Pour les théoriciens du complot, Pokémon Go est lié à la CIA

Les questions, voire les inquiétudes sont légitimes. Au vu du succès mondial de l’application Pokémon Go, la question de la vie privée doit venir à l’esprit de chaque joueur. Sauf que certains sites, membres de ce que l’on appelle la « complosphère », surfent sur ces inquiétudes en partageant de fausses nouvelles. Pokémon Go, jeu au concept assez novateur (génial, diront ses fans…) de réalité virtuelle, suscite des tas de questions. L’application a notamment accès à l’appareil photo de votre smartphone. Comme le montre un article très complet du Monde.fr, une constellation de sites plus ou moins sérieux comme Sputniknews.com (un média de propagande russe), étayent une théorie du complot déjà très partagée. Joueur de Pokémon Go, tremblez ! Le cheval de Troie est dans la place : vous avez ouvert votre téléphone à… la CIA. « L’application vous félicite pour votre premier succès parce qu’elle sait comment il est important pour le joueur d’être encouragé, raconte Sputniknews. Puis, elle requiert que vous filmiez vos premiers Pokémon captés de tous les angles – et obtient donc les photos de votre appartement en détail, y compris les coordonnées et l’angle d’inclinaison du smartphone. » Des photos de votre appartement ? Cela fait froid dans le dos. Mais le site va plus loin : « Imaginez-vous cela : le renseignement veut savoir ce qui se passe actuellement, par exemple… au Palais de l’Elysée. Et une minute plus tard les députés, les journalistes, les employés qui s’y trouvent sont tous rivés sur leurs portables qui leur signalent qu’un certain nombre de Pokémon sont dans la place… » L’info est aussi reprise par d’autres sites, encore plus loufoques, tels Infowars.com ou Nouvelordremondial.cc. Entre un article sur un Ovni et un autre qui pose cette question considérable : « Donald Trump est-il un extraterrestre ? » A tel point que le site d’informations ludiques Démotivateur s’est amusé de toutes les théories les plus invraisemblables. Selon le site conspirationniste américain Infowars.com, « le logiciel de réalité augmentée change les smartphones en sondes impérialistes » car, c’est connu, « Pokémon Go est lié à la CIA ». [scald=1939406:sdl_editor_representation] La réalité est en fait plus nuancée que cela. Tentons d’y voir clair en sept points. 1. Pokémon Go n’a pas accès au micro de votre smartphone Cette première affirmation est la plus facile à battre en brèche. Non, Pokémon Go n’a pas accès au micro du téléphone, donc pas à vos conversations. L’appli demande bien, au moment de son installation, accès à plusieurs fonctionnalités. Elles sont indispensables au fonctionnement du jeu. On pense ici à la géolocalisation et à l’appareil photo (c’est à travers son objectif que vous voyez apparaître les Pikachu et autres Bulbizard). 2. Pokémon Go ne divulgue pas vos données personnelles aux autorités… … jusqu’à preuve du contraire. Sputniknews a vu rouge à la lecture de ces conditions d’utilisation de Pokémon Go, publiée par l’éditeur du jeu, Niantic : « Nous coopérons avec le gouvernement, les autorités compétentes ou des parties privées pour appliquer et respecter la loi. Nous pouvons divulguer toute information vous concernant (ou votre enfant autorisé) en notre possession ou sous notre contrôle au gouvernement, aux autorités compétentes ou aux parties privées. » « Nous coopérons avec le gouvernement » : n’est-ce pas un aveu que nos données personnelles sont la proie de ‘Big Brother’ ? Deux réponses à cela. 1) Niantic coopère bien avec les autorités, mais dans des cas spécifiques qui sont listés dans la charte. Répondre à une injonction judiciaire ou arrêter une activité illégale, par exemple. 2) Niantic ne stocke pas, a priori, vos données personnelles en vue de les transmettre à des tiers. Auquel cas elle violerait ses conditions d’utilisation. Une distinction est clairement établie entre les informations « agrégées » et les données « personnelles » : « Nous pourrions partager des informations agrégées et non signalétiques avec des tiers, pour ce qui relève de la recherche et de l’analyse, du profilage démographique, et à d’autres fins similaires. Elles n’incluraient en aucun cas vos données à caractère personnel », écrit Niantic. Par « informations agrégées et non signalétiques », comprenez : l’entreprise pourra savoir que « tant de personnes étaient au parc Royal de Bruxelles, de telle à telle heure… » On pourrait rétorquer que des entreprises du Web ont déjà, par le passé, enfreint leurs propres conditions d’utilisation. Mais rien, à ce jour, ne permet d’affirmer que Niantic ment à ses utilisateurs. Pokémon Go ne divulgue donc pas vos données personnelles aux autorités… jusqu’à preuve du contraire. 