Youri Tielemans: «Jouer à Bruges ou au Standard? Jamais»

Youri, vous devriez déjà disputer votre 150e match avec Anderlecht, le week-end prochain. Entrois ans, en quoi votre vie a-t-elle changé? Quand je revois des images de l’époque, j’avais encore une tête de bébé! Depuis, j’ai beaucoup mûri, et je suis devenu plus indépendant. Avant ça, je n’avais pas grand-chose à gérer, alors que j’ai désormais mon propre appartement, où je vis avec ma compagne. Je constate que beaucoup de choses me sont tombées dessus en deux ans. Mais le garçon que j’étais est resté le même. Je suis plutôt cool. Mentalement, cela a-t-il été facile de gérer la pression et les sollicitations? Au départ, je n’y pensais pas vraiment. Moi, je voulais juste m’amuser sur le terrain. C’était un rêve de gosse de découvrir ce milieu. Par la suite, quand tu vois que la pression reste, c’est vrai que tu commences parfois à un peu cogiter. Mais, quand tu es joueur professionnel, tu dois parvenir à gérer ça. Beaucoup de footballeurs de haut niveau ont, en fin de carrière, le sentiment d’avoir raté leur jeunesse et d’être passés à côté de plein de choses. Ne craignez-vous pas que ça vous arrive? Je n’ai aucun regret, et je pense que je n’en aurai jamais. En étant footballeur, je n’aurais pas pu espérer mieux. Quand j’étais gamin, mon seul rêve était de devenir footballeur pro. Depuis que je suis petit, j’aime tout simplement le ballon. Pourquoi voudriez-vous que j’aie l’impression d’avoir loupé certaines choses? Vous auriez pourtant tout aussi bien pu devenir judoka. A quel moment avez-vous dû choisir? J’en ai fait jusqu’à la signature de mon premier contrat professionnel, donc très tard. Aurais-je pu devenir pro dans cette discipline? Ce n’est pas à moi de le dire, mais j’ai gagné beaucoup de tournois. Avoir fait du judo m’aide dans le football. Si j’utilise bien mon corps sur le terrain, l’équilibre et la souplesse, ça me vient de là. Quand avez-vous commencé à comprendre que vous pourriez devenir footballeur professionnel? Quand John van den Brom m’a appelé pour la préparation. Et là, il y a ce match amical face à Hambourg et Rafael van der Vaart en Autriche. Le déclic a-t-il eu lieu de ce 16 juillet 2013? Ce fut un moment capital, c’est certain. J’avais déjà réussi à montrer mes qualités à l’entraîneur et au staff pendant le stage. Ce match contre Hambourg, qui arrivait juste avant de rentrer en Belgique, je ne l’oublierai pas. Et puis, au retour en Belgique, John van den Brom n’attend pas avant de vous lancer dans le grand bain… J’ai d’abord cru qu’il allait faire confiance à Leander Dendoncker, qui avait déjà joué en Supercoupe contre Genk. Mais, face à Lokeren, c’est tombé sur moi. Comment l’accueil dans le vestiaire s’est-il passé? Pendant les premières semaines, j’étais encore dans le vestiaire des U21. Je devais monter par l’escalier pour rejoindre les autres. Pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps avant de vous voir dans les médias? David Steegen et Peter Smeets m’ont beaucoup protégé des médias. Il s’est, en effet, passé beaucoup de temps avant ma première interview. Mais, je trouvais ça bien, d’autant que je n’avais pas nécessairement le temps. Il fallait que je me concentre également sur l’école. A l’école, le regard des autres avait-il changé? Quand même, oui. Beaucoup te félicitent et sont contents pour toi. Mais d’autres, qui pensaient que tu n’y arriverais pas, sont plus amers. Tu le sens simplement par leur regard. Quand quelqu’un vient de parler de manière hypocrite, tu le remarques immédiatement. Quand ça me touche, parce que c’est quelqu’un à qui je suis accroché, je le dis. Si ce n’est pas le cas, eh bien cette personne n’a qu’à partir. L’obtention de votre diplôme a-t-elle enlevé de la pression? Je suis soulagé car ce diplôme je l’ai désormais en main. Je suis plus libre dans ma tête car je ne dois plus aller à l’école ou faire mes devoirs en dernière minute. Ne quitterez-vous Anderlecht que sur un Soulier d’Or? Ce serait beau, mais ce n’est pas une volonté absolue. Mais c’est clair que ça augmenterait ma valeur marchande et que ça serait positif