Bernard Wesphael, le «ponte d’Ecolo» désenchanté

Bernard Wesphael aurait préféré d’autres biographes que ces policiers liégeois commis par la juge d’instruction Pottiez le 17 janvier 2014 à l’investigation « la plus complète et précise possible » sur le passé de l’ex-député Ecolo. La juge brugeoise invitait ces historiens judiciaires à « entendre modestement les employeurs, formateurs ou instituteurs, voisins proches et la famille de l’inculpé ». Elle entendait, selon le phrasé parfois désuet du Code d’instruction criminelle, remonter « le cours de la vie » de Bernard Wesphael, révéler ses « caprices et excentricités », identifier sa « charge héréditaire ». [scald=2378783:sdl_editor_representation] Non pas pour satisfaire aux théories funestes des premiers anthropologues criminels du XIXe siècle qui subodoraient que la prédestination délinquante serait à trouver dans la scrutation des humeurs nées des origines sociales ou des caractéristiques physiques des gibiers de potence. Mais bien pour tracer ce « portrait social » du futur accusé, seul à même d’éclairer les jurés sur les capacités et la volonté de réinsertion sociale de l’éventuel condamné. « L’enquête de moralité » traduit, pour les affaires vouées aux assises, la conception que la justice ne se saisit pas uniquement d’un fait criminel, mais aussi – et surtout – d’un homme auquel il est reproché d’avoir commis le fait poursuivi. Cet équilibre se traduira, dans le procès qui s’ouvre lundi, par la dévolution d’un temps presque également réparti entre les témoins des faits et ceux de la moralité de l’accusé et de sa victime. Bernard Wesphael est mis à nu par cette enquête de personnalité. Elle emporte aussi dans la salle des assises les confidences. Ceux qui furent ses compagnons de vie et de lutte politique, témoins discrets ou expansifs de moments intimes, ne disent rien sur les faits qui se sont produits dans la chambre de l’hôtel Mondo, la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2013. Bernard Wesphael passera le cap des 58 ans le 25 septembre, en plein procès. On ne sait pourquoi, son père, né en 1917 et décédé en 2002, lui donna le même prénom que lui, Bernard. L’ex-député le décrit aux policiers qui l’interrogent comme quelqu’un qui « passait très vite à l’acte dès qu’on le contrariait ». « Il ne parlait que wallon. Régulièrement, il donnait des coups, sans pour autant jamais vraiment blesser. Cet homme m’a terrorisé presque toute ma vie. Ma mère était une femme battue. Cela a provoqué chez moi l’effet inverse, une grande peur de la violence et un combat contre toutes les formes de violence, même verbale. » [scald=2378792:sdl_editor_representation] L’autre procès Wesphael, aux assises en 1956 La violence faite aux femmes, Bernard Wesphael père sait pourtant qu’elle peut être dramatique. La mort de sa première épouse, Paula Sarnaziak, 28 ans, une jeune Polonaise épousée en 1950 et qui lui a donné deux filles, est au cœur d’un procès d’assises qui s’est tenu à Liège en décembre 1956. « L’épouse de Bernard Wesphael » a été victime d’une noyade. Son amant, l’ouvrier de la rue du Pot d’or, Joseph T., 24 ans, l’avait retrouvée la nuit du 24 juin 1955 vers 3h du matin au pont Bonaparte, après une soirée arrosée. Elle espérait renouer avec Joseph, délaissé pour d’autres conquêtes. Pendant la soirée, ce dernier l’avait vue se battre avec un autre amoureux. Le ton était monté. Des coups avaient été échangés. Elle avait basculé dans les eaux de la Meuse, « sans un cri », selon l’acte d’accusation. Au procès, son mari, Bernard Wesphael père l’avait décrite avec dépit comme une « dévoyée » que le mariage « n’avait pu remettre sur le bon chemin ». Les témoins la racontèrent alcoolique et violente. Joseph T., malgré ses aveux (il l’avait attrapée par le cou), fut acquitté, délaissant la mort de l’épouse infidèle à une cause accidentelle ou suicidaire jamais établie. Ce drame est inscrit discrètement dans la mémoire familiale. Bernard Wesphael, né d’un deuxième mariage, en fait brièvement état devant les policiers lancés dans l’établissement de son passé. Il parle, en se trompant, d « assassin condamné ». Sa demi-sœur (et fille de la victime) évoque « une noyade