Laurent Ciman: «Aurait-on gagné contre le pays de Galles avec moi? Nul ne le sait»

Depuis deux mois, Laurent Ciman n’a pas beaucoup vu sa maison canadienne. Appelé en dernière minute dans la liste des 23, il a enchaîné l’Euro et de nombreux déplacements aux Etats-Unis dans le cadre de la MLS. Blessé depuis deux semaines, il reprend tout doucement. « Je suis mal retombé sur ma cheville dans un duel sur le synthétique de Portland », explique-t-il. « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question de fatigue car je me sens bien mais un synthétique, ça ne pardonne pas ! ». Il n’a donc pas encore vraiment eu le temps de digérer cet été particulier lors duquel il est passé par toutes les émotions (déception, espoir, joie et frustration). Retour sur un Euro bizarre. [scald=2017052:sdl_editor_representation] Comment avez-vous géré toutes ces émotions ? Ça a commencé par le moins bon. Vu la blessure de Vincent Kompany, j’étais déçu de ne pas faire partie directement des 23. Je ne savais pas comment je devais prendre mon rappel en Suisse. D’un côté, je faisais partie du noyau, d’un autre pas puisque je n’avais aucune garantie d’aller en France. Malgré le fait que je connaissais le groupe par cœur, arriver en outsider et savoir que tu peux le quitter et retourner chez toi après une semaine, ce n’est pas évident. J’ai écouté les conseils d’Axel Witsel et Jean-François Gillet et pendant une semaine, je ne me suis pas pris la tête et finalement j’ai pris mon pied en Suisse ! Finalement, vous avez bénéficié des blessures de Boyata et Lombaerts… C’est une situation inconfortable car pendant une semaine, tu sais que ton sort est lié au malheur des autres, en quelque sorte. Je n’aime pas dépendre d’une blessure. Mais j’ai évité de me poser trop de questions. D’autant plus que les blessés évoluaient bien. Rien ne laissait présager que la blessure de Nico était plus grave que prévue. Vu le manque de joueurs valides, espériez-vous débuter contre la Suisse ? Oui, je pensais que j’allais commencer mais l’entraîneur voulait tester quelque chose avec Axel Witsel au poste de back droit. Ce sont des choix que tu dois accepter. Cependant, je suis rentré et j’ai pris le plaisir que je voulais prendre. A un moment donné, je dois aussi me souvenir d’où je viens ! [scald=2017053:sdl_editor_representation] Finalement, vous faites partie de l’aventure en France. Tout cela sans avoir su vraiment vous y préparer… Je n’ai pas eu le temps de dire au revoir correctement à ma fille, de lui expliquer pourquoi je partais si longtemps. Mes parents arrivaient au Canada quelques jours plus tard, je ne les avais plus vus depuis un an. Ma mère était en larmes au téléphone. Cependant, comme sportif professionnel, tu dois être préparé à vivre des moments comme ceux-là. C’est une expérience tellement magique que ce genre de choses passe au second plan. Au final, j’ai fait un Mondial, un Euro. Qui aurait pensé cela d’un petit Carolo ? Est-ce facile de profiter de l’événement quand on sait que sa femme rame à la maison ? Non, clairement pas. Je culpabilisais. Je vivais des moments extraordinaires que je ne pouvais pas vraiment partager en famille. Heureusement que ma femme s’occupait des enfants. J’espère simplement qu’un jour on pourra échanger nos rôles pour qu’elle puisse s’épanouir dans une activité professionnelle comme elle m’en a laissé la possibilité. Revenu du diable Vauvert, vous voilà en train de débuter l’Euro… Et pas contre n’importe qui ! C’était extraordinaire, surtout pour moi qui ai des racines italiennes. Je n’oublierai jamais cette rencontre. Pensiez-vous être titulaire ? Non. On en parlait bien un peu dans la presse mais je n’y croyais pas trop. Axel peut évoluer à ce poste. Thomas Meunier aussi. Il avait fait de gros playoffs. Il y avait concurrence…. Mon poste de prédilection, c’est défenseur central et je savais qu’à un moment donné, Meunier allait rentrer dans l’équipe. Pourquoi ? Car c’est un vrai arrière droit. Il a plus d’automatismes à ce poste. Et comme je n’étais pas prévu dans les 23 à la base et que lui oui, ça me semblait normal. [scald=2017051:sdl_editor_representation] Comment analysez-vous votre rencontre ? Je suis satisfait de moi. Mais le coach m’a expliqué qu’il désirait plus d’apport offensif pour les matches suivants. Comment avez-vous pris l’engueulade de Toby Alderweireld sur le premier but italien alors qu’il est davantage fautif que vous sur cette phase ? Il était frustré sur lui-même et donc c’était facile de rejeter la faute sur quelqu’un d’autre. Cependant, je n’avais pas envie de faire scandale. Je n’allais quand même pas régler mes comptes avec lui en public ou dans la presse ? Je lui ai dit dans le vestiaire que je n’avais pas vraiment apprécié et qu’il ferait bien de se regarder dans le miroir. Je n’étais pas un enfant, il n’avait pas besoin de faire ces gestes devant tout le monde. Il a écouté et il s’est excusé. Il a admis que j’avais raison et qu’il n’aurait pas dû réagir de la sorte. Avez-vous senti de la tension dans le groupe après cette défaite ? Non, le climat restait serein. On en a discuté entre nous. On savait que ça allait être un match difficile. Si Romelu Lukaku fait 1-1, on aurait réalisé une bonne performance. On n’allait pas commencer à douter après une défaite ! Aurait-il fallu s’adapter au 3-5-2 italien ? C’est facile à dire après une défaite. Moi, je pense qu’on a assez de qualités pour ne pas s’adapter. On était prêt, on a fait un bon match. Ok, certaines individualités n’évoluaient pas à leur niveau mais ça arrive. Pensez-vous que des joueurs comme Kevin De Bruyne ou Romelu Lukaku sont arrivés cramés à l’Euro ? Non, je ne pense pas. De Bruyne est monté en puissance. Après l’Italie, il a fait son Kevin : il a pris le jeu, distillé de bonnes passes, a tenté sa chance de loin. Quant à Lukaku, il s’est quand même créé des occasions à chaque rencontre. Courtois, Witsel, Vermaelen, Hazard, Meunier, Nainggolan ou Vertonghen ont réalisé un bon Euro ! Etiez-vous déçu de ne plus être titulaire après l’Italie ? Je me doutais que je ne jouerais plus. A partir du moment où j’étais impliqué sur le premier but italien et que l’entraîneur voulait un arrière droit plus offensif, j’avais compris. Est-ce que Meunier apporte plus que moi sur le plan offensif ? La réponse est oui. Je ne suis pas un back offensif, lui a l’habitude de pistonner durant 90 minutes. Donc le choix de Wilmots tient la route. Mais, je ne me reproche rien : mes proches étaient fiers de moi. Par contre, on vous attendait dans le onze de départ en quart de finale… Je m’attendais à jouer. J’avais passé la nuit comme si je commençais le match. Et puis, j’ai appris le onze de départ, à la théorie, le matin du match. J’étais frustré et déçu. On entend que Jan Vertonghen est blessé, qu’il y a un risque avec trop de jeunesse. Or, moi, je suis là ! J’ai dix ans d’expérience. Et j’évolue depuis des années au poste de défenseur central-gauche ! Je me suis senti un peu oublié. Et malheureusement pour l’équipe et pour le coach, cela s’est mal passé. Entre Jason Denayer et moi, c’était 50-50 et au final, le coach a fait un choix. Et aurait-on gagné si j’avais joué ? Nul ne le sait. Est-ce que vous vous attendiez à cette faillite défensive ? Non. On savait que le Pays de Galles pouvait nous ennuyer mais on ne s’attendait à ce qu’il soit aussi fort. Robson-Kanu a fait un match incroyable. Comment expliquez-vous l’absence de marquage sur le corner gallois ? C’est un mystère. Tout le monde savait qui il devait prendre. C’était écrit sur une feuille ! Pourquoi personne ne prend son homme ? Je ne sais pas. Certes, défendre face à un groupe de joueurs regroupés, c’est compliqué mais les Gallois ont réussi à se défaire trop facilement. On aurait dû être au marquage individuel. Est-ce dû à l’inexpérience de notre défense ? Ce n’est pas une question de jeunesse. Ça va vite, il y a un petit manque de concentration. C’est un fait de match. Il ne faut pas oublier que dans le foot, chaque but découle d’une erreur… Comment expliquez-vous le non-match de Jordan Lukaku et Jason Denayer ? Lukaku, je l’ai senti bien, il ne voulait pas trop en faire et se ruer devant. Mais un premier match à l’Euro et la pression qui va avec, ce n’est pas évident. Quant à Denayer, il ne faut pas le tuer. C’est un excellent défenseur qui va faire une carrière extraordinaire. Comprenez-vous la déception des Belges ? Oui car on avait des qualités pour aller au bout, d’autant plus que notre partie de tableau s’était dégagée. « J’ai eu des hauts et des bas avec Wilmots mais je ne le critiquerai pas » Comprenez-vous le limogeage de Marc Wilmots ? C’est toujours facile de remettre toutes les fautes sur l’entraîneur. Pourtant, ce n’est pas lui qui joue. Il a fait de l’excellent travail, a redonné des couleurs à cette équipe. Il voulait qu’on soit plus proches des supporters et il a tout fait pour maintenir ce lien. Moi, j’ai eu des hauts et des bas avec lui mais je n’ai pas envie de le critiquer. Il était là pour faire des choix et parfois, les joueurs ne sont pas contents. Mais au-delà de ça, il a toujours fait son travail de manière honnête. On lui reproche ses entraînements… En France, ce qui devait être fait a été fait. On a travaillé la possession, la communication, les automatismes. Tout a été très bien préparé. Il y avait de la diversité, du travail (physique quand il le fallait). Mais c’est sûr qu’on ne faisait pas de la tactique quotidienne comme Antonio Conte avec les Italiens. « Je suis disponible pour les Diables mais ça va être compliqué » Qu’en est-il de votre avenir chez les Diables ? Je suis disponible mais je me rends compte que ça va être compliqué. Georges Leekens et Marc Wilmots me connaissaient pas cœur. Mais Roberto Martinez va-t-il prendre le soin de me voir jouer en MLS ? Si je suis encore repris, tant mieux. Sinon, tant pis. Avez-vous l’impression d’avoir pris une autre dimension depuis la Coupe du Monde ? C’est vrai que l’on me regarde autrement. Les gens me respectent aussi pour mon côté privé. Ils ont appris à connaître cette facette avec la maladie de ma fille. Je ne revendique rien. Dois-je être titulaire en équipe nationale ? Non. Dois-je faire partie des 23 ? Je me bats pour. Avec le recul, êtes-vous fier de votre parcours ? Oui. J’aurais pu gratter quelques minutes en Coupe du Monde et signer dans un club plus huppé. J’ai eu des opportunités en Italie et en France mais j’ai refusé pour Nina. A Montréal, j’ai vraiment été bien accueilli et ça se passe très bien pour Nina.

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