Maître Mayence au «Soir»: «Sans les assises, Wesphael aurait été coupable»

Nous avons rencontré Me Jean-Philippe Mayence, l’avocat qui, avec Me Tom Bauwens, a défendu Bernard Wesphael, aujourd’hui acquitté des charges qui pesaient contre lui. Ce procès a, selon Me Mayence, montré à quel point l’oralité des débats et le jury populaire sont précieux. Dans cette interview-vérité, livrée au lendemain du verdict d’acquittement de son client, le ténor carolo règle aussi ses comptes. Avec la justice, avec les médias, mais aussi avec les membres de la commission parlementaire qui ont statué sur le « flagrant délit » du député régional Wesphael. Bernard Wesphael a été acquitté ce jeudi. Aujourd’hui, la justice est rendue ? Oui, la justice est rendue à partir du moment où la justice fait aussi bien son travail. Je ne parle pas finalement du résultat ici, je parle de la manière dont les débats ont été menés et de la manière dont les jurés ont fait montre, à chaque minute, d’une attention tout à fait extraordinaire, scrupuleuse, intègre et sereine. Alors on peut toujours discuter sur une décision judiciaire, chacun peut être d’accord ou pas, mais en tout cas ici on a fait tout ce qu’il fallait pour que la décision soit la vérité réelle. On y a pris le temps, on a fait les choses avec sérieux. Vous parlez de « vérité réelle »… Relève-t-on souvent des erreurs dans des dossiers comme ceux-là ? Il n’y a pas seulement le problème de l’erreur, il y a le problème de la partialité. On a souvent dans des dossiers de cour d’assises, voire dans des dossiers correctionnels, une vision de départ qui est un parti pris, on n’en peut rien, les hommes et les femmes sont faits comme ça. Dans cette affaire, on s’est rendu compte que l’objectivité n’était pas là puisque le seul but recherché était, au fil de l’enquête, de faire coller les différents éléments au scénario retenu au départ par les enquêteurs et la juge d’instruction. Et quand les éléments ne rentraient pas parfaitement bien dans la case, on les aménageait, c’est-à-dire qu’on ne mettait pas tout dans le PV ou qu’on en rajoutait alors que c’était pas nécessaire ; on parlait par exemple des attitudes de Monsieur Wesphael en disant qu’il rougissait quand il y avait des contradictions, on mettait cela dans des petits PV de renseignements. Il y avait ainsi une série de choses qu’on ne trouve pas normalement dans des dossiers répressifs ; si nous n’avions pas eu l’occasion de confronter ça à la réalité par un débat oral, on n’aurait jamais pu les mettre en exergue. [scald=2415980:sdl_editor_representation] L’oralité du procès d’assises, c’est ce qui a sauvé Bernard Wesphael selon vous ? Si Bernard Wesphael avait été jugé avec les seules expertises psychiatriques et médico-légales qui figuraient dans le dossier, il aurait été condamné. Si pour lui on n’avait pas accepté de se battre comme on s’est battus, Tom Bauwens et moi, en y passant du temps comme on l’a fait pour des cacahuètes sur le plan financier ; si on n’avait pas eu des experts qui sont des sommités mondiales et qui ont accepté de faire une contre-expertise à des tarifs assez bas, il aurait été condamné… Quand on parle des assises, qu’est-ce qui compte ? Est-ce de faire l’économie la plus grande ou est-ce d’être le plus près possible de la vérité judiciaire, je ne vais pas dire quel qu’en soit le prix mais à un prix le plus raisonnable possible ? Voilà la vraie question ! Il faut savoir dans quel monde on a envie de vivre, c’est tout. Avec Tom Bauwens, on a accepté de faire tout ça pour un tarif qui ne représente pas 5 centimes de l’heure par rapport à la masse de travail. Il faut quand même être conscient de ça, parce qu’on a été pris dans le tourbillon et qu’une fois qu’on commence quelque chose, on va jusqu’au bout ! Et bien, ça devient comme ça pour les magistrats professionnels aussi : on leur demande de faire de plus en plus avec des conditions de plus en plus difficiles. Alors nous on peut parfois le faire, les magistrats le font