Pierre Mertens ou les effluves du meurtre de Pasolini le maudit

L’écrivain et juriste Pierre Mertens est appelé à témoigner devant les assises du Hainaut le 28 septembre. L’académicien est profondément ancré dans la vie de Véronique Pirotton qu’il connut, étudiante fascinée par son œuvre, femme de lettres, confidente au cours de rencontres répétées avec celle qui aspirait à devenir écrivaine. La veille de sa mort, réfugiée dans sa chambre de l’hôtel Mondo, elle était passée à l’acte littéraire, terminant à la plume sur les feuilles d’un cahier Atoma le 1er chapitre de son premier livre, Irène et alors ? qui se terminait par : « Elle est heureuse. Je suis heureuse : l’âme d’une revanche. » Pierre Mertens aurait aimé compter « Irène » dans les rayonnages de son immense bibliothèque des belles lettres. Elle était étudiante. Il était prof à l’ULB. « Un jour, se souvient-il, je vis entrer dans mon bureau Eric David, professeur de droit international et qui donnait aussi cours en journalisme. » « Il me dit : “Cela ne m’est jamais arrivé et je viens de remettre un 100 sur 100 à un mémoire.” Je ne comprends pas tout de suite. Et il m’annonce : “Le sujet, c’était toi.” » Véronique Pirotton avait entrepris la tâche immense et réussie de tracer les lignes de cohérence entre le Pierre Mertens, observateur aux quatre coins du monde des traumatismes de la planète (la Grèce des colonels, le Biafra, le Portugal, l’Argentine, etc.), en rendant compte aussi dans ses chroniques publiées dans Le Soir depuis 1971, et l’auteur romanesque. Son mémoire intitulé Pierre Mertens, critique et romancier. Un dédoublement le meilleur magnifiait « le besoin du roman ». « La vérité, c’est dans la fiction qu’elle s’installe », disait-elle à Pierre Mertens. « Un regard blême » Ce travail académique l’avait hissée au rang des scrutateurs avertis de l’œuvre de l’écrivain. « Elle avait rencontré des tas de gens, sauf moi. J’ai pris l’initiative de la contacter. Elle voulait se lancer dans ma biographie et retourner partout où mes missions d’observateur international m’avaient entraîné. » Elle s’était retrouvée à ses côtés dans des colloques consacrés à son œuvre, y prenant la parole dans des communications (notamment aux côtés de Paul Magnette ou Régis Debray) sur le thème de la « Vérité de la fiction ». Au fil des années, les deux avaient pris l’habitude de se retrouver dans des restaurants bruxellois, jamais les mêmes. « C’était quelqu’un de radieux, de rayonnant, de cocasse, avec un certain humour triste. » Pierre Mertens se souvient du « regard blême de Véronique » lorsqu’un jour, attablé dans un restaurant, un couple en était venu aux mains. « Je ne comprends pas comment un homme et une femme peuvent en arriver à de telles extrémités », lui avait-elle dit. Depuis le 1er novembre 2013, Pierre Mertens lit avec désolation ce qui se propage sur Véronique Pirotton, réduite à ses excès de boisson, à ses velléités suicidaires (« qu’elle n’était pas »). « C’est très joli de proclamer la présomption d’innocence du suspect mais il doit y avoir, avec autant de force, la présomption qu’elle ne s’est pas suicidée. Tout cela me rappelle un mécanisme que j’avais suivi lors du meurtre de Pasolini, à Rome où je me trouvais à la Toussaint 75. Toute la presse people italienne traitait ce meurtre comme si c’était une sorte de suicide, comme s’il s’était jeté lui-même sur le couteau. Il était loin d’être apprécié, il était vilipendé comme un dragueur de voyous. Il était dit que son meurtre, il l’avait bien cherché. » Véronique Pirotton ne le lui avait jamais dit. C’est grâce à l’académicien, indirectement, qu’elle s’était mariée avec un journaliste grec. Elle l’avait croisé chez Maria P., la traductrice grecque de Pierre Mertens rencontrée dans le cadre de son mémoire. C’est chez elle qu’elle avait fait la connaissance de son futur mari et père de son unique enfant, aujourd’hui orphelin.

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