Musique de film, entre accords et désaccords
Le Brussels Film Festival met à l’honneur le genre avec un ciné-concert et un speed-dating. L’occasion de se pencher sur les codes de ce domaine si crucial pour un film.

Que seraient Les dents de la mer sans les sons stridents de violons qui vous filent la peur au ventre ? Ou encore Le Parrain sans sa fameuse sérénade ? Depuis toujours, cinéma et musique possèdent un lien particulier. Que ce soit dans les films muets, où la musique remplaçait purement et simplement les dialogues, ou dans les films contemporains, où elle participe à l’atmosphère. La bande originale d’un film nourrit son histoire, induit des émotions et un rythme particulier.
Autant de caractéristiques qui la rendent essentielle… et par conséquent complexe et parfois polémique. Il n’y a pas une musique de film, mais presque autant de façons de procéder qu’il y a de réalisateurs ou de compositeurs. Lors de la sortie d’Inglourious Basterds, Quention Tarantino déclarait qu’il était pour lui « hors de question » de confier la création d’une partition originale à quelqu’un. « L’idée de laisser autant de pouvoir à quelqu’un d’autre sur mon œuvre est impensable. Je préfère travailler avec un éditeur et des morceaux qui existent déjà plutôt qu’avec un compositeur ! » S’il nuance depuis son propos (la BO de Django Unchained allie morceaux préexistant et créations), sa position démontre bien la difficulté de la tâche. Tarantino n’est pas le seul à craindre d’être dépossédé de son œuvre s’il confie une partie de la création à quelqu’un d’autre. « Je ne confie rien, explique de son côté Claire Denis1 (Beau travail, Vendredi soir). On ne peut pas confier un film à quelqu’un. Je veux bien me confier (au musicien), mais pas mon film… Le film n’est pas un enfant que je donne à garder ! »
De son côté, Alfred Hitchcock avait carrément mis fin à son association légendaire avec Bernard Herrmann en interrompant les sessions d’enregistrement du Rideau déchiré, pour des raisons qu’il n’expliqua jamais, ce qui plongea le compositeur dans une profonde dépression. Pourtant, la collaboration entre réalisateur et compositeur est devenue peu à peu la règle à partir des années 1950.
Ce domaine, que l’on comprend crucial mais aussi particulièrement complexe, est en fait surtout lié à la perception. « Personnellement, je trouve qu’il n’y a aucun lien précis entre la musique et l’image, déclarait Vladimir Cosma en 2013². Je n’aime pas les musiques qui expriment ce qui est évident. Ça me semble inutile et redondant. La musique devrait exprimer ce que le texte, l’image, le bruitage ne peuvent pas exprimer. Comme une sorte d’expression poétique supplémentaire. »
À l’opposé, certaines bandes originales peuvent parfois influencer le tournage ou le montage d’un film… et jusqu’à même remplacer la direction d’acteurs. C’est ce qui se passa par exemple sur le tournage d’Un homme et une femme. Claude Lelouch avait commandé à l’avance une musique à Francis Lai et c’est cette dernière qui a guidé toute la construction du film et du tournage. « Quand je manquais de mots, je passais la musique du film sur le plateau et elle semblait dire aux acteurs ce que je n’aurais jamais pu leur dire, explique le réalisateur. Ils ne bougeaient pas de la même façon, même chose pour leur démarche et leurs regards. »
Une musique qui a évolué avec le temps et qui s’inscrit aujourd’hui souvent pleinement dans notre époque. Dans une interview accordée au Guardian cette semaine, Ennio Morricone, maître du genre, déclarait cependant qu’aujourd’hui « trop de films (étaient) ruinés par une musique ratée. Les sons synthétisés sont de plus en plus présents dans les films. C’est un réel problème. Ils dénaturent l’intensité du film. On ne ressent rien en les écoutant. J’en ai beaucoup souffert en regardant de nombreux films ».
Pourtant, de jeunes talents émergents participent justement à l’anoblissement de la musique électronique grâce à leurs compositions ! On pense notamment à Apparat, qui a collaboré à la BO de Laurence Anyways de Xavier Dolan, à Nils Frahm, ou encore à Nicolas Jaar, jeune prodige américano-chilien à qui Jacques Audiard a confié la bande originale de Dheepan, Palme d’or à Cannes. Deux mondes, deux conceptions de la musique de film. Et sans doute une infime partie des choses passionnantes qu’il nous sera encore donné de découvrir.
1 et ²Cinéma et musique, accords parfaits aux éditions Les impressions nouvelles.
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