Souviens-toi l’été dernier: le 28 juillet 1995, Le géant belge de la bière hissé «numéro 4» mondial

Le principe de notre série estivale « Souviens-toi l’été dernier » (dont le titre est emprunté au film d’horreur de Jim Gillepsie, sorti en 1997 sous le titre « I Know What You Did Last Summer ») : chaque jour, à partir de ce vendredi 8 juillet, on se replonge dans l’actualité de l’année précédente, selon un schéma tout simple. Un jour de plus, une année en moins. Ou plus on avance dans l’été, plus on recule dans le temps. Souviens-toi l’été dernier quand on se demandait si Interbrew avait les moyens de ses ambitions mondiales ? Les actionnaires du brasseur canadien Labatt ont accepté l'offre d'achat du groupe Interbrew. Coût de l'opération : 56 milliards. Il n'y pas eu de surprise de dernière minute. La plus grosse opération de rachat jamais lancée par une société belge, le groupe brassicole Interbrew (Jupiler/Stella Artois) en l'occurrence, s'est soldée par une réussite totale, puisque plus de 99 % des actionnaires de la société canadienne John Labatt Ltd ont répondu positivement à l'offre publique d'achat lancée le 6 juin dernier. Une OPA qui hisse haut notre géant de la bière, puisque l'ensemble Interbrew/Labatt, avec plus de cinquante millions d'hectolitres par an, fait désormais partie du club des quatre premiers producteurs mondiaux. Loin derrière l'américain Anheuser/Busch (plus de 100 millions d'hectolitres), mais quasiment à égalité avec le néerlandais Heineken (56 millions) et l'autre américain, Miller/Molson (52 millions). Au sein du nouveau groupe, la production se répartit de manière assez égale entre les sites de production canadiens, belges et mexicains. En Belgique, Interbrew détient 60 % du marché, alors que la part de Labatt, au Canada, frôle les 45 %, comme Femsa Cervesa - filiale à 22 % du canadien - au Mexique. Dès l'annonce de la réussite de l'opération, un état-major a été mis en place pour superviser l'ensemble des activités de la nouvelle entité. L'«l'Office du Président», c'est son nom, se compose de cinq personnes : le président, Paul de Keersmaeker, l'actuel président du conseil d'administration d'Interbrew, deux vice-présidents, Hans Meerlo, l'administrateur-délégué d'interbrew et son alter ego de Labatt, George Taylor, et deux «chief operating officer», John-ny Thijs et Hugo Powell. Soit trois «Belges» - si on naturalise le Néerlandais Hans Meerlo - et deux Canadiens. Le premier objectif de l'OPA lancée à l'initiative de Hans Meerlo était de donner au groupe belge la dimension mondiale. Au départ, précise le dirigeant d'Interbrew dans un communiqué, j'estimais qu'il nous faudrait trois ans pour placer la société à un niveau mondial, mais je suis très heureux que nous ayons réalisé cette tâche en deux ans. Le groupe a-t-il les moyens de ces ambitions mondiales ? Le prix à payer (56 milliards) pour Labatt est jugé trop élevé par certains, pour un groupe non coté en bourse et qui doit financer l'opération en vendant certains de ses actifs (Chaudfontaine ?) et par emprunts. Le groupe est désormais solidement implanté des deux côtés de l'Atlantique. Sur la rive européenne, le brasseur louvaniste est présent en Belgique, en France et aux Pays-Bas, ainsi qu'en Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie et en Croatie. Une filiale commune a également été constituée en Chine, avec le brasseur Zhu Jiang. Labatt, de son côté, occupe des positions de premier plan non seulement au Canada, mais aussi aux Etats-Unis et au Mexique. Le brasseur canadien écoule aussi une partie de sa production de ce côté-ci de l'Atlantique, avec des filiales au Royaume-Uni et en Italie. Ces deux implantations seront intégrées dans la zone Europe/-Asie/Afrique et passeront sous la responsabilité directe d'Interbrew. En prenant pied en Amérique du Nord, le deuxième objectif de Hans Meerlo était d'y renforcer la distribution des diverses bières du groupe belge. Non seulement des marques «phares» du groupe, mais aussi et surtout des bières spéciales, telles que la «Leffe», la « Blanche de Hoegaarden» ou la gueuze «Belle-Vue». Notre force provient de notre portefeuille de marques internationales reconnues, de nos marques régionales importantes et de la diversité de nos types de