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Le jeu de rôle des Belges pour reséduire les Japonais

En visite d’Etat, le couple royal et les ministres-présidents ont chacun leurs cartes pour convaincre les touristes de revenir en Belgique et les investisseurs de consolider leurs relations avec nos entreprises.

- Cheffe adjointe du service Politique Temps de lecture: 8 min

Après les attentats de Bruxelles, le tourisme nippon dans notre pays a chuté. Les autorités japonaises n’ont pas déconseillé les voyages en Belgique, mais invité leurs citoyens à la vigilance dans les lieux publics. La visite d’Etat que le Roi et la reine ainsi que les ministres-présidents des entités fédérées effectuent cette semaine au Japon tombe donc à point pour ré-attirer les touristes nippons mais aussi pour consolider nos relations économiques, académiques et culturelles.

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Et à Tokyo, Nagoya ou Osaka, chacun joue son rôle pour y parvenir. Avec ses propres cartes. Seul manque Didier Reynders qui, outre le programme officiel, avait planifié des rencontres avec la presse japonaise – mais on sait que le ministre des Affaires étrangères est retenu en Belgique par la crise budgétaire.

Depuis mercredi soir, le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, Pieter De Crem, le remplace. Mais comme doublure de dernière minute, il se borne à suivre la délégation.

Voyons donc comment chacun, Roi, reine, ministres-présidents, place ses accents belges au Japon.

Le Roi joue l’atout économique

Bien sûr, Philippe est de (quasi) toutes les activités officielles de la visite d’Etat. Mais sa contribution à la valorisation de la Belgique au Japon se décline essentiellement sur un mode : économique. Dès le premier jour, il se rend au Keidanren, la FEB japonaise, puis participe à un déjeuner à l’ambassade avec dix importants CEO japonais. But : « une discussion franche » et promouvoir les investissements en Belgique. La question de l’incidence du terrorisme sur ces investissements est posée. Mais la réponse est plutôt rassurante : les CEO relativisent le problème, devenu mondial. Le patron de Daikin, Noriyuki Inoue, nous dit toutefois : « Pour le moment, le terrorisme n’a pas d’impact sur notre business en Belgique, mais cela reste une préoccupation pour l’avenir.  » Le président de Sony, Kazuo Hirai, rassure, lui : « La Belgique reste un marché important pour nous. Les attentats ne changent rien : on continue à investir. » Par contre, un autre sujet de préoccupation est confié au Roi : le Brexit. Et il pourrait s’avérer positif pour la Belgique : « Dans les deux trois ans, dit le patron de Daikin, on devra reconsidérer la situation car on a une usine en Grande-Bretagne. Pour nous, les alternatives en termes de relocalisation sont les Pays-Bas (pour les avantages fiscaux), l’Allemagne (pour sa grande infrastructure) ou la Belgique. »

Toujours pour aider nos entreprises, Philippe passe à la cérémonie de signature des contrats ; au séminaire sur les sciences du vivant ; se rend à Nagoya pour soutenir le secteur automobile ; participe à un lunch de travail sur l’industrie chimique avec les principaux CEO d’Osaka ; et emmène des hommes d’affaires quand il dîne avec le Premier ministre Shinzo Abe.

La reine tient la carte touristique

Déjà dans l’avion qui l’emmène vers le Japon, la reine confie aux journalistes qu’elle participera au séminaire sur le tourisme pour encourager les agences de voyage et tour-opérateurs à revenir en Belgique (le tourisme représente 5 % du PIB belge). Car les attentats du 22 mars ont fait du tort à notre pays : dans les semaines qui ont suivi, les vols Tokyo-Bruxelles de la compagnie ANA n’étaient plus remplis qu’à 40 % ; aujourd’hui, ce taux est remonté à 80 %. Mais tout n’est pas gagné. Alors, dans son discours au séminaire « Welcome to Belgium ! » (l’un des deux seuls qu’elle prononce du voyage, ce qui souligne l’importance qu’elle attache au sujet), Mathilde le dit sans détour aux professionnels du tourisme japonais : « Je voudrais vous encourager tous à découvrir ce que notre pays a à offrir : de magnifiques jardins et shows floraux, des événements musicaux comme le Concours international reine Elisabeth, des expositions d’art et musées. »

Et la reine ne lâche pas. Elle insiste sur notre « héritage culturel » : « les grands peintres, Breughel, Magritte ou Delvaux ; nos styles architecturaux comme l’Art déco ou l’Art nouveau ; nos cités médiévales ». « Je suis convaincue, appuie-t-elle encore, que nos visiteurs japonais apprécieront ces caractéristiques.  »

Classiquement chargée du volet « promotion de l’image de la Belgique » dans les voyages royaux, Mathilde place d’autres accents belges : mettant en valeur des produits de chez nous (dont Wittamer et Marcolini) exposés dans un grand centre commercial de Nagoya (sachant que le Japon est la deuxième destination d’exportation de nos produits alimentaires hors Union européenne) ; ou rejoignant l’activité « Belgian fashion » qui illustre la créativité belge, avec les écoles de La Cambre et d’Anvers.

Rudy Demotte brandit la culture

Comme ministre président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Rudy Demotte est venu développer les relations académiques entre universités belges et japonaises (notamment celle de Kobe), les recteurs des 6 unifs francophones étant du voyage. La preuve par les chiffres : 12 accords ont été signés entre des établissements d’enseignement supérieur belges et des institutions japonaises (sur les échanges d’étudiants, les bourses…).