pour le club. Ce que je veux, c’est partir par la grande porte. Qu’entendez-vous par là? Ça pourrait être en gagnant ce titre qui nous échappe depuis deux ans, en offrant quelque chose au club. En quoi avez-vous pris de l’ampleur cette saison? C’est peut-être inconscient. Cette saison, je me rends compte qu’il faut que je courre plus sur le terrain, et que je prenne davantage de responsabilités. Je dois m’arracher à chaque match. C’est venu avec la maturité et l’expérience. J’ai le sentiment de jouer différemment de par le passé, avec plus de grinta. Sans doute que je ne me poussais pas jusque dans mes dernières limites. J’ai plus de hargne. Le dossier du brassard de capitaine avait fait couler beaucoup d’encre en début de saison. Certains voient en vous le vrai leader de l’équipe. Comment auriez-vous réagi si on vous avait confié cette responsabilité? J’aurais été très fier, tout simplement. Je serais resté moi-même, et j’aurais essayé de remplir ce rôle au mieux, sans me prendre la tête. Le fait qu’il y ait eu autant de départs cet été, cela vous donne-t-il plus d’importance dans le vestiaire? Oui, on peut dire ça comme ça. J’en suis à ma quatrième saison, et je suis un des seuls survivants du dernier mercato. Du coup, j’ai un peu plus de responsabilités. J’essaie d’accueillir les nouveaux et de les mettre dans les meilleures conditions possibles. Quel souvenir gardez-vous du dernier déplacement à Bruges? La défaite 4-0? Je préfère ne plus y penser. J’étais monté sur le terrain, en me disant qu’ils ne pouvaient surtout pas être champions contre nous. Et, on se prend cette claque. C’était très frustrant, on ne pouvait rien faire. Bruges était très organisé, bien préparé. Le public a aussi joué un rôle, comme toujours. Ils ont marqué rapidement, et c’était plié. Ils étaient en confiance et avaient toujours un homme libre. Impuissance, frustration… ce jour-là, j’ai ressenti tout ce qu’on peut imaginer de négatif. C’est un des matchs les plus douloureux de ma carrière. Dans le vestiaire, personne ne disait un mot. On avait encore deux matchs à jouer, sans autre enjeu que la 2e place. Tu peux difficilement te préparer pour ce genre de match. Sérieusement, à ce moment-là, tu ne penses qu’à partir en vacances. La seule manière, ce serait d’inverser la tendance et d’être champion contre eux en fin de saison. Pourriez-vous un jour porter les couleurs de Bruges ou du Standard? Non! En tant que bruxellois, je ne pourrais jamais jouer pour un de ces deux clubs car ce sont les rivaux. Je sais qu’il ne faut jamais dire jamais, mais sorry. Je suis né à Bruxelles, et j’ai toujours eu cette culture anderlechtoise en moi. Comment ça s’est passé chez les Diables? Et comment avez-vous appris votre sélection? C’était très chouette comme expérience. On avait un rendez-vous avec les Espoirs à Tubize. Johan Walem est venu me trouver en me disant qu’on avait un cadeau pour moi. Roberto Martinez voulait m’avoir à sa disposition, même si ce n’était pas encore officiel. Le sélectionneur a d’abord parlé à tous les U21 et puis il m’a pris à part, précisant qu’il devait encore voir comment ça allait tourner avec les blessures de Dembelé et Nainggolan. Comment était l’ambiance dans le groupe? Je ne vais pas dire que c’était relax, mais tout le monde était concentré, chacun à sa manière. Comment le courant est-il passé lors du premier contact avec Roberto Martinez? Il était très calme quand il me parlait. Après le deuxième match face à Gibraltar, alors que certains rentraient chez eux, je suis resté à l’hôtel. Il m’a demandé comment j’avais trouvé ce stage et l’ambiance. Avez-vous fait du Mondial 2018 un objectif? Je ne peux pas dire que c’est tout le temps dans ma tête, mais, depuis l’Euro, j’y pense de plus en plus. Je devrai d’abord prester comme il se doit avec Anderlecht. Ce n’est pas un but, mais j’y pense, oui. Serez-vous encore à Anderlecht? Je n’en sais rien. On ne sait jamais ce qu’il peut arriver. C’est à moi de prouver à chaque match que j’ai le niveau pour franchir le pas. Mais on devra d’abord être champion.

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