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Caterpillar: à la recherche d’interlocuteurs crédibles

Les dirigeants de la multinationale ont refusé de venir s’exprimer devant les députés ce mardi. Outre le tollé, l’absence d’interlocuteur crédible pose des questions très pratiques. Tout semble plus que jamais dicté au départ des États-Unis.

Journaliste au service Economie Temps de lecture: 4 min

Q uel mépris ! Quel dédain ! Cette direction n’assume pas le drame social, humain et économique qu’elle provoque, elle se défile, elle nous snobe ! » Les parlementaires, tous partis confondus, n’avaient pas de mots assez durs, ce mardi matin à la Chambre, pour dénoncer l’attitude des dirigeants de la multinationale américaine Caterpillar à la suite de la mise à mort de l’usine de Gosselies, vendredi. En cause : l’absence de ces mêmes dirigeants devant les élus qui s’étaient spécialement réunis pour les entendre, en sus des représentants syndicaux.

L’invitation, pourtant, était courtoise. « Suite à l’annonce de la fermeture de l’usine Caterpillar de Gosselies, ce vendredi, les Présidents des commissions de l’Economie et des Affaires sociales de la Chambre des Représentants souhaitent vous convier à l’audition conjointe qu’elles organisent (…). Il vous est demandé de présenter un bref exposé en vue de formuler vos observations sur cette annonce et ses conséquences. »

La réponse, signée par Jerome A. Bandry, « EU government affairs director » de la multinationale, fut tout aussi policée. « Nous devons malheureusement à ce stade décliner cette invitation. L’information et la consultation sur l’annonce du Groupe Caterpillar doit, conformément aux dispositions légales, se tenir avec et au sein de notre conseil d’entreprise. » Et d’ajouter, de manière sibylline : « Soyez assurés que nous sommes à l’entière disposition de nos partenaires sociaux pour nous engager dans ce processus. »

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L’absence d’interlocuteur

Apparemment bancal sur le plan juridique, ce refus de la direction de Caterpillar de s’exprimer devant les parlementaires n’est qu’une des manifestations d’un vrai problème : quels interlocuteurs la maison-mère propose-t-elle à ses interlocuteurs belges ? Et, surtout, avec quel pouvoir et avec quel mandat ?

La question ne relève pas seulement du droit légitime des salariés qui vont perdre leur job d’être traités avec un minimum de respect, comme du reste des représentants de la Nation. Elle pose aussi des problèmes très pratiques. « Nous attendons toujours que la maison-mère nous précise dans quel cadre nous pourrons discuter avec Thierry Hansen », le directeur opérationnel de Gosselies, nous glisse-t-on dans l’entourage du gouvernement wallon.

Une situation qui se répète

Pareille question n’est du reste pas neuve. Elle est récurrente dès lors qu’une décision funeste est annoncée par une multinationale. Lors de la fermeture de la phase à chaud d’ArcelorMittal à Liège, par exemple, il est rapidement apparu que la direction locale n’avait que peu de pouvoirs, devant systématiquement en référer à l’échelon supérieur (à Luxembourg, voire à Londres) dès lors qu’une étape cruciale du dialogue social devait être franchie.

Les sous-traitants de l’entreprise sont eux aussi en attente. Plusieurs d’entre eux, directement actifs dans l’enceinte du site de Gosselies, y ont mobilisé des ouvriers sans savoir s’ils pourraient effectivement travailler. « Les informations venant de Caterpillar restent parcellaires à ce stade quant à une reprise de la production et plus globalement sur le calendrier de la fermeture », dénoncent-ils.

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Un rendez-vous avec la direction

Mais c’est surtout du côté syndical qu’on s’inquiète. Même si un rendez-vous a finalement été fixé avec la direction locale, lundi prochain, afin d’entrer dans le vif du sujet de la première phase d’information et de consultation de la procédure Renault, les représentants du personnel craignent n’avoir affaire qu’à une direction totalement soumise aux injonctions venues d’en haut. « La confiance est évidemment rompue », commente Antonio Cocciolo, président de la FGTB-Métal Hainaut-Namur.

Et le permanent d’ajouter : « Nous venons d’apprendre que la supervision de la procédure sera assurée par le vice-président du secteur des excavatrices. » Et de se tourner vers un collègue. « Comment s’appelle-t-il déjà ? Ah oui, Bob De Lange ! » Un homme dont le CV mentionne tout de même qu’il est responsable mondial du segment « pelles hydrauliques sur pneus et à chaînes », et qu’il est natif d’Anvers, titulaire d’une maîtrise en ingénierie mécanique de l’UCL. Viendra-t-il pour autant à Gosselies ? « Nous n’en avons pas la moindre idée, nous ne l’avons d’ailleurs jamais vu. »

Le verraient-ils que cela changerait finalement quelque chose ? « Lors de la précédente restructuration de 2013, on nous avait assuré que l’objectif était de sauver l’usine », relève un délégué. « Mais on voit où cela nous a menés. Quels que soient les hommes, c’est la soumission de cette entreprise au diktat de ses actionnaires qui est la seule réalité. »

 

Caterpillar: Raoul Hedebouw veut «faire rendre des comptes à la multinationale»

Il est partout. Plus encore depuis quelques jours et l’annonce de la fermeture de Caterpillar. Dans un entretien accordé au Soir, le porte-parole du PTB, relance son message : il faut « aller au combat ».