3. Pokémon Go ne diffuse pas « des photos de votre appartement »… … ni de l’intérieur du Palais de l’Elysée. Même réponse qu’au point précédent : Niantic a bien accès à l’appareil photo de votre téléphone. Mais, premio, cet accès à l’appareil est nécessaire à l’application. Secundo, comme l’écrit Le Monde, « il n’est à aucun moment question de stocker ou de diffuser à un tiers des photos prises à l’intérieur de l’appartement du joueur ou des données issues du micro du téléphone. Fournir de telles images ou enregistrements sonores aux autorités contreviendrait donc à ses conditions d’utilisation. » 4. Pokémon Go n’a pas accès à vos e-mails C’était une vraie question : certains internautes s’étaient logiquement émus de voir l’appli Pokémon Go demander un accès intégral aux données du compte Google (autrement dit, les mails, les contacts…). Cet accès était une erreur et Niantic s’en est expliqué. Niantic n’a jamais eu accès à toutes ces informations, mais pouvaient simplement connaître le mail et le numéro de téléphone de l’utilisateur. Une mise à jour a depuis changé cela. 5. Un leader des théories du complot n’a pas appelé à boycotter Pokémon Go Encore une information complètement erronée, que l’on peut notamment lire sur Nouvelordremondial.cc. [scald=1939405:sdl_editor_representation] David Icke, un expert reconnu, appellerait à ne pas utiliser Pokémon Go, y voyant « une application militaire ». La vidéo censée expliquer tout cela, en anglais, n’évoque en fait pas un seul instant le jeu… De toute manière, le David Icke en question n’est pas une référence : « Ancien gardien de but et présentateur télé, David Icke est devenu mondialement connu dans les années 1990, quand il a commencé à dénoncer le complot secret des reptiliens », explique Vice.com, qui est allé le rencontrer. 6. Rien ne prouve que Pokémon Go est dirigé en sous-main par la CIA La tentation est grande, notamment après les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance de masse, de voir la main des agences américaines de renseignement partout. C’est ce qu’avance Sputnikniews dans son article. Selon les tenants de cette théorie, le fondateur de Niantic est un certain John Hanke. Cet homme a également cofondé une autre entreprise, Keyhole. Cette firme a été rachetée par Google en 2004. Elle avait, avant cela, reçu un financement d’In-Q-Tel, un fonds d’investissement géré par la CIA. Avouons que les liens sont ténus pour affirmer que Niantic est le jouet de la CIA… 7. De vraies questions autour des partenariats commerciaux On l’a dit : la question de la vie privée est importante quand une application obtient un tel succès. Pourtant, les sites complotistes préfèrent voir la main de la CIA au lieu de s’intéresser à l’aspect le plus pertinent de la chose. A savoir, l’exploitation de données personnelles à des fins commerciales. Comme le note un article fort intéressant du gendarme de la vie privée française (la CNIL), un jeu gratuit ne l’est jamais vraiment. Et Pokémon Go n’échappe pas à la règle. « La collecte de données dans le smartphone sera donc toujours d’une manière ou d’une autre centrale dans ce modèle économique », souligne Geoffrey Delcroix, chargé des études prospectives à la CNIL. Il ne fait guère de mystère que le jeu mettra à disposition des marques des lieux (virtuels) sponsorisés. Comme le souligne le HuffPost, « Niantic a déjà prévu des partenariats commerciaux. Ainsi, des fuites ont révélé que le premier sera lancé au Japon avec McDonald’s. Le géant du fast-food souhaite que des arènes (des lieux où les joueurs peuvent s’affronter) soient placées dans ses restaurants ». Verdict de la CNIL : « Si ce modèle est innovant, il ne va pas sans poser de questions, car il s’agit ni plus ni moins d’appâter des individus sur un lieu commercial contre rémunération sous le prétexte d’un jeu… »

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