Mais au-delà de cela, c’est « la culture et le facteur patrimoniel » qu’est venu vendre Rudy Demotte dans le contexte post-attentat. Il explique : « Au début de la visite, on m’a souvent parlé du terrorisme en filigrane, en évoquant les difficultés que nous avons connues et en nous plaignant. Mais c’est fini. Cependant, les attentats ont marqué l’opinion japonaise, déjà inquiète dans ses propres villes. Nous ne minimisons donc pas, mais nous replaçons les choses dans leur contexte et nous mettons en avant ce qui peut les intéresser chez nous : la culture, le patrimoine, la francophonie, le surréalisme belge. Ce sont des arguments de vente majeurs. »

Parmi les points forts culturels de la semaine, la rencontre entre deux géants de la BD : Philippe Francq, dessinateur de Largo Winch, et Naoki Urasawa, célèbre auteur de manga. Outre la signature d’un accord de collaboration (échange d’étudiants, de profs, de matériel, de publication…) entre trois écoles de mode (La Cambre, l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers et le département mode de la Bunka Gakuen University).

Paul Magnette parie sur les sciences du vivant

Comme ministre-président wallon, c’est sous l’angle économique que Paul Magnette aborde cette visite d’Etat (durant laquelle 10 accords sont signés par des Wallons avec des partenaires japonais). Pas de rendez-vous politique pour lui donc, mais une succession de séminaires, visites d’entreprises et rencontres à thème commercial. Car le Japon représente le plus gros investisseur étranger en Wallonie après les Etats-Unis. Certes, l’accent est aussi mis sur le tourisme, mais « c’est l’attraction d’investisseurs étrangers » qui prime.

A cet égard, « un grand moment fut le séminaire ‘’sciences du vivant’ en présence de 500, 600 personnes, explique-t-il. Pour nous, les bio-technologies sont un des éléments centraux. Nous sommes même plus en pointe en ‘’life sciences’ que les deux autres Régions.  » 13 entreprises wallonnes sur les 30 présentes au Japon relèvent d’ailleurs de ce secteur. « La Belgique représente en la matière 16 % de la production européenne, 14 % des exportations européennes et 10 % de la recherche. Elle est donc une plateforme en biotechnologies, et la Wallonie en particulier. »

Autre accent wallon : le secteur automobile/automotive. Qui justifie sa visite chez AGC, « principale industrie japonaise présente en Wallonie, avec son plus gros centre de recherche européen et son head quarter chez nous. » Objectif : mettre en valeur la future collaboration avec le nouveau centre de recherche d’AGC à Gosselies. Sans oublier la BD. « Il y a un grand intérêt pour la BD belge ici. Le Marsupilami, Spirou et les Schtroumfs sont des personnages mythiques ici ! Cela contribue aussi à l’image de marque. Dupuis a d’ailleurs signé un accord avec le plus grand éditeur japonais.  »

Et Paul Magnette l’assure : « A aucun moment, on ne m’a parlé des attentats terroristes. Et d’un point de vue économique, je n’ai pas remarqué d’incidence. »

Rudi Vervoort chante Bruxelles, ma belle

Le ministre-président bruxellois est venu au Japon avec une priorité claire : relancer le tourisme nippon dans la capitale. Sachant qu’en 2015, 95.000 Japonais y avaient débarqué, ce qui correspondait à 190.000 nuitées. Mais les attentats du 22 mars ont changé la donne. Et l’objectif de Rudi Vervoort au Japon est clairement de relancer la machine.

Alors au séminaire tourisme, il se plaît à vanter aux agences de voyages l’« architecture éclatante  » de Bruxelles, sa localisation à moins de deux heures de Paris, Londres ou Amsterdam – sachant que les touristes japonais incluent Bruxelles et la Belgique dans un tour européen –, ou l’ouverture prochaine du Musée d’art contemporain dans l’ancien bâtiment Citroën, en partenariat avec le Centre Pompidou de Paris, les Nippons étant férus d’art moderne et contemporain. Et il avoue son ambition : devenir « l’un des cinq plus grands centres d’art multidisciplinaire au monde  ».

Et pour mettre des images sur les mots, un petit film réalisé par les trois Régions ensemble – une première, les Régions ayant plutôt eu l’habitude autrefois de tirer chacune la couverture à elle – fait la promotion de notre pays et de ses différentes entités. Et ce, à travers les témoignages de personnalités japonaises, comme l’ambassadeur en Belgique, un designer floral, une danseuse, un chef ou un manager de la compagnie aérienne ANA.

Jouant une autre carte, Vervoort a proposé au Japon d’être l’invité d’honneur d’un prochain festival de la BD dans le parc de Bruxelles, sur le thème des mangas.

Geert Bourgeois cible les ports et les sports

La Flandre le chiffre : 92 % des exportations belges au Japon viennent de Flandre et 90 % des investissements japonais en Belgique le sont au nord du pays. Alors, pour consolider ces relations économiques, Geert Bourgeois met l’accent sur le secteur portuaire, important pour Anvers, Gand et Zeebrugge. Jeudi, la dix millionième voiture a d’ailleurs été exportée de Nagoya vers la Belgique par bateau. La Flandre profite aussi de la visite royale pour se placer en vue des JO de Tokyo de 2020 : Bourgois a rencontré les organisateurs de ces JO, les entreprises flamandes espérant profiter de ce marché. Le ministre-président flamand est aussi celui qui a abordé le plus frontalement la question de la sécurité : « Soyons honnêtes, la Flandre a souffert des attentats du 22 mars, a-t-il lancé devant l’Association japonaise des agents de voyages. Et votre business en a souffert avec la diminution des réservations en Flandre. Toutes les mesures ont été prises pour assurer la sécurité des touristes et hommes d’affaires. »

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