Un camp de migrants aux allures de village

J e sais que vous venez de loin mais vous pourriez revenir dans deux ou trois jours ? » En plus de régler les innombrables questions d’ordre logistique, les bénévoles du Parc Maximilien ont eu la délicate mission de refouler les généreux donateurs qui avaient pris le volant en cette matinée dominicale, depuis Anvers, Mons ou Gand, pour porter secours aux migrants. « Tout est plein » Malgré l’appel à la suspension des dons, largement relayé sur les réseaux sociaux, on ne comptait plus les véhicules en double file et les coffres qui se vidaient le long des boulevards Roi Albert II et Simon Bolivar. Ni les familles entières qui avaient fait le déplacement, les bras chargés de vêtements chauds, de couvertures et de nourriture. « Des membres d’associations, et même quelques particuliers, arrivent carrément à bord de camions chargés de matériel. Bien sûr que nous sommes ravis de cet élan de générosité mais on n’a pas la place pour stocker tout ça », se désole Pierre, bénévole en charge de l’accueil et de l’orientation. « On avait encore de l’espace il y a quelques jours mais là… tout est plein. » Dans un premier temps, caisses et sacs excédentaires ont été expédiés dans des locaux occupés par des sans-papiers, à quelques centaines de mètres du Parc Maximilien. Mais dimanche midi, déjà, la capacité de stockage était atteinte. Alors, pour éviter de frustrer ces généreux donateurs contraints de repartir avec leurs colis sous le bras et risquer ainsi de les couper net dans leur élan, les bénévoles proposent deux options : garder leurs dons et ne revenir que lorsque la demande se fera à nouveau pressante, ou bien les déposer au Petit Château, le centre d’accueil des demandeurs d’asile. « On préfère jouer carte sur table et laisser le choix : on sait que ces gens se sont engagés à aider les migrants mais pas forcément les occupants du Petit Château. » Des demandeurs d’asile qui, plaide Pierre, ont été les premiers à accueillir les migrants avant que les bénévoles et les associations ne prennent le relais. Il ne faudra sans doute pas attendre bien longtemps avant qu’un nouvel appel à la solidarité des Belges ne soit lancé. À l’heure de l’ouverture des portes de l’Office des étrangers, ce lundi, il en sera sans doute arrivé d’autres. Beaucoup d’autres. « L’afflux dans les pays européens dépend entre autres de la manière dont les migrants sont accueillis et dont les dossiers sont traités. S’ils savent qu’en Belgique, ils seront bien traités, c’est normal qu’ils souhaitent venir ici plutôt qu’en Hongrie. » De migrant à bénévole L’accueil des Belges, Yasser en est agréablement surpris. « Je ne connaissais rien du pays, ni des Belges. C’est une chance que d’être ici », estime ce jeune Irakien de 27 ans. En attendant son rendez-vous à l’Office des étrangers, Yasser a proposé de mettre ses connaissances linguistiques en anglais et en arabe au service de la collectivité. Il a donc été affecté aux services accueil, renseignement et traduction. « Ces personnes ont fui une réalité amère et ont enduré un pénible voyage, il est de mon devoir de les rassurer, comme les Belges l’ont fait pour moi », dit-il. De la chance, Alia, Syrienne, estime aussi en avoir eu. « En Algérie où nous vivions, nous avons essentiellement vécu de la générosité des citoyens. Mais après deux ans, le niveau de vie est devenu trop élevé. Et le salaire de mon mari servait à peine à payer le loyer », raconte-t-elle. Sur le conseil d’amis, le couple a donc décidé de gagner la Belgique. « Nous allons regretter l’hospitalité des Algériens. Ils sont arabo-musulmans et ont connu le terrorisme. Ils sont très compréhensifs par rapport à notre situation, disais-je constamment à mon mari. Mais les Belges se sont révélés très accueillants », précise Alya. Dans le camp depuis une semaine en raison du manque de places dans les centres d’accueil, elle a vu la situation évoluer. « C’est devenu un petit village. Il y a une tente pour les soins, un côté cuisine, un côté dons, un espace jeu pour les enfants et un terrain de foot. C’est très émouvant de voir ces jeunes bénévoles se donner autant pour nous. Nos enfants grandiront en ayant en tête cette dette morale qu’ils ont envers les Belges », poursuit-elle. Un avis partagé par bien d’autres réfugiés rencontrés dans le camp. Omar, un boxeur irakien de 30 ans, n’y vit plus. Mais il y retourne régulièrement pour « apporter de l’aide aux nouveaux » et, « admirer cet élan de solidarité que je n’ai vu nulle part ailleurs » avoue-t-il. Ce qu’il apprécie le plus en Belgique, c’est d’être valorisé. « Quand on a Omar pour prénom, une oreille percée, un tatouage au cou et un niveau d’instruction peu élevé, autant dire qu’on cumule les torts. Et ce n’était pas mieux en Turquie où je suis resté six mois. On m’a traité de sale Arabe en pensant que je ne comprenais pas le turc. On m’a privé de mon salaire », raconte-t-il. Omar est aujourd’hui confiant et mise énormément sur le futur. « Si j’ai mon permis de séjour, je n’ai plus qu’à apprendre la langue et mon intégration est faite. Cela ne m’effraie pas. Je suis débrouillard. Je pourrais alors entraîner des enfants et poursuivre une carrière en tant que professeur de danse hip-hop et de danse théâtrale. » La Belgique pourra-t-elle satisfaire ses grandes espérances ? Tournoi et fanfare Pour l’heure en tout cas, Omar peut déjà mettre ses talents de sportif et de danseur au profit du « camp ». Plusieurs animations et activités ludiques y sont organisées ou prévues. Un tournoi de football a déjà été planifié. Il oppose les équipes de bénévoles à celles des réfugiés. Samedi soir, une fanfare s’est rendue au Parc Maximilien pour un spectacle en faveur de ses « occupants ». D’autres activités sont prévues, notamment un concours de dessin d’enfants sous le thème de la migration. Reste que, malgré les mesures mises en place pour donner au camp des allures de « village » et rassurer les migrants sur leur sort, la question de la suroccupation des lieux va inévitablement se poser si de nouvelles infrastructures d’accueil ne sont pas rapidement mises en place. Le risque que les bénévoles ne s’essoufflent et que le camp ne finisse, au fil des semaines, par prendre des allures de ghetto, n’est pas exclu non plus. Les volontaires, surtout ceux disposants de compétences particulières (coiffeur, menuisier, barbier, enseignant…), sont d’ailleurs attendus avec impatience pour faire face aux nouvelles vagues de migrants et éviter (ou retarder) le chaos.

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