aussi parfois, mais tout le monde ne le fait pas… On arrive ainsi à une certaine forme d’injustice dans la justice. [scald=2415976:sdl_editor_representation] Quel est le moment qui a fait, selon vous, basculer le procès ? Ces expertises ? Il faut se rendre compte que l’expert toxicologue qui avait été désigné par la juge d’instruction n’avait pas analysé les effets des médicaments avec l’alcool, ce qui est pourtant la base d’une analyse toxicologique ! Il a examiné chaque point séparément en disant : « il n’y a pas de dose létale »… La juge d’instruction a confirmé au procès que cette mission n’avait pas été sollicitée, et quand nos experts sont venus dire que Madame Pirotton a pu décéder d’une intoxication alcolo-médicamenteuse, on a posé la question à l’expert médico-légal : il nous a répondu qu’il ne pensait pas que ce soit l’hypothèse la plus probable, mais qu’il ne pouvait pas l’exclure. C’était fini. A partir du moment où les experts judiciaires sont venus dire non seulement qu’ils ne pouvaient pas l’exclure mais qu’en plus ils ne l’avaient pas étudié, le procès a basculé. Comment avez-vous vécu ce long procès et son hypermédiatisation ? Très difficilement sur le plan personnel car préparer ce dossier a pris un temps incommensurable. Mais j’ai eu la chance de faire ça avec Tom qui est comme moi un bosseur, qui est rigoureux. A partir du moment où on a pris cette affaire, nous avons voulu le faire à fond, en allant, du coup, à l’encontre de ce qu’à l’époque tout le monde pensait. Sur le plan des médias, on a eu l’impression de se battre contre des moulins ! On a eu des fuites qui ont fait que des parties du dossier, toujours à l’instruction, se sont retrouvées dans la presse ; on a eu droit à des émissions télé dans lesquelles on essayait à la limite de faire des reconstitutions avec des médecins légistes qui n’ont pas eu le dossier. Puis on a eu affaire à des journalistes qui ont pris des positions définitives qui me paraissaient totalement contraires à la déontologie de base : on peut avoir son avis, on peut ne pas être d’accord avec ce que nous pensons, mais je crois que la déontologie, c’est quand même de garder le fait que la décision finale va être rendue par des citoyens ! Alors n’est-ce pas nier à la fois la présomption d’innocence et le respect du citoyen qui va devoir rendre justice que de vouloir s’y substituer ? Faut-il, selon vous, en tirer les leçons ? Je pense que cela doit entraîner une réflexion non seulement sur la cour d’assises mais aussi peut-être sur la modération qu’on doit avoir par rapport à tout ça. Comment se sentent aujourd’hui les journalistes qui ont affirmé ces choses avec tant de force, cela m’importe peu. Mais le plus grave, c’est qu’on a fait croire aux parties civiles que les choses étaient évidentes, que Bernard Wesphael était coupable, et au fils de Madame Pirotton, à Victor, on lui a fait croire des choses contraires à la réalité ! C’est ça qui est plus difficile à reconstruire, on a créé un fossé entre les gens alors que peut-être cette famille aurait pu venir au procès en se disant « on a une petite conviction, mais on va quand même voir au procès comment les choses vont se passer et puis on appréciera ». Non, ils sont arrivés avec le couteau entre les dents parce qu’on les avait désinformés. On les a instrumentalisés et puis aujourd’hui, tout le dégât dans ces différentes familles, tant pis. Ils vont devoir le gérer eux, de leur côté, et Monsieur Wesphael du sien. [scald=2415979:sdl_editor_representation] Vous avez senti une certaine hostilité, dans le grand public ? On a refusé de communiquer avant le procès, donc jusqu’au jour du procès, on était absolument matraqués et personne n’a imaginé que notre client puisse être acquitté. Mais dès que devant la cour d’assises, à l’endroit où cela devait être fait, on a déposé un acte de défense de 50 pages, c’est-à-dire qu’on a mis tout sur la table, de manière claire et d’emblée, je crois que les choses ont changé. J’ai reçu beaucoup plus de