- Temps de lecture: 4 min

Depuis quelques jours et l’annonce de la fermeture de Caterpillar, Raoul Hedebouw milite. Le porte-parole du PTB, relance son message : il faut « aller au combat ».

Le PTB n’est-il pas un peu décalé ? Vous parlez de « combat », les autres visent la reconversion, voire la reprise du site…

C’est le débat que nous avions connu après Ford Genk, Opel Anvers, Arcelor : peut-on oui ou non remettre en cause la décision d’une multinationale qui ferme un site pour faire de plus en plus de profit ? Quelques jours ont passé, et déjà on renonce ? On a là une multinationale qui « exporte » des capitaux sous forme de dividendes – 1,4 milliard d’euros – pour les actionnaires… On ne peut pas l’accepter. La direction ne daigne même pas venir au parlement ! Elle n’a rien à f… de la démocratie. Donc, oui, il faut être dans le combat. Et agir. Par une réquisition. Qui permet une saisie, ce qui crée un rapport de forces pour discuter et négocier avec la société.

Mais la réquisition, ce n’est pas prévu par la loi.

Quand on a renfloué les banques en 2008, on a fait de l’aide illégale aux entreprises, on a fait sauter le verrou en 24 heures ! La propriété privée a des limites en Belgique, la Constitution l’indique : il faut veiller à l’intérêt public. Il est en danger aujourd’hui, donc on peut agir.

Il faut une loi ?

Un arrêté royal. Avec une réquisition, on pourra négocier avec Caterpillar, et exiger de répartir autrement les quotas de production entre les différents sites de l’entreprise.

Mais n’est-ce pas une logique de sanction ? Faire mal plutôt que créer quelque chose pour l’avenir ?

Mais moi je pars du bilan de Ford Genk, d’Opel, de la sidérurgie… Il ne faut pas vendre des rêves aux gens en disant qu’on va relancer notre tissu industriel avec quelques spin offs ! Les Etats sont garants de la défense de leurs citoyens, ils doivent prendre des mesures pour toucher les multinationales, là où ça leur fait mal : le pognon. Je ne dis pas que la voie est facile, mais qu’on ne doit pas passer tout de suite à la discussion sur la reconversion. Les lignes bougent. D’autres responsables s’ouvrent, je le crois, à l’idée de la réquisition.

Ce qui va effrayer les investisseurs…

La politique de chouchoutage est sans issue. Les intérêts notionnels déductibles, la préservation des filiales financières… Tout ça ne donne rien. On le voit bien. Alors ? En Belgique, c’est trop facile de licencier. D’où Caterpillar, IBM… Là aussi, il faut réagir, réintroduire des règles. Normalement, la loi Renault, c’est pour rechercher des alternatives industrielles, pas pour plancher sur les reconversions, sur les prépensions. On doit oser sortir des sentiers battus. Refuser le fatalisme. En 1997, on voulait fermer les forges de Clabecq, aujourd’hui il y a encore 600 travailleurs.

Pieter Timmermans, patron de la FEB, parle d’une possible opportunité : se débarrasser de la vieille industrie pour l’économie de demain…

Mais Caterpillar, ce n’est pas la « vieille industrie », c’est la haute technologie. Une nation ne peut pas se développer sans avoir une production industrielle. Il faut arrêter de faire croire qu’on va tout régler avec l’économie de la connaissance. On a besoin de logements, on a besoin de constructions, et… on ne peut pas les construire parce qu’il y a le carcan de l’austérité et que les rentiers s’approprient le gâteau financier.

Vous oubliez l’exigence de compétitivité. C’est une réalité.

C’est le dogme. Si on avait parlé de la compétitivité au moment du débat sur la journée des huit heures, il n’y aurait jamais eu de journée des huit heures. Il faut s’affranchir de ces discours, c’est ce que fait le PTB. Cela fait un peu « nouveau » au Parlement car on vient avec d’autres mots, on sort du cadre. Je suis décomplexé car on a le sens de l’histoire avec nous.

Paul Magnette vous a crossé : vous êtes le cadet de ses soucis.

Mais c’est vrai : il ne doit pas se faire de soucis, nous renforçons la gauche.

Sur Caterpillar on assiste plutôt à la division de la gauche…

Il y a le débat dans la gauche mais surtout le débat avec les libéraux, avec lesquels on n’a aucun point commun. Avec le PS, Ecolo, on a des points communs, c’est important. Mais souvent, on zoome sur le match dans le match.

Mais vous avez déclaré que vous n’irez pas au pouvoir avant 10 ou 15 ans…

C’est important qu’on comprenne bien mon raisonnement… Nous sommes en Belgique dans des gouvernements de coalition. Et la question qui se pose, c’est : avec qui aller au pouvoir ? Je soutiens que si l’on reste dans le cadre des traités d’austérité européens, rien n’est possible, et il ne faut pas compter sur le PTB. Mais si le PS et Ecolo veulent sortir des textes qu’ils ont votés jadis et se remettent en question, le PTB est prêt.

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