Jovanotti: «Stromae est immense!»

Il vient de terminer une tournée triomphale dans les stades italiens, tournée qui a attiré plus de 500.000 personnes. Et il prépare désormais une série de concerts en salle pour l’automne. Un nouveau tour qui passera par Forest National le 8 décembre. Lorenzo Cherubini, connu sur scène sous le nom de Jovanotti est un phénomène en Italie. Les trois (premiers) singles de son album sont en tête des charts depuis le début de l’année, il est invité dans les talk-shows politiques et change de style musical comme il change de chemise sur scène. Le jeune homme avec une casquette de travers, mi-rappeur mi-dj des années ‘90, est devenu un pop-star. Ce vendredi, il était l’invité de la rédaction du Soir. Jovanotti, vous êtes « la » star du moment en Italie, pourquoi venir en Belgique pour un concert ? Je suis très heureux de revenir chez vous. En fait, dans les années ’90, je suis venu souvent. Notamment comme invité d’Eros Ramazzotti à Forest. Ensuite, je ne suis plus venu pendant un long moment. Cette fois, je viens dans le cadre d’une tournée en salle qui suit ma tournée dans les stades. Nous venons avec toute la production, ce sera un grand show. Ce concert marque-t-il la volonté de vous « internationaliser » ? En tout cas, je veux explorer cette possibilité. Je vais aussi en Allemagne, peut-être en France. J’ai déjà fait des petites salles, des clubs, même aux USA, mais disons que je veux essayer avec un spectacle plus grand pour voir si ma musique peut passer les frontières. Dans le fond, mon travail c’est de tout le temps essayer, explorer, et voir jusqu’où tout cela nous mène… À quelques exceptions près, les chanteurs italiens, même avec une grosse notoriété dans la Péninsule, comme vous, ne sont pas connus à l’étranger. Pourtant, c’est une des cultures musicales les plus exportables. Avec la musique française dont l’immense Stromae est le meilleur représentant aujourd’hui. L’immense Stromae. C’est-à-dire ? Je le suis depuis le début, vraiment. Car j’ai vu tout de suite que c’était un artiste intéressant, intelligent, qui mélange différents genres musicaux avec grand bonheur. En fait, quand il a commencé, je me suis senti très concerné par son langage. Je ne l’ai jamais rencontré, mais j’aimerais le faire et même travailler avec lui. C’est un artiste dont j’apprendrais beaucoup. Il est très avancé, très contemporain. Très sérieusement, je considère que Racine Carrée est l’album européen plus important des dix dernières années. Le plus créatif, plus que les disques anglo-saxons. C’est un game changer. Il a même réussi à émouvoir les États-Unis. Grand exploit ! D’ailleurs, il termine sa tournée à New York le 1er octobre. C’est vrai ? Je serai aussi à New York à cette date, j’aimerais aller le voir ! [scald=39885:sdl_editor_representation] Il y aura du beau monde à New York, puisque le Pape y sera aussi fin septembre. Moi, je suis toujours avec le Pape, même quand il n’est pas à New York (rires)… Ce Pape est un phénomène, il fait des choses fantastiques Ce n’est pas surtout un phénomène de com’ ? Je ne crois pas, ca fonctionne trop bien. Si c’est juste de la com’, alors c’est le plus grand acteur de l’histoire de l’humanité ! Il est vraiment possible de changer l’Église ? Selon moi, il l’a déjà changée ! Son discours sur les femmes, par exemple, est totalement révolutionnaire. C’est un « vrai » chrétien, quelqu’un qui vit avec son temps, ce que l’Église devrait être. Il est accueillant, à l’image des colonnes de la place St-Pierre. Venons-en à l’actualité, notamment celles des migrants. Dans la première chanson de votre dernier album, vous évoquez ces embarcations qui partent de Tripoli vers Lampedusa, en les comparant avec les immigrés italiens du passé. On doit faire cette comparaison ! C’est la même chose, dans un monde qui change. L’histoire revient toujours, transformée. La grande diversité humaine existe depuis le début de l’humanité. Face au phénomène actuel, l’empathie humaine doit être au premier rang de toutes nos valeurs. Et on ne peut pas dire que l’Italie n’est pas accueillante aujourd’hui. Lampedusa, aujourd’hui, est un symbole de l’accueil. Quand j’entends dire qu’il faudrait donner le prix Nobel à Lampedusa, je suis 100 % d’accord. Cette crise des migrants est, selon nous, le grand examen pour l’Europe. Sera-t-elle au final une terre d’accueil ou une terre de rejet ? À la fin, l’Europe choisira l’accueil. À la fin, l’humanité prévaudra. Les divisions et les souffrances ont trop touché l’Europe. La force de l’Europe, ce n’est pas sa dureté, c’est sa douceur. Votre réponse est typique de ce que vous êtes : un optimiste. Disons que j’ai une forme d’optimisme. Aujourd’hui, je regrette que pour certains, l’optimisme soit considéré comme une forme de stupidité. J’accepte