mails d’encouragements que de mails contenant des horreurs, et j’ai eu l’impression que dans la population et dans mon entourage direct d’ailleurs, il y avait une certaine forme de révolte par rapport à la manière dont le traitement médiatique avait été fait et l’idée qu’on l’avait déjà jugé coupable avant même qu’il ne se défende. J’avais plus un sentiment de forme de sympathie autour de moi. J’ai reçu jeudi soir au moins 200 messages venant de partout, parfois des gens que j’ai défendus aux assises dans d’autres affaires, pour dire qu’ils étaient contents, que la justice avait parlé. Pour moi, c’est plus important que n’importe quoi. J’ai d’ailleurs été assez peu présent dans les médias ; les gens qui ne me connaissent pas parlent de mon égo mais je n’ai pas d’égo par rapport à ça. Tom et moi avons fait notre boulot, mais c’est le jury qui a décidé. On peut imaginer tout de même que vous êtes heureux du résultat… Évidemment que je suis super content, nous avons travaillé comme des fous ! Mais le verdict a été rendu par un jury, c’est le jury qui a dit que Monsieur Wesphael est innocent, ce n’est pas moi. C’est vrai que je n’ai jamais plaidé 6 ou 7 heures en cour d’assises, mais ça me paraissait important de reprendre tout depuis le départ pour ouvrir les yeux de tout le monde sur la manière dont les choses s’étaient déroulées, en repassant notamment par la Commission du parlement wallon qui n’a pas fait son job. Vous avez une certaine rancœur envers les députés qui se sont prononcés sur le flagrant délit ? Ils n’ont pas eu le dossier, ils ont travaillé sur base de ce qui a été dit, d’abord par moi (et ils m’ont tous regardé en rigolant) et puis en entendant la juge d’instruction et le procureur. Et sur cette base-là, ils ont établi que le flagrant délit était établi… Qui peut dire ça ?! Alors qu’au procès, la juge d’instruction a reconnu qu’elle n’avait rien sur l’assassinat depuis le départ mais que Monsieur Wesphael est quand même resté détenu pendant 10 mois pour assassinat ! Et il a été privé de liberté à 23h05 alors qu’il est descendu à la réception à 22h58 ! Qui peut parler de flagrant délit alors qu’aujourd’hui, 3 ans après les faits, on est encore en train de discuter de la cause de la mort ? Et les parlementaires, à ce moment-là, ils ont couvert ! Et bien je crois que maintenant, ils doivent tous regarder un petit peu dans leur assiette et se poser les vraies questions, et ceux qui me faisaient leur petit sourire en se disant celui-là raconte n’importe quoi, et qui pourtant étaient des juristes et des avocats, et bien je leur renvoie clairement l’image de ce verdict d’acquittement et je leur demande de le regarder en face ! [scald=2415978:sdl_editor_representation] Ce procès est donc pour vous un véritable plaidoyer pour les assises… Oui car pour moi, le débat oral a cet avantage de permettre de refaire tout, et donc de pouvoir constater s’il y a eu des erreurs, d’éviter le parti pris. En outre, les enquêteurs savent, à partir du moment où un dossier est susceptible d’aller devant la cour d’assises, qu’ils vont devoir répondre oralement de leur enquête devant des gens qui vont pouvoir en effectuer le contrôle. Si ce n’est plus le cas, s’il n’y a plus de juge d’instruction comme on envisage éventuellement de le faire et s’il n’y a plus de cour d’assises, et bien ce contrôle citoyen ne pourra jamais se faire ! Puis au-delà de l’oralité des débats, il y a quelque chose d’essentiel qui est la participation du citoyen à la justice… On est quand même dans un monde où l’apparence est très importante ; à partir du moment où il n’y a pas de regard du tout du citoyen sur la manière dont les choses se passent, cela devient extrêmement dangereux parce qu’on peut avoir toute une série d’idées. Ce regard du citoyen par le biais du jury populaire, il permet également de se rendre compte de la difficulté de rendre justice. Il y a ce procès-ci, mais il y a eu le procès Cools, le procès Dutroux : imaginez que ce soient des juges professionnels qui aient acquitté Michel Nihoul, quoi ! Qu’est-ce que cela aurait créé comme idées préconçues ! Certains sont pourtant sceptiques face au jury populaire… Je répète chaque fois cette phrase de Charles Peguy : un juge habitué est un juge mort pour la justice… C’est vraiment ça, en cour d’assises on a des gens qui arrivent avec une virginité totale, qui sont là avec la volonté de faire les choses le mieux possible. Et les questions de droit qui leur sont posées, excusez-moi mais c’est d’une simplicité ! C’est l’intention de tuer, la notion de provocation, la notion de préméditation, il ne faut pas avoir fait 5 ans d’études pour en discuter… Alors oui, on évoque le coût de ces assises, mais il faut savoir ce qu’on veut : la justice la plus difficile, la plus délicate à rendre, elle a un prix. C’est au préjudice d’autres affaires ? Peut-être ! Mais moi, je fais une différence entre les affaires d’argent, par exemple, et les affaires où il est question de la vie des gens. C’est une question d’appréciation ! Que pensez-vous du projet d’assises 2.0 de Koen Geens ? J’ai 3 procès d’assises correctionnalisés prévus pour les 2 prochaines semaines, dont deux doubles assassinats. J’y suis partie civile et le tribunal correctionnel, que ce soit à Namur ou à Charleroi, a dans les deux cas estimé qu’il n’y avait pas lieu d’auditionner des témoins. Ce n’est pas qu’on nous l’a imposé, mais on considère qu’il n’y a pas lieu d’auditionner des témoins parce qu’il n’y a pas d’élément spectaculaire à en tirer. Enfin, on ne sait pas : si on les avait entendus, quelque chose allait peut-être arriver… Je ne dis pas que c’est mal, mais c’est un fait : ça se passe en une après-midi, même pas en une journée ! Je représente les victimes, dans ces dossiers, et voilà l’importance qu’on va avoir l’impression qu’on leur accorde. A la limite, on ne sait même pas s’ils auront l’occasion de s’exprimer… Ces assises 2.0, de nouveau, c’est un truc qui se décide en fonction de l’opinion publique. Quand on lit les journaux flamands, on se rend compte que tout ce qu’ils écrivent maintenant est relatif à la question de la cour d’assises et à sa conservation. On va en discuter avec qui ? Parce que Koen Geens, qui était un avocat absolument formidable, n’a, je pense, jamais plaidé en cour d’assises ! Il sera important d’en parler avec des professionnels. En tout cas, dans l’affaire Wesphael, des politiques ont été auditionnés comme témoins avec Jean-Michel Javaux chez Ecolo par exemple, Benoît Lutgen au CDH parce que sa sœur avait vécu avec mon client, Christine Defraigne du MR qui a été entendue à l’audience… Ce sont tous des gens de partis différents et je crois que même s’il n’y en a qu’une qui a été entendue à la cour d’assises, ils se sont rendu compte de l’importance que ça peut avoir. Ils sont élus par le peuple, et quand tout le peuple dit qu’il est important de garder une cour d’assises, à un moment donné il faut savoir écouter les gens ! La justice est un service public, on ne peut pas arriver à une situation où la justice va être rendue comme ça avec des moyens qui ne sont pas acceptables ! Évidemment, il y a des choses qu’on peut améliorer, mais on ne peut pas le faire au détriment de la qualité et pour l’instant ce que je crains, c’est justement que cela se passe au détriment de la qualité. Qu’avez-vous fait après le verdict et qu’avez-vous prévu pour les prochaines heures ? Après la lecture de l’arrêt, je suis resté un petit peu avec mes proches et mes collaborateurs et avec Tom, on a bu un verre dans le palais, puis je suis allé manger un petit bout, pas du tout avec le client, et je suis rentré chez moi. Je croule sous le travail qui s’est accumulé mais ce vendredi matin, je me suis accordé 2 heures de décompression puis c’était la présentation des stagiaires à l’apéro du barreau. Je suis allé, car mon fils est avocat depuis lundi. J’ai préféré être auprès de lui plutôt que d’aller sur les JT.

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