au pont d’Amecœur et un procès », sans autres précisions. Le jeune Bernard souligne les difficultés de son enfance : « J’étais un enfant écrasé physiquement et psychologiquement. » Il décroche avec peine son diplôme de primaire, obtenu malgré un échec en calcul, et quitte l’Ipes de Waremme à 16 ans. Il est engagé à la « râperie » où sont disloquées les betteraves, puis comme saisonnier dans une sucrerie à Geer. Sur le tard, à 29 ans, il décrochera un diplôme d’éducateur. Il soutient aussi avoir décroché une « licence en gestion de l’environnement » qu’il n’a jamais achevée. Ce vide scolaire, source d’une marginalisation ressentie au sein d’un monde politique essentiellement universitaire lui pèse, notent les policiers. Chassé de l’armée A 18 ans, Bernard Wesphael rejoint l’armée comme volontaire temporaire, avec un contrat de deux ans. « J’étais affecté au 20e d’artillerie qui était un bataillon disciplinaire, explique-t-il. J’étais caserné à Werl, en Allemagne. » Le 20e d’artillerie, où il décroche un brevet de chauffeur, n’était pas un « bataillon disciplinaire », comme il le prétend. Il s’y dit victime des « attitudes irrespectueuses d’un adjudant-chef qui, en plus, avait des comportements abusifs et similaires à ceux de mon père ». Au terme de 13 mois, il est renvoyé. Selon, lui pour « incitation à la mutinerie » et la propagation « d’idées antimilitaristes ». Il soutient avoir subi 168 jours d’arrêt que ses hagiographes traduisent par autant de jours « de cachot », confortant ainsi sa posture politique de réfractaire, de rebelle, d’homme de gauche. La réalité du dossier militaire du soldat Wesphael, matricule R24810 ne renseigne pourtant que… 3 jours d’arrêt de rigueur, 59 d’arrêts simples et 20 consignes pour des négligences banales : le manque d’entretien de sa chambre ou encore du matériel qui lui était confié. Bernard Wesphael garde pourtant l’armée en tête. Plus d’un an après son éviction, il se fait enregistrer comme objecteur de conscience, refusant tout service armé. Il s’est lancé, à ce moment-là, dans les mouvements précurseurs à la constitution d’Ecolo. Il contribue à la création d’une communauté, forte de six couples, centrée sur la production de produits bio à Houtain-Saint-Siméon. Il sera de « Jeunesse et Ecologie », de la « Fédération des jeunes Ecologistes européens ». Autant de rampes de lancement vers une carrière politique commencée modestement au conseil provincial de Liège où, assure-t-il, il fait l’objet de tentatives de débauchage par le PS en échange d’un poste de député permanent. Il refuse « au nom de mes convictions et malgré ma situation sociale et financière qui était difficile ». Ces années sont celles de la précarité, de contrats de CST ou d’emplois limités chez Ecolo. Selon les données de l’Onem, il bénéficie d’allocations de chômage pendant huit ans au cours de la période 1991 à 1999, année qui le voit élu au parlement wallon. Il sort cette année-là de cette incertitude financière qui l’accompagne depuis son enfance. Lui qui aime les belles bagnoles et affectionne aussi le bling-bling va pouvoir respirer. « C’est alors que nous avons pu acheter une maison », témoigne l’une de ses ex-épouses. L’aisance enfin trouvée lui brûle les doigts. Il se fait escroquer dans un projet de ferme bio qui lui laisse une ardoise de plus de 70.000 euros. Il ne paye pas ses impôts en temps et en heure, ce qui lui vaut de nombreuses mises en garde du service des impôts de Liège. Les années de l’invisibilité politique sont aussi celles de rencontres féminines multiples. Bernard Wesphael est séduisant. Il parle habile et pratique l’humour qui plaît. Il aime la fête. Ses conquêtes se multiplient. « Fidèle en amitié, infidèle en amour », résume l’un de ses amis. Ces femmes, de relations anciennes, il les liste devant les policiers, dressant presque un tableau de chasse. Il y en a une quinzaine. L’une, qui a refusé de témoigner, était l’épouse d’un cacique décédé du PS. Il dit de cette maîtresse rencontrée secrètement qu’elle fut l’une de ses relations les plus achevées. Une autre était la sœur, aujourd’hui décédée, d’un président d’un autre parti, qui a déposé durant l’enquête. « On ne quittait pas