Affaire Dutroux, 20 ans après: comment soigne-t-on les pédophiles?

Depuis 98, il existe en Belgique trois « points d’appui » – un par région – reliés au ministère de la justice et qui chapeautent chacun plusieurs équipes de « guidance et de traitement des auteurs d’infractions à caractère sexuel », selon sa dénomination exacte. Julien Lagneaux est directeur du point d’appui wallon, qui coordonne une dizaine d’équipes réparties sur le territoire (Bruxelles en compte deux, la Flandre une dizaine également). Des équipes qui travaillent en prison ? Non ! « C’est l’énorme point noir du système actuel », déplore le directeur. Derrière les barreaux, des experts psychiatres, formés à la problématique des délinquants sexuels, sont mandatés pour évaluer les détenus (en cas de demande de sorties ou de libération conditionnelle par exemple) mais pas pour les traiter. Aucun soin, aucune thérapie, donc pendant les cinq, dix années – ou plus – de leur peine. En réalité, la prise en charge thérapeutique débute lors de la libération conditionnelle : un traitement pendant trois à cinq ans (la plupart du temps) est imposé par le juge comme condition de la libération. Ce qui signifie donc aussi que si le détenu va à fond de peine, il sort… sans aucun suivi. [scald=2083390:sdl_editor_representation] En quoi consiste la thérapie ? Outre les détenus en libération conditionnelle, les principaux patients pris en charge par ces équipes sont des personnes non condamnées à l’emprisonnement mais à qui le juge impose un traitement (peine probatoire), ou des personnes qui purgent leur peine à domicile avec un bracelet électronique. Reste également des personnes internées, gravement malades, pour qui le traitement durera sans doute toute une vie… Mais la question qui taraude chacun est de savoir si on peut « soigner » voire « guérir » un pédophile. Et si oui, comment ? Christophe Adam, professeur en criminologie clinique (ULB et UCL) et membre d’une équipe spécialisée, tient d’emblée à corriger l’utilisation du terme pédophile. Sa définition clinique révèle en effet une attirance exclusive pour des mineurs prépubères. Elle n’implique donc pas forcément un passage à l’acte (ils sont rares chez les pédophiles au sens cliniques) et n’est pas condamnable en soi (c’est l’acte qui l’est et non l’idée). Les profils pédophiliques sont donc extrêmement rares et difficiles à « soigner ». Mais en ce sens, Dutroux, malfrat qui volait des voitures, enlevait des prostituées dans les pays de l’Est, enterrait vivantes les personnes gênantes et trempait aussi dans des affaires de stup, n’est… pas un pédophile. La plupart des patients de ces équipes sont donc des pères (grands-pères, oncles, frères, etc.) incestueux, là encore dans une démarche différente de la pédophilie stricte. Mais en quoi consiste la thérapie ? Pour Christophe Adam, chaque patient est singulier mais la première chose consiste à écouter l’histoire de l’auteur de tels actes : « Il s’agit pour le patient de chercher le sens de ce qu’il a fait, de comprendre ce qui l’a poussé à ces agissements, afin de pouvoir ensuite éviter que cela ne se reproduise. Parfois, cela prend du temps et des éléments d’enfance ressurgissent après des années de thérapie. » Dans certaines équipes d’accompagnement et de guidance, des groupes de parole sont organisés. La castration chimique, souvent évoquée dans l’imaginaire populaire, demeure très peu utilisée. Et pour cause : il faut pour ce faire la volonté du principal intéressé et l’accord d’un médecin… Ces méthodes peu répandues du côté francophone le seraient davantage en Flandre. Ensuite, le traitement comporte forcément une importante part préventive : « toute forme de rupture, de changement, même positif, représente un risque, explique Christophe Adam. Nous nous permettons alors de poser des questions très intrusives. Si un patient se remet en couple, nous demandons si elle a des enfants, si elle est au courant de son passé, qui donne le bain à l’enfant, etc. Bien entendu, on travaille avec ce que les patients veulent bien nous dire… » Si l’équipe détecte un risque de « péril grave et imminent », il en réfère à l’autorité judiciaire. Mais ces signalements sont assez rares. Moins récidivistes que la moyenne C’est que, contrairement aux idées reçues, la récidive chez les auteurs d’infractions à caractère sexuel est moins importante que la moyenne. Ainsi, le taux de récidive moyen tourne autour de 30 à 40 %. Les voleurs sont parmi les plus récidivistes. Par contre, le taux de récidive des délinquants sexuels est, lui, de 20 %. Et, après une prise en charge thérapeutique, ce chiffre tombe sous la barre des 10 %, selon une évaluation continue du centre de recherche en défense sociale. « Guérir » un auteur d’abus sexuels n’est donc pas une chimère : « Il y a de nombreux patients pour lesquels nous interrompons le suivi de façon complètement sereine, tandis que d’autres auront toujours besoin d’un contrôle. » Pourtant, les centres d’appui, reliés au ministère de la justice, voient leur financement se réduire d’année en année. L’an dernier, Julien Lagneaux a ainsi vu son budget amputé de 20 % : il a dû licencier un de ses quatre psychologues. D’après Julien Lagneaux, ses missives au ministre de la Justice, Koen Geens, restent sans réponse.

Votre compte

Affaire Dutroux, 20 ans après: comment soigne-t-on les pédophiles?

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Société

L’utilisation du vélo pour se rendre au travail a bondi de 26% en quatre ans (infographies)

Pourquoi des syndicats menacent de quitter le Pacte d’excellence

Entretien La sociologue Emma Dabiri: «La coiffure constitue un bon indicateur du climat politique»

Comment l’inflation a réellement influencé notre consommation

Bruxelles: importante opération policière dans le quartier européen

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Séisme en Turquie et en Syrie: le bilan provisoire s’alourdit à plus de 3.800 morts et plus de 15.000 blessés

Le «big one», ce tremblement de terre hors norme qui va bientôt toucher Istanbul

Comment l’inflation a réellement influencé notre consommation

Bruxelles: importante opération policière dans le quartier européen

Entretien Caroline Désir sur l’évaluation des profs: «On ne peut pas faire d’angélisme»

Volodymyr Zelensky à Bruxelles jeudi

30 années au service d’une passion : le métier d’infirmière

Des soins intensifs polyvalents et à la pointe des technologies

L’indemnité vélo pour tous les travailleurs belges dès le mois de mai

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel