Libération de la parole raciste: quelle est la responsabilité des politiques?

La mort au Maroc du jeune Flamand Ramzi Mohammed Kaddouri a donné lieu à un déferlement de propos racistes. Des politiques s’en sont émus. Mais ne portent-ils pas une part de responsabilité dans la libération de la parole raciste, par certaines déclarations extrêmes ou stigmatisantes ? Ou au contraire par leur silence ? Nous leur avons posé la question. [scald=1953469:sdl_editor_representation] 1 La banalisation de l’extrême droite en Flandre Plusieurs le disent, mais Jean-Luc Crucke, député wallon et vice-président du MR, de façon la plus assertive : « Il peut y avoir une responsabilité de certains politiques : qui sème le vent récolte la tempête. En Flandre, on a banalisé l’extrême droite. En Wallonie, on a maintenu le cordon sanitaire. Et il faut aussi que la presse s’interroge. » Le phénomène serait lié à la Flandre ? « Pas uniquement. Mais en Belgique, il est essentiellement flamand. La Flandre n’a pas le monopole, mais elle est dans le peloton de tête de ceux qui banalisent l’extrême droite. » Co-présidente d’Ecolo, Zakia Khattabi note aussi « une vraie différence entre Nord et Sud, car côté francophone, le cordon sanitaire existe ». Mais elle pointe surtout la N-VA et sa « récupération politique » : « Je suis militante anti-raciste depuis 20 ans et cela fait longtemps que ce genre de propos racistes se trouve sur les réseaux sociaux. Ce qui m’énerve aujourd’hui, c’est le jeu politique autour de ces propos : ap rès avoir été sur la ligne rouge en stigmatisant parfois les militants anti-racistes, le secrétaire d’Etat N-VA Theo Francken verse des larmes de crocodile. Jan Jambon avait, lui, pointé ‘’une partie significative de la communauté musulmane qui a dansé après les attentats’. Mais qu’ont-ils fait pour que les propos ne soient pas aussi libérés ? Et que vont-ils faire pour lutter contre ça ? Sur ce sujet, je ne fais aucune confiance à la N-VA. » [scald=1953508:sdl_editor_representation] 2 La politique du gouvernement fédéral Dans l’opposition, on pointe aussi le doigt vers le gouvernement Michel. André Flahaut, ministre PS du Budget de la Communauté française, juge qu’« il est temps qu’on se réveille face aux dérives racistes alimentées par la peur et le rejet d’autrui » ; et qu’« il faut oser amorcer un discours à contre-courant, peu audible à cause du climat actuel de peur, de tension, de suspicion : un discours où l’on ne met pas tout le monde dans le même panier, où l’on ne stigmatise pas, où l’on fait en sorte que l’on se parle à l’école… » Lui ne pointe pas spécialement la Flandre, car « ce qui frappe la Flandre aujourd’hui peut toucher demain d’autres régions ou s’y est déjà produit », mais il cible « la politique unilatérale sécuritaire du gouvernement qui nous mène dans une impasse : il faut à la fois faire de la sécurité, de la surveillance, de l’information ET de la prévention, par une proximité réelle. Aujourd’hui, l’approche est déséquilibrée. On fait beaucoup de déclaration sur le vivre ensemble, mais pas d’actes. Il faut ramener la société à l’équilibre. » Zakia Khattabi élargit ce qu’elle considère comme la responsabilité du fédéral : « Il y a, singulièrement sous ce gouvernement, une banalisation d’une parole tout à fait indigne, et sans condamnation claire du Premier ministre. » 3 « Ne pas mettre toute la responsabilité sur le politique » Benoît Lutgen, président du CDH, ne veut, lui, pas faire porter au seul politique la responsabilité d’une parole raciste libérée : « Il y a un climat ambiant qui libère la parole noire. C’est insupportable, mais je refuse de mettre ça sur le monde politique en particulier : c’est un phénomène de société. » Certes, reconnaît-il, « il y a des propos politiques excluant ou à connotation raciste, mais je pense que ce sont d’abord les actes terroristes qui entraînent ce phénomène ». Et il soulève « le problème de la haine sur les réseaux sociaux qui donne lieu à très peu de poursuites ». Citant un exemple : « un candidat CDH, M. Nzolo, s’est fait traiter de ‘’singe’’ sur la page Facebook du parti. Une plainte a été déposée auprès du procureur du roi de Bruxelles. Elle a été classée sans suite. C’est inacceptable. » 4 On n’ose pas toujours intervenir Les partis démocratiques ne devraient-ils pas s’ériger davantage contre certaines dérives racistes ? Pour le socialiste André Flahaut, après la violence des réactions au décès de Ramzi, « il n’y a eu pas assez de réactions du côté francophone ». Par contre, il réfute l’idée que le PS n’oserait pas assez monter au créneau : « Le PS a des positionnements et des actions. A la Communauté française, on a posé des actes pour l’accueil des réfugiés, notamment des enfants, pour leur scolarisation. Mais cette politique-là est plus difficile à faire comprendre et accepter que celle qui dit qu’il faut tous les mettre en prison ou qu’il ne faut pas nourrir les réfugiés. Les démocrates et les humanistes doivent se mobiliser, pas en s’exprimant n’importe comment et par effets d’annonce, mais en posant des actes dans la durée. C’est l’attitude du PS. » L’Ecolo Zakia Khattabi reconnaît toutefois que, « à la Chambre, dans certains débats, certains estiment que ce n’est pas le moment de dire certaines choses, surtout à cause du climat flamand, de la N-VA qui a le vent en poupe. Sinon, on passe pour de doux rêveurs ou des gens qui légitiment certains publics ou actions. On fait les frais d’un jeu politique où l’on ne porte plus une parole à partir d’un projet qu’on assume, mais d’une part de marché que les partis se distribuent. On n’ose pas attaquer de front la N-VA, je vois bien la difficulté de Groen à la contrer, désormais le SP.A commence aussi. Mais le poids et la force des propos de Bart De Wever se construisent aussi à travers la place qu’on lui accorde dans les médias. » Le libéral Jean-Luc Crucke est mois assertif : « La richesse, ce sont les différences, et tout démocrate doit être attaché à cela. Peut-être que chez nous, on en parle moins parce qu’il y a consensus à cet égard. » Pour le centriste Benoît Lutgen, « il faut condamner chaque expression raciste d’une communauté vers l’autre, et aussi les propos qui stigmatisent ou excluent » ; mais il juge qu’« on ne peut pas dire que l’ensemble du monde politique soit frileux à cet égard ». Même réaction de la présidente du VLD Gwendolyn Rutten qui, au passage rappelle que « Celui qui interdit la liberté d’expression, tue la liberté. » Et s’étonne de la soudaine découverte de ce phénomène de haine. « Ce n’est malheureusemnt pas nouveau. Et l’émergence de l’IS n’a pas apaisé les tensions, ce qui n’a fait que booster la méfiance des gens vis-à-vis des Musulmans. Mais les politiques ont le devoir de montrer l’exemple. Au VLD, on ne met pas de l’huile sur le feu en parlant d’une guerre qui n’a d’ailleurs pas lieu. » 5 La N-VA met de l’huile sur le feu Pour Kristof Calvo, chef du groupe Groen à la Chambre, « les responsables politiques doivent prendre des mesures et choisir leurs mots. Or, certaines déclarations récentes de leaders N-VA, comme son secrétaire général Louis Ide ou son président Bart De Wever, ne font que renforcer certaines personnes dans leurs convictions racistes. Le vivre ensemble n’est pas l’apanage de la gauche. Certains feraient bien de ne pas mettre de l’huile sur le feu., en constatant que la majorité écrasante de citoyens veut vivre ensemble. Que ceux qui parlent de guerre entre deux clans s’en souviennent et retrouvent leur calme. ». Yasmine Kerbache, la socialiste flamande en pointe sur ces dossiers pointe la N-VA : « Les politiques doivent tout mettre en œuvre pour favoriser le vivre ensemble. A cet égard, la N-VA est le mauvais élève de la classe. Faut-il rappeler les déclarations de Liesbeth Homans sur le « racisme relatif », celles de Bart De Wever sur « les Berbères », ou les doutes exprimés par Théo Francken sur la « valeur ajoutée des diasporas marocaine et congolaise. » Ce genre de propos empoisonne le débat de société. Ce débat n’a rien de communautaire, il ne touche pas plus les Flamands que les francophones. C’est une question humanitaire. Par ailleurs, ces mails honteux ne forment malheureusement que la pointe de l’iceberg. Les formes de discrimination sont multiples, à l’égard d’autres personnes que les Musulmans, comme les Juifs par exemple. J’ai introduit une proposition pour qu’à travers une méthode éprouvée- les mystery shoppers et les pratical tests- on puisse sévir contre ceux qui refusent le vivre ensemble, en discriminant les gens qui cherchent un emploi ou un appartement sur base d’un patronyme qui n’est pas celui du « Flamand de souche ». Mais la N-VA s’est toujours opposée à ces mesures. » Wouter Beke, le président du CD&V, la N-VA « ne fait rien d’autre que culpabiliser les autres. » Dans un entretien au Morgen, il explique que ce parti joue les Docteur Jekkyl et Mister Hyde : « Ce grand écart permanent n’est plus tenable. »

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