Depuis le mois de juillet, un nouveau slogan a vu le jour : « TTIP Game over ». Il est apparu un peu partout, à Bruxelles surtout, sous la forme d’autocollants notamment, mais aussi de façon beaucoup plus visible. Voire carrément immanquable : début juillet, l’immense écran publicitaire de la place De Brouckère a été hacké et un clip « TTIP Game over » a remplacé pendant quinze minutes le traditionnel logo « Coca-Cola » - une enquête judiciare est en cours. Fin juillet, même destin pour l’écran géant de la Foire de Libramont.
Ce slogan anti-TTIP (donc opposé au traité transatlantique négocié par les Etats-Unis et l’Union européenne, lire ci-contre) a aussi été brandi, du 11 au 15 juillet, devant des bâtiments de la Commission européenne. Devant et même dedans : une cinquantaine d’activistes « TTIP Game over » s’est imposée, le 11 juillet, à l’intérieur d’un bâtiment, tous déguisés en animaux pour représenter
« la nature qui se défend »
« Désaveu de la politique »
Qui se cache derrière toutes ces opérations « TTIP Game over » ? Beaucoup de jeunes mais pas seulement, répondent les porte-paroles du mouvement. « TTIP Game over » est un appel à passer à l’action directe (autrement dit : à la désobéissance civile). N’importe qui peut y répondre et organiser une action, expliquent-ils, du moment qu’elle est non-violente. Ceux qui participent sont « surtout des défenseurs de la justice sociale et environnementale » , indique une activiste de 23 ans qui a commencé à militer peu avant la COP21. « On partage aussi tous un désaveu de la politique. » D’ailleurs, « TTIP Game over » veut dépasser la critique des accords de libre-échange : les activistes plaident pour un renouveau de la démocratie.
Les manifestations anti-TTIP ne datent pas de cet été. Depuis trois ans, des collectifs comme StopTTIP ou D19-20 dénoncent ce projet d’accord qui, selon eux, ne bénéficiera qu’aux multinationales. Mais pour les activistes qui se regroupent désormais sous la bannière « TTIP Game over », les marches, les pétitions (trois millions de signatures en Europe) et les villes officiellement opposées au TTIP (1.500 dans l’UE, une quarantaine en Belgique) ne suffisent plus. D’où le passage à la désobéissance civile... « On veut rajouter une couche au-dessus des autres types d’actions. Montrer qu’il y a de la détermination et que des citoyens sont prêts à se faire arrêter pour cette cause » , expliquent deux porte-paroles de « TTIP Game over ». Ils précisent que les actions du mois de juillet n’étaient qu’un « échauffement » . Le mois de septembre sera celui de la « rentrée des actions » . Et en octobre, ils comptent bien se faire entendre quand les négociations entre Européens et Américains reprendront.
Ont-ils raison d’y croire ? Les actions directes de cet été (bloquer l’entrée de bâtiments européens, remplacer les affiches du métro par des slogans anti-TTIP…) ont-elles un impact sur les négociations ? Les activistes de « TTIP Game over » le pensent. Premièrement, parce que leurs actions ont été reprises par les médias et sur les réseaux sociaux, ce qui rajoute du poids aux revendications anti-TTIP dans le débat européen. Ensuite, parce que « les négociateurs n’ont pas pu nous éviter, explique Camille, porte-parole. Certes, on n’était qu’une centaine devant les bâtiments de la Commission, mais – sauf mauvaise foi – les négociateurs savent bien que l’on représente beaucoup plus de monde. »
« Protester ou faire bouger ? »
La Commission européenne (qui est mandatée par les 28 Etats membres pour négocier le TTIP) et les négociateurs européens relativisent. Les actions directes ont juste un peu retardé le programme des négociateurs, à l’une ou l’autre occasion, mais rien de plus, nous dit-on. Ignacio Garcia Bercero, le chef (côté européen) des négociations sur le TTIP, nous a quant à lui précisé que : « Si un groupe veut influencer le contenu d’un accord commercial, il n’y a pas vraiment d’alternative à une discussion de fond. La Commission est toujours prête à avoir ce genre de discussion. » La Commission insiste effectivement sur ce point : elle n’est pas dans une tour d’ivoire et elle invite la société civile et les activistes à discuter du TTIP. « Mais que veulent les activistes ? Protester pour protester ? Ou faire bouger les choses ? » , s’interroge un proche du dossier à la Commission.
