Les Chinois à la conquête du football mondial

Il y a eu le départ de la star italienne Graziano Pellè vers la Chinese Super League (avec un salaire annuel de 15 millions d’euros). Puis le rachat du club anglais de West Bromwich Albion (division 1) par un groupe d’investissement chinois, annoncé vendredi dernier. Le même jour, Silvio Berlusconi déclarait avoir accepté de vendre pour 740 millions d’euros son club de l’AC Milan à un groupe d’investisseurs… chinois. S’ajoutent à la liste de grands clubs comme Manchester City ou l’Atletico Madrid, déjà partiellement dans des mains chinoises. Sans oublier l’autre géant milanais du ballon rond, l’Inter, qui passera à 100 % sous pavillon chinois en octobre (voir infographie). Il ne faut pas être grand clerc pour s’en apercevoir : la Chine veut mettre le pied sur le ballon rond. Si tant est que l’Empire du Milieu n’a déjà pas mis les deux, de manière stratégique et systémique, dans les stades du Vieux continent, entre passion politique et nécessité économique. En réalité, le développement du football applique le même modèle que celui qui a prévalu dans les secteurs de l’industrie, avec l’importation du savoir-faire étranger pour former la main-d’œuvre locale. C’est à cette fin que, en décembre dernier, CMC (China Media Capital) Holdings s’est offert 13 % des actions de Manchester City pour 265 millions de livres. Ce qui intéresse surtout cette société publique, et donc l’Etat, c’est le campus de City, donc son savoir-faire en matière de formation pour le reproduire en Chine. [scald=2032226:sdl_editor_representation] 1 Le grand rêve chinois. L’objectif final est à la dimension du pays : l’organisation de la Coupe du monde 2026 – Pékin se fait fort de convaincre la Fifa de déroger à sa tournante continentale – et idéalement remporter la manifestation suprême. 2026, c’est déjà demain, mais la Chine a commencé sa longue marche avant-hier. Les Jeux olympiques de 2008 ont tout à la fois exposé la puissance économique du pays et son potentiel sportif, avec un tableau des médailles plus rempli que celui des États-Unis. Ainsi, plus de 850 milliards de dollars vont être investis dans le sport pour la prochaine décennie. Le président de la République populaire, Xi Jinping, a même été plus spécifique dans son plan de réforme. « La Chine doit devenir une superpuissance du football. » Une véritable révolution culturelle dans un pays où les sports d’équipe avaient été bannis jusque-là. Les paroles de Xi se sont transformées en or si l’on en juge par le flux d’argent arrosant le football chinois. Les hommes d’affaires ont compris qu’un tel investissement relevait de la vertu et que leur implication leur attirerait des grâces présidentielles sans failles. Or, en Chine, il est de bon ton de prêter l’oreille aux commandements venus de tout en haut, encore plus quand il s’agit de contribuer au « Zhongguo Meng » – le « Grand Rêve chinois » –, autrement dit d’aider à remettre l’Empire du Milieu au centre du monde. Pour l’instant, un joueur sur cinq en Chinese Super League (CSL) vient de l’étranger. C’est indispensable et suffisant pour permettre à la population, friande de football, de voir ses idoles de près. Mais cette ouverture ne constitue qu’un premier pas et ne devrait durer qu’un temps. Xi Jinping veut créer ses propres héros nationaux. Le football est ainsi devenu obligatoire dans les écoles. D’ici 2020, Pékin prévoit la création de 20.000 centres de formation pour arriver à 50.000 en 2025. 2 L’Europe, ballon d’oxygène. Si l’investissement à l’ombre de la Grande Muraille tient de l’obligation morale, l’exportation des yuans au-delà de celle-ci tient de la nécessité vitale pour les industriels. Ou à tout le moins d’une condition sine qua non à leur enrichissement bloqué ces dernières années par la stagnation du marché domestique. Pour autant, les « tycoons » n’agissent pas par philanthropie ou romantisme, et encore moins avec naïveté. Aujourd’hui, chacun des 16 clubs de la CSL appartient à un des grands groupes locaux, très souvent liés à l’immobilier, mais ce dernier, source première d’enrichissement en Chine, n’est pas le seul domaine économique impliqué dans le football. Luneng, qui a donné son nom au club qui vient d’acquérir Pellè, est sous contrôle de la State Grid Corporation of China, soit la plus grande société d’électricité au monde, émanation du gouvernement chinois. Ce qui démontre ce mouvement de balancier et ce rapport inextricable entre argent public et investissements privés. À présent, ces mêmes sociétés, aux débouchés très diversifiés, vont faire leur shopping à l’extérieur de leurs frontières. Le Wanda Group (lire ci-dessous) a ainsi acquis 20 % des parts de l’Atlético Madrid pour un peu plus de 45 millions d’euros en mars 2015. Mais les Chinois savent très bien qu’investir pour investir dans un club de football équivaut à jeter son argent par les fenêtres. Mais, pour le « return », ils visent surtout sur les effets collatéraux. 3 L’emprise sur le milieu. Se lier à un club européen contribue notamment à développer le prestige d’une marque. Le Wanda Group, pour 40 millions d’euros, a par exemple financé le centre d’entraînement de l’Atletico auquel il a donné son nom. Le « naming » ne vise donc pas seulement les stades, mais également les infrastructures secondaires. [scald=2032227:sdl_editor_representation] La Chine, via ses industries et l’État, est occupée à créer un véritable réseau autour du football où la prise de pouvoir dans un club ne constitue que la partie visible de l’iceberg. Le 22 mai dernier, Reuters a révélé que quatre consortiums de l’Empire du Milieu se disputaient à grand renfort de surenchères la plus puissante des agences de football, le « Stellar Group » (Bale), et qu’une autre société chinoise est entrée dans le capital de « Gestifute », dirigée par le « super-agent » Jorge Mendes, en échange de tuyaux pour vendre l’image de Cristiano Ronaldo en Chine. Serviable, insatiable surtout, l’homme d’affaires portugais a servi d’intermédiaire à un autre groupe chinois, Fosun, pour l’acquisition de Wolverhampton (D2 anglaise). Et pour ne pas faire de jaloux, l’équipementier télécoms Huawei a, lui, choisi Lionel Messi comme ambassadeur.

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