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Mort d’un grand professionnel qui ne croyait pas aux paillettes de l’information

Marc Charlet, alias Jean Sloover, alias Jacques Emond nous a quittés ce mercredi à 73 ans. Il laisse un groupe de journalistes orphelins d’un gourou exigeant, qui avait fait de la rigueur une religion, et de la fête, un devoir. Hommage.

Commentaire - Editorialiste en chef Temps de lecture: 4 min

Il n’y avait pas plus têtu ou grognon, mais il n’y avait pas plus exigeant, plus rigoureux et sceptique. Il y avait donc chez cet homme que nous avons tant respecté et surtout tant aimé, tous les ingrédients pour faire un excellent journaliste. Qui ne scrutait pas les paillettes mais les chiffres, qui ne croyait pas au bla-bla mais aux bilans, qui n’était pas intéressé par les patrons providentiels mais par les résultats.

Jacques Emond, c’était son vrai nom, nous a quittés ce mercredi, après un cancer foudroyant. Les lecteurs des pages économiques le connaissent sous deux noms de plume : Marc Charlet et Jean Sloover. Ou encore sous la signature de Jacques Emond, pour son livre consacré aux Privatisations en Belgique de 1988 à 2008.

C’est comme « Jean Sloover » qu’il a commencé sa carrière de journaliste au Soir. Économiste dans un organisme public, il avait rejoint avec un de ses collègues, l’équipe qui concoctait chaque semaine le supplément économique que venaient de créer Yvon Toussaint, le rédacteur en chef et Catherine Ferrant, la cheffe du service politique et économique. Les deux « Sloover », le grand et le petit, rédigeaient notamment une fiche technique qui décortiquait la santé d’une entreprise belge, exercice inédit à l’époque et qui fut très vite redouté. Dans la foulée, le « petit Sloover » se spécialise dans les articles consacrés aux placements financiers et à la gestion des portefeuilles sous le pseudonyme de Marc Charlet, du nom du scientifique de l’expédition Sanders-Hardmuth dans Les sept boules de cristal et Le Temple du Soleil.

Né à On, orphelin jeune d’un père résistant, Jacques Emond avait fait le droit à Louvain, une formation dont il vantait les mérites avec force, estimant qu’elle insufflait le souci de la rigueur, des textes et du détail. Il nourrissait ainsi une aversion intellectuelle pour les prises de position des journalistes et les interviews, qui, pour lui, ne contribuaient pas à l’éclairage de la vérité.

Au terme de ses (longues) études – le jeune homme s’était beaucoup amusé –, il était sorti premier d’un concours de recrutement de la fonction publique, au nez et à la barbe de ses anciens assistants médusés – anecdote qui l’amusait encore des dizaines d’années plus tard. Il choisit alors d’entrer au Conseil central de l’économie, puis à la Cour des comptes où ses « clients » régionaux redouteront la sagacité des contrôles d’un homme que rien ne pouvait adoucir.

Nous lui devons d’être devenus de bien meilleurs journalistes : qui croisait sa route ne pouvait plus traiter la nouvelle avec superficialité, sous peine de subir un de ses formidables et célèbres coups de gueule. Nous sommes quelques-uns à avoir fait de lui notre gourou et notre partenaire favori de travail… et de soirée. Les « enfants de Charlet », disséminés aujourd’hui à L’Echo, chez Trends tendances, à La Libre et au Soir, se retrouvaient régulièrement avec lui autour de tablées où l’on riait de tout autant qu’on discutait de l’actualité, et cela jusqu’à ces tout derniers jours. Nous sommes terriblement orphelins de ses emportements, de sa mauvaise foi, de son amour des livres et de l’opéra, de sa passion pour l’information et le journal papier, et surtout de l’affection, que sous ses sourcils broussailleux, il nous a portée.

Durant 20 ans, il a tout fait pour empêcher la journaliste, puis la chef du service économique que je fus, de tomber dans le panneau des promesses des grands patrons et des stratégies. Il fut mon plus exigeant partenaire, et mon plus précieux garde-fou. Que d’allers-retours pour suivre les soubresauts du groupe Suez à Paris dans une voiture où sa cigarette avoisinait un bidon d’essence. Que de soirées à éplucher les comptes de la galaxie Frère. Que de planques dans les couloirs du Passage 44 pour happer les bourgmestres qui sortaient des briefings du Crédit Communal et filer ensuite à toute allure vers la rédaction pour que l’info soit dans le journal. Quel délice alors quand, après le bouclage, dans un café encore ouvert, on sirotait un (des) verre(s) de rouge, en refaisant l’histoire de ces entreprises, en respirant la fumée de ses cigarettes.

Jacques Emond est décédé à Namur, magnifiquement entouré de sa joyeuse et fidèle bande d’amis qui avaient fait de l’apéro du vendredi soir à la Taverne Prince Baudouin, un moment incontournable. Il serait très fâché de lire ce texte car, à 73 ans il n’avait pas changé d’avis : une signature au bas d’un article n’est pas là pour servir son auteur mais l’information qu’il détient. Il y a huit jours, alors que nous lui rappelions à quel point nous nous étions amusés durant ces années, ce fils d’Ardennais d’apparence si rugueuse mais si merveilleusement sensible, nous avait répondu : « Oui, mais surtout, on a bien travaillé  ».

 

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