Efficace ?
Par ailleurs, les pétitions et autres actions anti-TTIP préoccupent les Américains. Selon une source au cabinet de Cecilia Malmström (la commissaire européenne en charge du Commerce et donc du TTIP), à chaque rencontre entre cette commissaire et Michael Froman, son homologue américain, celui-ci lui demande si le projet d’accord commercial tient toujours – vu le mécontentement qu’il suscite en Europe.
Autre conséquence des manifestations : l’UE a changé sa ligne dans ce dossier par rapport à 2013. « La Commission a admis que c’était suite à la pression du public qu’elle a modifié sa proposition pour le système d’arbitrage, qui était très contestée. C’est un signe clair que la pression publique fonctionne » , indique Fabian Flues, du réseau associatif Friends of the Earth Europe, qui suit de près les négociations. Depuis 2013, la Commission a aussi rendu les négociations plus transparentes, vu les critiques à cet égard dans la société civile.
Mais ces évolutions sont davantage le résultat des manifestations « classiques » contre le TTIP que des actions directes récentes. Une autre source non-gouvernementale, très proche des négociations parce que fréquemment autour de la table, minimise l’impact de la désobéissance civile dans ce cas-ci : « Les activistes mettent une pression sur la Commission qu’elle n’a pas l’habitude d’avoir. C’est très neuf, plus direct et ça rend les choses inconfortables. Mais est-ce que ça arrête les négociations ? Non. Par contre, des grosses manifestations comme celles prévues en Allemagne ou en Espagne peuvent jouer un rôle. Davantage que des actions directes du mois de juillet. »
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Le TTIP est un projet de gigantesque accord commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne. « TTIP » est l’acronyme anglophone du « Traité transatlantique pour le commerce et les investissements ». On l’appelle aussi « TAFTA ». A ne pas confondre avec le CETA, qui est l’acronyme d’un accord similaire négocié entre le Canada et l’UE.
Le TTIP est en cours de négociation depuis l’été 2013. L’objectif est de créer un vaste espace de libre-échange transatlantique, avec moins de barrières commerciales et plus de possibilités d’investissements. Les défenseurs du projet annoncent la création de milliers d’emplois et des perspectives de croissance économique, pour les Etats-Unis et l’UE.
Les opposants au TTIP (ONG, syndicats, mutuelles, agriculteurs… ; en gros, la société civile européenne) redoutent un abaissement des normes sociales, sanitaires et environnementales. Ils critiquent le côté opaque de ces négociations et s’opposent au système d’arbitrage (en partie privé) prévu pour trancher les éventuels différents entre Etats et multinationales.
Les Etats-Unis et l’UE essayent de boucler les négociations sur le TTIP avant le départ de Barack Obama de la Maison Blanche, en janvier 2017.
L’arme de la désobéissance civile anti-TTIP: qu’en pensent les élus belges?
La députée wallonne CDH est suppléante au sein de la commission sur les questions européennes.
« Au Parlement wallon, on n’a pas attendu qu’il y ait des actions organisées par des activistes pour mener un travail de fond sur le TTIP. On le fait depuis trois ans. Les activistes n’ont donc pas changé mon avis sur le TTIP, qui est construit depuis longtemps
L’eurodéputée PS est membre de ma commission sur le commerce international et s’oppose au TTIP. « Je travaille depuis deux ans et demi avec les activistes. Leurs actions sont importantes pour mettre de la pression sur les inconditionnels du libre-échange. Des grandes manifestations anti-TTIP en Allemagne ont eu des répercussions jusqu’au Parlement européen, par exemple. Elles ont poussé des eurodéputés allemands, de droite, à être plus critiques envers le TTIP en commission Commerce. »
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