Bernard Wesphael » Certaines de ces conquêtes sont convoquées devant la cour d’assises pour témoigner de leur parcours de vie avec lui. Une constante s’en dégage. Jamais, déclarent-elles, il n’a porté la main sur l’une d’elles. Il aurait été incapable, s’accordent-t-elles, de commettre le crime qui lui est reproché. Pas capable, donc pas coupable : c’est l’un des ingrédients de la défense de Bernard Wesphael. Leurs affirmations sont toutefois atténuées par ces plaintes pour violences conjugales déposées (puis retirées) dans le cadre d’une procédure en séparation d’une de ses ex-épouses. Il y a aussi un journaliste de la RTBF qui a fait part tardivement à l’avocat de la famille Pirotton d’une scène violente dont il fut le témoin à l’occasion d’un voyage de presse organisé par la province de Liège. Wesphael aurait vigoureusement tiré les cheveux de celle qui était alors son épouse. Ce témoignage tardif n’a pas été retenu par la cour. « On ne quittait pas Bernard Wesphael », soutient l’une de ses anciennes compagnes. C’est lui qui partait. Ou qui laissait découvrir, comme un coq, ses relations extraconjugales. A.C. parle d’une « relation déstructurante » dont elle a eu la chance « de s’en sortir ». V.K était tombée en dépression lorsqu’elle avait appris que Bernard Wesphael avait eu un enfant avec A.I., une militante écologiste bulgare rencontrée lors d’un congrès. Une autre raconte qu’un soir, elle avait entendu une personne pénétrer dans sa chambre et lui dire que, bientôt, le lit où elle se trouvait serait le sien. L’amant Wesphael a surtout une maîtresse préférée : la politique. « Il était un notable d’Ecolo, dit de lui Jean-Michel Javaux, l’ancien co-président. En 2003, nous avons été opposés à la présidence du parti. C’est à partir de ce moment-là que nos relations sont devenues plus difficiles, car Bernard méritait une attention particulière. Il aimait bien être en opposition à la ligne du parti, par le besoin d’avoir une reconnaissance propre. C’était quelqu’un qui avait une facilité à pouvoir être soutenu par des franges qui se sentaient minoritaires. » Wesphael, le rebelle permanent. Ceux qui l’ont côtoyé au parlement wallon se souviennent d’un député tenace, bosseur, généreux, décrypteur de dossiers, dont celui des contrats de révisorat accordés aux bureaux liés à Michel Daerden, le ministre du Budget. Ouvert et habile avec la presse. Jacky Morael, ex-sénateur Ecolo le qualifie « d’écorché vif. Il a un complexe du fait de ne pas être diplômé de l’université, ce qui, à mon avis, explique son rapport à la vie. Il devait prouver malgré tout qu’il pouvait faire de grandes choses. Il a toujours eu une soif de reconnaissance ». La déception Cette reconnaissance, il ne l’obtient pas au sein d’Ecolo. « L’ancien » élu député en 1999, réélu en 2004 et 2009, très populaire dans son arrondissement de Liège (11.209 voix en 2009) a échoué à la présidentielle des Verts en 2003, puis en 2012, lorsque son ticket avec Marie Corman ne recueille que 15 % des voix des membres. Ses relations avec la hiérarchie du parti sont compliquées. Aux polls du parti en 2004, il a ravi la place aux ministres sortants Daras et Detienne. Le rebelle ne s’accorde pas en interne avec la ligne du parti. « On ne pouvait pas lui faire confiance », confie l’un des membres de la direction. Il ne parvient pas à décrocher un maroquin ministériel, pas plus que la présidence du parlement wallon, attribuée à la « nouvelle venue », Emily Hoyos. Le 26 mars 2012, trois semaines après son échec à la présidence d’Ecolo, face au tandem Emily Hoyos-Olivier Deleuze, doublé (surtout) de son échec à remplacer Hoyos à la présidence du parlement, lui, le chef de groupe Ecolo, il quitte le parti. Il crée le Mouvement de gauche, inspiré du mouvement de Mélenchon, refuse de se fondre dans Vega par crainte de ne pas être réélu. Il ambitionne 10 % des suffrages en terre liégeoise. Il change de parti. Il change de vie. Vite, trop vite. Il rencontre à ce moment Véronique Pirotton qu’il espère être la « femme de sa vie ». Il l’épouse au bout de trois mois d’une relation entreprise à la terrasse d’un café. Il ne sera pas réélu.

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