Quand les migrants font leur journal

Ce jeudi matin, un petit groupe de trente personnes s’est déplacé pour assister à l’enregistrement de l’émission de radio « Exil, un autre horizon » dans les locaux des ateliers Claus à Saint-Gilles. Ce magazine grand format est diffusé en direct sur Radio Campus et Radio Panik. Mr. Diallo, Souleymane Barry, Yahaya Oumarou, Layla Khamirzaeva, Zhim Roman et Hasmik Sarikyan s’installent au micro pour deux heures d’enregistrement. Un animateur est là pour les guider. Chacun leur tour, ils évoquent les raisons de leur présence en Belgique et racontent une partie de leur histoire. Yahaya a la voix tremblante au souvenir de ses premiers pas en Europe. « J’avais des vertiges, c’est comme ci j’étais décédé. Et puis, quelqu’un m’a dit que je devais courir. » Maintenant intégré dans un club d’athlétisme, il est arrivé 17ème au Marathon d’Anvers 2016 et 21ème aux 20 km de Bruxelles. Layla a décidé de parler des difficultés qu’elle a rencontrées lors de son arrivée comme la scolarisation de ses enfants de 5 et 8 ans. Pendant presque un an, ses filles n’ont pas eu accès aux études. Pour Hasmik, c’est l’avenir de son fils de 18 ans qui l’inquiète. Comment va-t-il faire pour poursuivre ses études supérieures ? Avec l’aide de journalistes de l’agence Alter, chaque participant est allé chercher les réponses à ses questions. Les enquêtes, reportages et interviews faites par les migrants se retrouvent dans un journal papier de l’Altermedialab. Selon Nathalie Cobbaut, rédactrice en chef de l’agence Alter, les questions de migration sont souvent abordées « avec le regard de journalistes ». L’avantage d’un projet comme celui d’« Exil, un autre horizon » est de « prendre un autre point de vue qui n’est pas forcément celui du spécialiste. » Surtout, donner la parole à ceux qui ne l’ont pas toujours ou que brièvement, permet de renseigner sur des thématiques auxquels les journalistes n’auraient pas pensé. Chacun a travaillé sur son sujet avec un journaliste professionnel. Hasmik a enquêté sur les solutions de recours pour un étudiant sans papiers. Cela permet aussi d’avoir accès à une information inédite, inaccessible pour un journaliste. Ainsi, Souleymane décrit le quotidien dans un centre fermé. « Je suis allé trois fois en centre fermé. La troisième fois, à Liège, je me suis dit que j’aimerais en dire quelque chose sans savoir quoi. Je prenais des notes quand j’étais déprimé. pour dénoncer ou simplement me souvenir. » Le podcast de l’émission se réécoute en ligne sur le site altermedialab.be. Le journal écrit et la bande dessinée illustrée L’autre monde de Yahaya Oumarou par Lucie Castel se lit sur internet ou se commande via l’agence Alter. « Un Petit Journal » des réfugiés D’autres équipes de personnes installées en Belgique depuis peu ont monté leur propre média. Le JT de la Maison des Migrants sur YouTube et Facebook est un journal télévisé de 15 minutes inspiré de l’émission de Yann Barthès « Quotidien » (l’ex-Petit Journal). « L’idée de départ était de mobiliser les gens autour de la question migratoire, explique un des présentateurs Mohamed Boumediene. On est les premiers concernés, et donc ceux qui peuvent en parler le mieux. » Avec plus de 1.000 vues pour certains numéros – il en existe huit –, ce journal a séduit les internautes par l’humour. Les présentateurs font des saynètes où ils se mettent en scène avec dérision. A chaque édition du journal, un micro-trottoir va confronter les passants à des questions : « Qu’est-ce que tu ferais sans papiers ? », « Qu’est-ce qu’un centre d’accueil ? ». « Le but est de toucher tout le monde, poursuit Mohamed Boumediene, pas uniquement les militants et les personnes concernées à la base par le sujet. » Pour l’instant, les vidéos se sont arrêtées car « La Maison des Migrants », lieu d’accueil autogéré n’existe plus. L’équipe réfléchit à la poursuite du projet. La chaîne « Sans Papiers TV, un média par et pour les sans-papiers en Belgique, disponible sur la plateforme YouTube suit aussi les problématiques des personnes migrantes depuis plus d’un an sur le terrain à travers leurs actions et manifestations. Un éventail de médias alternatifs aussi diversifiés que riches qui ne nous donne plus d’excuse pour ne pas être informé. Parcours filmé avec des smartphones Exode, un million de destins est un documentaire de James Bluemel produit par la BBC et KEO Films et diffusé sur Canal + et Planète +. Il n’est pas encore sur les chaînes belges. Sa particularité est d’être réalisé par des migrants. James Bluemel a confié 75 smartphones équipés de la fonction vidéo à des dizaines de réfugiés afin qu’ils filment leur périple. A travers six parcours dans 26 pays différents, on découvre des images inédites qu’un journaliste ou un cameraman n’aurait jamais pu prendre, des négociations avec les passeurs jusqu’aux conditions de vie des camps aux frontières européennes.

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