit jardin fleuri. Je continue et le guide me fait vivre une véritable aventure. Il m’indique d’emprunter un sentier « plutôt étroit ». En fait, tellement étroit que je me demande si c’est un sentier. Il n’a visiblement pas été entretenu depuis très longtemps et je dois faire des enjambées dignes de Lara Croft pour éviter les orties qui finiront quand même par me piquer les jambes. Je fais demi-tour puisqu’au bout d’un moment il m’est tout simplement impossible d’avancer. J’arrive ensuite dans une zone qui n’a rien à voir avec le paysage rural que je viens d’arpenter pendant une heure. Routes mortes, bâtiments en travaux, le campus Erasme désert de ses élèves… Je me dirige vers la rue du Chaudron qui me mènera jusqu’au parc de la Pede. Passée une nouvelle zone de travaux, je retrouve le décor champêtre de tout à l’heure. Je suis surprise et enchantée lorsque je découvre le lac du parc, les canards et les cygnes, les promeneurs qui profitent du 21 Juillet loin de l’agitation du centre-ville. J’ai l’impression d’un lieu de vacances idéal pour se couper de la ville pendant quelques jours. Je décide de m’arrêter dans un restaurant, le Châlet de la Pede, qui m’attire avec sa terrasse ombragée. Je commande un croque-monsieur et une bière blanche pour me sauver de la chaleur ambiante et profite de l’ombre des parasols en contemplant le lac. Autour de moi, des retraités m’expliquent qu’il s’agit un peu de leur cantine.« On vient une fois par semaine. Les moules sont délicieuses et le cadre est magnifique. On habite juste à côté et on peut venir à pied. » La terrasse respire l’apaisement et appelle à la détente mais il est déjà 15h et je dois me remettre en route. « On the road » Je continue de contourner le lac puis emprunte un sentier à travers champs. Je m’arrête pour photographier les vaches et leur regard innocent qui m’a toujours fascinée. [scald=1824362:sdl_editor_representation] Je découvre un deuxième espace mis à la disposition de l’ASBL Le début des haricots. Cette fois, c’est un homme seul qui s’affaire à la faucille, la peau rougie par le soleil brûlant. Un peu plus loin je rencontre un jeune homme, le teint bruni, les cheveux blonds et sales. Il avance d’un pas à la fois rêveur et assuré. Il ne semble même pas fatigué par le poids de son énorme sac à dos. Je ne peux m’empêcher de lui parler. Parce qu’il ressemble à ces baroudeurs qui n’ont peur de rien, qui sont avides de voyages, de rencontres, et n’ont que faire du confort, de l’hygiène, de l’argent. J’ai vu juste. Il s’appelle Max, il a 27 ans et il vient d’Helsinki en Finlande. Il a le projet fou d’arriver jusqu’en Espagne en faisant du stop « et pourquoi pas pousser jusqu’au Maroc ensuite, si j’ai assez d’argent pour prendre le bateau », me dit-il en souriant. Il est très énergique. Il profite de cette pause pour rouler une cigarette, et me raconte pourquoi il a décidé de se lancer sur les routes. « A Helsinki, je trouve la vie superficielle. Plus je vais vers le Sud, mieux je me sens. Tout est plus chaleureux et surtout les gens », m’explique-t-il dans un anglais parfait. « Hier soir, je buvais des bières tout seul dans le centre de Bruxelles et j’ai rencontré un type qui m’a hébergé chez lui. il n’habite pas loin, là-bas. Du coup je découvre le coin, et je suis étonné qu’on soit encore à Bruxelles ! » Il me dit trouver les Belges particulièrement accueillants. Il n’a pas encore essayé de partir. Il a l’impression qu’il doit rester encore quelque temps et davantage découvrir la région. Après avoir partagé notre admiration commune pour Jack Kerouac et Sur la route – qui a d’ailleurs donné l’impulsion à Max de démarrer son voyage – nous nous quittons, enchantés par notre conversation. [scald=1824363:sdl_editor_representation] Je passe brièvement par Dilbeek puis je retrouve Anderlecht et passe devant un drôle de moulin en bois. Si j’avais dû donner un thème à cette balade, il aurait été la rencontre entre ruralité et paysage urbain. À côté du moulin, un préfabriqué tagué offre un drôle de contraste. Je continue mon chemin et découvre une véritable utopie. Une petite cabane en bois, un jardin potager, un parasol et du reggae. Un vieux monsieur arrose ses légumes avec un tout petit arrosoir. Il me montre sa maison, juste en face du trottoir, et me raconte qu’il cultive ce petit bout de terre depuis plus de vingt ans. Le guide me fait ensuite passer par un deuxième sentier impossible et mes jambes seront à nouveau rayées par les herbes et piquées par les orties. Je repasse avec surprise devant le Chalet de la Pede, le restaurant où j’ai mangé plus tôt. Street art Cette fois-ci je me dirige de l’autre côté du parc, et j’aperçois avec surprise les viaducs du ring couverts de peintures et de tags. J’ai déjà entendu parler de ce lieu si particulier où les artistes peuvent venir s’exprimer à loisir. [scald=1824364:sdl_editor_representation] Deux hommes d’une quarantaine d’années me demandent si j’ai déjà tout regardé. Je leur réponds que je viens d’arriver et que c’est la première fois que je viens. « On cherche un tag avec un chat, sans poil. Enfin, une espèce de Sphinx ! Tu l’as pas vu ? » Ils ne sont pas à la recherche d’un Pokémon. Ce sont des amateurs qui ont entendu parler de ce nouveau tag et qui veulent absolument le voir. « C’est un art à part entière, c’est hyper impressionnant, surtout dans un endroit comme celui-là », me dit l’un d’eux. J’admire certaines œuvres avant de continuer vers la fin du parcours. Je passe par le parc des Etangs et comprends, à la vue des buildings et des centres commerciaux qui l’entourent, que je fonce tout droit vers la ville. Les rues sont désertes. Je retrouve la ligne 5 et termine ma balade avec un sourire satisfait. Elle est pour l’instant celle que j’ai préférée. En tout cas la plus surprenante. Je n’ai croisé personne en train de jouer à Pokémon Go sur ma route et cela m’a quelque peu rassurée par rapport à l’avenir de l’humanité. Hormis les deux sentiers mal entretenus qu’il vaut mieux ne pas emprunter, je conseille vivement cette randonnée numéro 6, qui donne l’impression d’avoir fait plusieurs heures de voitures pour arriver en pleine campagne alors que l’on se trouve dans la commune d’Anderlecht. Mode d’emploi A l’écoute des Bruxellois : Une jeune Française installée à Bruxelles depuis maintenant un an part à la découverte de la Région. Avec elle : son carnet, son appareil photo et le Topo-Guide Randonnées en boucle à Bruxelles et dans sa périphérie pour lui indiquer le chemin à suivre. Au fil de ses promenades, elle s’arrêtera pour rencontrer ceux qui font la magie de Bruxelles : les Bruxellois, et écouter leurs histoires. Topo-guide « Randonnées en boucle à Bruxelles et dans sa périphérie », Henri Corne, 240 pages, édition GR sentiers 2014

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