«Le Soir» traverse l’Europe en train: la leçon européenne des petits Anglais (carte interactive)

Ambiance un peu surréaliste dans le train de nuit de Cracovie vers Budapest. Dans l’étroit couloir qui longe les compartiments couchette, une horde d’ados anglais fait de grands signes d’adieux émus en direction d’une foule de parents imaginaires. Puis les accolades bruyantes. « Hermione ! », « Ron ! », « Hagrid ! » Harry Potter, vraiment ? « Désolé, c’est un jeu un peu débile », s’excuse dans un grand sourire un grand roux dégingandé qui s’écarte poliment pour laisser passer les gens. En fait, tout est parti d’une blague autour d’une marque d’éponge, « Spotter », et puis une chose en amenant une autre. « L’ambiance du train, les bagages, ça faisait penser au film quand ils vont… » Il se rend compte qu’il s’enfonce, s’arrête net. Bredouille : « Enfin, c’était drôle. » Coup d’œil autour, en recherche d’un éventuel soutien, mais bizarrement, tout à coup, tout le monde semble très occupé. La cuisine de maman… En route pour Budapest, les sept garçons de 18 ans, originaires du sud de l’Angleterre, sont à la moitié de leur périple « Interrail ». Et ils regardent déjà volontiers dans le rétro. Verdict : génial mais trop ambitieux, chaque ville mériterait plus de temps. Le voyage, qui tombe à la fin de leurs humanités, s’est fait facilement et avec la bénédiction de leurs parents. « Ils sont contents qu’on se fasse nos propres expériences, qu’on découvre un peu ce que c’est que de se gérer », explique Ben, un grand blond athlétique. Et de fait, ce n’est peut-être pas si évident que ça. Il y a les tensions liées aux différences de budgets (hôtel, auberge ou camping sauvage ? Un bar ou une canette dehors ? Musée ou balade ?), les affaires auxquelles il faut faire attention, le timing serré… « On se rend compte aussi à quel point des choses qui nous paraissaient complètement triviales nous manquent. La nourriture, par exemple. » Son pote Will opine du chef gravement, l’air désolé. Ben poursuit : « Nos mères nous emmerdent depuis qu’on est petits pour manger équilibré, faire les courses, la cuisine. En voyage, on mange vite et pas cher : des snacks, des chips. C’était cool les premiers jours mais là ça commence à peser. » A Berlin, ça a failli mal tourner. Pendant une soirée un peu trop arrosée, un autoradio est tombé par la fenêtre de leur auberge de jeunesse. En dessous, des Allemands eux aussi à la fête mais sérieusement avinés, ont très mal réagi. « Des amis se sont retrouvés projetés contre le mur, menacés de mort. » Ben, qui est à moitié allemand, a fini par calmer le jeu. Le prix des apparences. Si beaucoup se débattent encore avec l’acné, certains dans le groupe ont déjà de sacrées carrures. De quoi surestimer leur âge. Pourtant ce sont les mêmes qui sont capables de pondre des commentaires aussi ingénus que : « On n’aurait jamais cru que Prague puisse être une ville aussi romantique. » Alors, la mésaventure de Berlin, ça leur a collé une sacrée frousse. Le Brexit, cadeau pourri des vieux à la jeunesse « Mais à part ça, on a fait de chouettes rencontres. Beaucoup de groupes de “backpackers”, comme nous. » Pas la peine d’être sceptique. Le wagon-lit est exclusivement rempli de jeunes voyageant avec interrail. Certains portent même le bracelet multicolore offert avec le billet. « C’est drôle parce qu’on sait déjà qu’on va en retrouver certains à d’autres étapes du voyage, se réjouit Ben. Ça offre une certaine ouverture sur les autres, sur l’Europe. » Pendant ce temps, au pays, le dernier débat à la mode porte sur le retour du passeport bleu marine. Labellisé Brexit. « On a bien conscience qu’on n’aura peut-être plus l’occasion à l’avenir de faire ce genre de voyages aussi facilement. » Pour Ben, qui a la double nationalité, ça ira. Il demandera peut-être un passeport allemand, au cas où, pour les voyages. « Super pour toi, mais nous ? » C’est Will, dépité. Les sept garçons ont voté « remain », comme plus de 70 % des 18-25 ans. Tu parles d’une première expérience démocratique. « Le Brexit, personne n’y croyait. Vraiment, raconte Ben. Et ce qui est dégueulasse c’est que ce sont les vieux qui le décident alors c’est nous qui en paierons les conséquences. »

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