ce risque. En réalité, c’est une façon d’être et d’appréhender les choses, c’est une forme de résistance, de construction. C’est aussi le fruit de mon éducation, je viens d’une famille simple, avec de belles valeurs. Comment rester simple quand on vend des millions d’albums ? C’est sans doute plus facile à dire pour mes proches que pour moi. Chacun son style, son identité. Moi, je pense rester abordable. Le promoteur de mon concert en Belgique est aussi celui de Bob Dylan et il me disait hier soir que Dylan était inabordable, c’est sa vie, c’est sans doute aussi son mode d’alimenter sa propre légende. À ceux qui ne vous connaissent pas en Belgique, que diriez-vous de votre style musical ? Beaucoup me posent la question depuis 30 ans et… moi aussi je me la pose (rires). Ne pas avoir de réponse précise est un grand privilège selon moi. Aux USA, par exemple, il est impossible de survivre dans le monde musical sans cette réponse, sans cadre précis. Pour moi, en Italie, ce n’est pas un problème. Ce qui compte, c’est la personnalité d’un artiste, sa capacité à mélanger les styles. Un album, pour moi, c’est comme un opéra, comme une œuvre. Mais c’est difficile dans le « marché » musical actuel. Vous êtes un touche-à-tout, vous avez déjà pensé à d’autres formes d’expression : le cinéma, le théâtre, la littérature ? Non, car pour moi, même si je suis éclectique, tout tourne autour de chansons, de mélodies. S’il n’y a pas de chanson forte, il n’y a rien pour moi. On peut avoir des millions de followers sur Twitter (NDLR : il a 2,7 millions de followers, troisième Italien le plus suivi derrière Balotelli et Valentino Rossi, et premier artiste), ça ne vaut rien si tu n’as pas de chanson forte à partager ! Tout dépend du fond, de la substance, des émotions qu’on fait passer. En Italie, vous avez aussi un rôle de « leader d’opinion » : vous avez participé à la principale émission politique de la RAI, en prime time. Après cette émission, j’ai été mal pendant trois jours ! Parce qu’en Italie, tout est politique, le débat est lourd, la politique envahit tous les champs, toute la société. Il n’existe pas un autre pays au monde où c’est autant le cas. Et c’est une tragédie, un problème parce que cela crée des difficultés à changer, à innover, à se développer. Aujourd’hui, vous soutenez encore Matteo Renzi ? J’ai soutenu Renzi lors de sa candidature. Car j’estimais qu’il était la seule chance pour la gauche de gagner, d’exister, de ne plus être le parti d’un monde passé. Aujourd’hui, comme toujours quand quelqu’un est au pouvoir, il est soumis à la critique, c’est logique. Critique aussi, parfois de ma part. Je n’ai jamais participé à une initiative de Renzi, même quand on m’a invité. Quand quelqu’un que tu as soutenu est au pouvoir, il est nécessaire de faire un pas en arrière, de maintenir les distances. Et puis c’est plus facile d’être dans ma peau que dans la sienne. Quel regard portez-vous sur l’Italie d’aujourd’hui ? La période est dure, mais je reste confiant car mon pays a une capacité de renaissance qu’on a vue maintes fois dans l’histoire. On a même survécu à Berlusconi, c’est vous dire. Vous êtes engagé, dans vos textes et dans la vie, vous n’avez jamais pensé entrer en politique ? De toutes les idées du monde qui pourraient passer par ma tête, entrer en politique, c’est la dernière de mes pensées. Je préférerais encore être dentiste, c’est vous dire. Et la première idée ? Écrire une chanson encore meilleure que toutes celle que j’ai écrites ! C’est la plus belle chose du monde à mes yeux. Et c’est aussi ce que je peux faire de mieux dans la vie. En parlant d’engagement, le silence des politiques est assourdissant aujourd’hui, dans le dossier des migrants Mais le silence des artistes aussi. C’est compréhensible car le dossier est très complexe, énormément. Et donc, les artistes veulent sans doute éviter les caricatures en se positionnant d’un côté ou de l’autre. Et puis, la réponse, elle doit être politique ! Et européenne. Le discours de Merkel ces derniers jours est un très bon signe à mes yeux. Surprenant dans le bon sens. C’est un grand examen pour l’Europe, qui peut montrer qu’elle n’est pas que monétaire et économique mais aussi humaine et même morale. Vous pourriez écrire une chanson sur le bébé mort sur la plage turque ? Rien ne sera plus fort que la photo. Aucune parole ne pourra traduire ce que la photo a montré. Après cette tournée, quel sera votre nouveau projet ? Je ne sais pas mais je suis convaincu que ma musique doit subir une petite révolution. Tous les 10 ans il faut changer, remettre tout en cause. Je n’ai pas encore d’idée précise mais déjà un désir… Et surtout, j’ai encore faim, j’ai encore envie de créer, encore et encore !

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