bières, explique Paul de Keers-maeker. Nous continuerons à bâtir notre succès en suivant cette stratégie. Ce sont les Canadiens qui vont prendre en main la distribution des bières belges en Amérique du Nord. Avec une priorité pour les «spéciales». Si les Canadiens sont des grands consommateurs, avec 80 litres par habitant (110 pour les Belges), leur goût les porte surtout vers les bières ordinaires (95 % de leur consommation). La prise de contrôle de Labatt pourrait donc influencer directement le volume de la production - et peut-être de l'emploi - en Belgique. Du jamais vu en Belgique ! Alors que le seuil minimal de succès était fixé à 66,6 %, ce sont plus de 99 % des actionnaires de John Labatt qui ont accepté les conditions de l'OPA lancée par Interbrew il y a sept semaines. Ils ont donc estimé suffisant le prix proposé par le groupe belge, soit 28,5 dollars canadiens, alors qu'ils avaient renaclé lors de l'offre formulée en mai dernier par le Néerlandais Heineken. Qui n'offrait, il est vrai, que 22,5 dollars. Le succès est donc total pour Hans Meerlo, l'administrateur délégué d'Interbrew et le promoteur de cette opération. Avec, comme conséquence, que le brasseur belge devra payer le prix plein pour cette acquisition. Soit 56 milliards de FB. Un tel montant, unique dans l'histoire des OPA lancées par des sociétés belges, ne manque pas de susciter des interrogations quand on sait qu'Interbrew (voir notre dossier dans «Éco-Soir» du 23 juin dernier) est un groupe familial et que, non coté, il peut difficilement faire appel à l'épargne publique pour renforcer ses moyens financiers. Certes, les activités non brassicoles de Labatt doivent être cédées à des tiers et, du reste, son réseau télévisé (quatre chaînes et des maisons de production) a déjà trouvé acquéreur pour un montant qui devrait approcher les 13 milliards de FB. Reste à vendre l'équipe de football américain de Toronto et les parts de Labatt dans le stade géant de la métropole canadienne. De son côté, Interbrew cherche depuis un certain temps un acheteur pour sa filiale Chaudfontaine et pourrait également céder sa participation de 34,8 % dans Spadel. Quelques milliards pourraient donc s'ajouter aux treize déjà acquis. Sans compter les réserves propres d'Interbrew, supérieures à dix milliards. Le reste, entre 25 et 30 milliards de FB, sera financé par emprunt. Des emprunts qu'il faudra bien rembourser un jour. Interbrew est-il capable d'y faire face ? Au siège d'Interbrew, on met en évidence le haut niveau de la rentabilité et de la capacité d'autofinancement tant d'Interbrew que de Labatt. Du côté des analystes financiers, on ne juge pas l'opération particulièrement risquée d'un point de vue financier : Interbrew et Labatt dégagent un cash-flow considérable, estime Andy Smith, analyste spécialiste du secteur brassicole chez Howard Govett (Londres). Les deux brasseurs sont tous deux dominants sur leurs marchés nationaux; et le marché canadien est protégé de la concurrence extérieure, surtout américaine, ce qui garantit la stabilité du cash-flow de Labatt, ajoute John Wakely, de la firme londonienne Lehman Brothers. Même le prix ne leur paraît pas trop élevé, même s'il se situe dans le haut de la fourchette, concède Andy Smith. Le risque est plutôt de long terme et de nature stratégique. C'est sur ce point que je suis sceptique, explique John Wakely : Que peut faire Interbrew de Labatt ? Je ne vois guère de synergies entre les deux brasseurs. En revanche, précise Andy Smith, Labatt possède un fort potentiel sur certains marchés européens, dont la Grande-Bretagne. Interbrew saura-il le faire fructifier, alors que le marché de la bière, qui a beaucoup fléchi ces cinq dernières années, a atteint un plateau, mais ne devrait pas connaître un fort développement, même au Canada ? Et John Wakely de conclure : Interbrew doit maintenant se demander comment accroître le potentiel de Labatt, plutôt que de se concentrer sur un risque financier qui me semble, comme je l'ai dit, surestimé. Autant de questions auxquelles les responsables du groupe répondront dans un mois, à l'occasion de conférences de presse organisées tant à Toronto qu'en Belgique. Suite de notre série demain, le 29 juillet 1994

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