Manuel Abramowicz: «Les attentats ont redynamisé l’extrême droite»

Manuel Abramowicz est coordinateur du journal en ligne RésistanceS.be, l’observatoire belge de l’extrême droite. Les groupuscules d’extrême droite ont alimenté l’actualité de la semaine. Comment analysez-vous ce phénomène ? Les attentats islamistes ont généré un nouveau dynamisme pour la propagande d’extrême droite. Le phénomène apparaît il y a plus de 15 ans, après les attaques d’Al- Qaïda à New-York. C’est un tournant pour cette propagande : elle abandonne son racisme historique – qui est alors de plus en plus réprimé – au profit d’un discours exclusivement anti-Islam. Ce virage permet à la fois à l’extrême droite d’éviter la Justice qui traque désormais les délits de racisme et d’élargir son champ de sympathie au sein d’une opinion publique traumatisée par le danger terroriste. Dans la société, on dénombre plus de citoyens qui s’opposent à l’Islam, plus d’islamophobes que de racistes : l’engagement de l’extrême droite contre la dite islamisation lui permet de s’adresser à un plus grand nombre et dès lors, d’augmenter son score électoral. Votre observatoire révèle-t-il une hausse de ce phénomène chez nous ? Depuis deux à trois ans et l’attentat de Charlie-Hebdo, on observe un retour des groupuscules d’extrême droite, à une multiplication de nouveaux petits groupes. Pour deux raisons. Primo, le contexte actuel lié au terrorisme et le discours antimusulman ambiant. Secundo, un affaiblissement de l’extrême droite traditionnelle : le Vlaams Belang, même s’il remonte dans les sondages, s’est écrasé au profit de la N-VA lors des dernières élections. En l’absence d’un parti d’extrême droite hégémonique, cette mouvance s’atomise sur le terrain. En dix ans, la forte diminution des représentants officiels de l’extrême droite a donné lieu à l’émergence de ces petits groupes. Et tant en Flandre qu’en Wallonie, même si le phénomène y est moins prononcé. On a découvert cette semaine les activités des deux nouveaux groupes : De Vlaamse Verdedigings Liga (VVL) et les Soldats d’Odin. Qui sont-ils ? Le groupement des Soldats d’Odin a été créé en octobre dernier en Finlande. Grâce à Internet et l’actualité des flux migratoires il essaime rapidement chez nous, deux mois plus tard. Cette organisation au même titre que celle la Ligue de Défense flamande (VVLL) ne sont que des sections belges implantées à l’étranger, en Europe, aux Etats Unis, en Australie ou au Canada. Ce sont de vrais copiers-collers : mêmes logos, mêmes présentations. Ces sections bénéficient de la visibilité médiatique de ces groupes à l’étranger. La Ligue de Défense flamande provient, elle, d’une mouvance européenne apparue en 2009 en Grande Bretagne auprès des supporters ultra de football. Ils représentent combien de personnes ? J’y ajouterais une série de groupuscules d’extrême droite anti migrants et anti-musulmans à l’étranger qui se sont implantés en Belgique, comme Pegida, un groupe allemand qui veut combattre le déclin de l’Occident. Si on se réfère à la présence de tous ces groupes sur Internet, on a le sentiment de faire face à des organisations très développées. Mais une analyse plus fine, sur base des photos publiées, révèle qu’ils ne pèsent pas lourd. Une petite quarantaine pour les soldats d’Odin par exemple. Je ne suis pas persuadé que l’on atteint ce chiffre pour la Ligue flamande. Pourtant on a beaucoup parlé d’eux lors du déferlement de haine sur les réseaux sociaux. Ils en furent les principaux instigateurs. Facebook amplifie l’impression que l’on a affaire à des organisations importantes. Nous vivons à l’époque du militantisme de clavier. Fini le temps du militantisme de terrain. C’était un sacerdoce, un engagement physique. Aujourd’hui on peut militer pour une cause en restant dans son salon. On a parlé cette semaine de ces deux groupements. Deux arbres qui cachent la forêt ? L’air du temps, la délinquance, le terrorisme, la crise économique sont des terreaux fertiles pour tous ces mouvements. Mais tous les spécialistes s’accordent pour constater qu’ils ne pèsent pas très lourd. Chaque année, il y a une manifestation des étudiants nationalistes flamands (le NSV) dont tous les cadres actuels du Vlaams Belang ont fait partie. Cette manifestation regroupe entre 150 et 200 militants. La contre-manifestation, constituée de jeunes d’extrême gauche, leurs adversaires d’extrême gauche rassemblent, eux, entre 500 et 1.000 manifestants. Ces chiffres résument bien l’état des forces en présence. L’extrême gauche n’est pas dans l’air du temps, contrairement à l’extrême droite. Mais sur le terrain, la gauche radicale est numériquement plus importante sur le terrain militant. Pas de réveil en vue d’autres groupuscules d’extrême droite ? Non. En revanche, de leurs rangs peut surgir un loup solitaire de type Anders Breivik, le terroriste norvégien qui a tué 77 personnes en Norvège en 2011 ou, chez nous d’un Hans Van Themsche coupable de meurtre à caractère raciste sur deux personnes à Anvers voici 10 ans.

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