L’exception culturelle zappée par le Ceta

Le Ceta, l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et le Canada, a beau être au bout de toutes les lèvres, rare sont ceux qui ont lu les 1600 pages du traité. Il en découle qu’un point capital est absent des discussions actuelles : l’exception culturelle. L’avocate et professeure à l’ULB, Carine Doutrelepont, qui a notamment dirigé la publication de L’Europe et les enjeux du GATT dans le domaine audiovisuel, s’est penchée sur la question. En comparant le mandat, à partir duquel la Commission européenne a négocié le Ceta, avec le texte final (actuellement bloqué par le gouvernement wallon), elle est sortie « interpellée » de sa lecture. « On constate un écart significatif entre le mandat de négociation, assez précis sur l’exception culturelle, donné par Conseil de l’Union européenne à la Commission européenne, et la version finale de l’Accord, proposée à la signature des États. La Commission a, en tout cas, pris certaines libertés. On peut conclure que le mandat n’a été que partiellement rencontré, laissant ainsi subsister des différences importantes entre le résultat atteint et la volonté des États réunis au sein du Conseil. » 1 Que dit le mandat ? Rappelons brièvement que le but du Ceta est de favoriser les investissements étrangers et le commerce. « Cela passe par une élimination des droits d’importation et des disparités entre les réglementations. C’est un accord de nouvelle génération qui place le domaine réglementaire au centre du processus international et qui touche à de très nombreuses matières dont les droits intellectuels et le secteur culturel, en ce compris l’audiovisuel », précise Carine Doutrelepont. Or, depuis les Accords de Marrakech (1994) instituant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’Europe a réaffirmé à plusieurs reprises sa volonté d’exclure le secteur culturel, et l’audiovisuel en particulier, de la libéralisation commerciale. « C’est le fameux débat sur l’exception culturelle qui veut que l’on ne traite pas la culture comme une simple marchandise. L’idée est donc de ne pas laisser les productions culturelles intégralement soumises à la loi du marché, mais de permettre l’intervention de la puissance publique pour assurer la pérennité d’une offre culturelle riche, diversifiée et accessible au public en général. » La Commission était donc invitée, dans le cadre du Ceta, à négocier en respectant le principe de l’exception culturelle : « Concrètement cela signifie qu’elle devait notamment exclure tous les services culturels, dont l’audiovisuel, du volet relatif au commerce et à l’établissement de l’Accord. » 2 En quoi l’accord s’en écarte-t-il ? Le principe de l’exception culturelle est partiellement présent dans le Ceta. Cependant, une analyse des nombreuses et opaques dispositions permet de se rendre compte que, pour l’Europe, l’exception ne concerne que « les services audiovisuels ». Alors que pour le Canada, on parle des « industries culturelles ». Exemple, accrochez-vous, avec le titre de l’article 7.7 sur « l’exclusion des subventions et du soutien public destinés aux secteurs des services audiovisuels et des industries culturelles ». On peut y lire que « Les dispositions du présent accord ne s’appliquent pas aux subventions ou au soutien public relatifs aux services audiovisuels, dans le cas de l’Union européenne, et aux industries culturelles dans le cas du Canada ». Les mots et leurs définitions prennent alors toute leur importance. Dans le traité, le terme d’« industries culturelles » est défini clairement. Il désigne les personnes qui exercent des activités allant de la vente de livres à la production de films en passant par la présentation d’enregistrements de musique audio ou vidéo. L’intégralité du secteur culturel canadien se retrouve de fait épargné par les dispositions de l’accord, « ce qui n’est pas le cas, relève Carine Doutrelepont, pour l’industrie culturelle européenne au sens large qui n’est pas visée par l’accord, seuls les services audiovisuels l’étant. » Pas la peine de chercher une définition des « services audiovisuels » dans le traité. Il n’y en a pas. Au niveau du commerce, le Canada a su protéger son secteur culturel grâce à sa définition précise. « À l’inverse, les produits et services européens qui n’entrent pas dans la case des « services audiovisuels » comme la musique ou la littérature, sont bien inclus dans l’accord. Ils ne sont plus protégés par l’exception culturelle pourtant demandée par le mandat original des États. » La lecture du chapitre consacré à la protection des investissements est encore plus inquiétante. Même si le cadre est très strict, on peut conclure que le « secteur audiovisuel » est finalement bien inclus dans le mécanisme du tribunal privé. « Dans certains cas de figure limités, les États sont passibles d’être attirés devant ce tribunal, souligne Doutrelepont. Même si le mandat d’origine du Conseil était plus vague sur ce point précis, on se retrouve dans une situation où l’exception culturelle peut être contournée. » « Pourquoi la Commission a-t-elle proposé cette formulation de l’exception et fait apparemment, des concessions en la matière ? » 3 Quelles conséquences pour les acteurs culturels européens ? Avant que le Ceta se retrouve au centre de l’attention médiatique, c’est le traité avec les États-Unis, le TTIP, qui cristallisait les tensions. On se souvient qu’en 2013, des réalisateurs, emmenés par les frères belges Luc et Jean-Pierre Dardenne, avaient signé une pétition pour exiger des chefs d’Etat et de gouvernement européens, l’exclusion du secteur de l’audiovisuel du projet. « Avec le Ceta, on voit que de nombreux acteurs de l’industrie culturelle ont été oubliés, souligne Doutrelepont. Les États en sont-ils conscients ? Bon nombre d’entre eux ont dû donner des garanties au secteur alors que le mandat n’a été que partiellement rencontré par la Commission. » 4 Quelles solutions ? Pour Carine Doutrelepont, il faut revenir au mandat confié à la Commission et veiller à ce que tous les services culturels soient exclus, à tout le moins à l’image de ce qu’a obtenu le Canada. « Il faudrait aussi relire la totalité du chapitre sur la protection des investissements car les exclusions, même pour les services audiovisuels, ne sont pas complètes. »

Votre compte

L’exception culturelle zappée par le Ceta

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Culture

Les livres d’influenceurs, ces succès qui dérangent

Stand-up, mode d’emploi d’un drôle de métier

L’actrice Anne Heche est décédée

Le Gaume Jazz: de la musique pour les arbres et pour les âmes

Chaos lors d’un festival en Espagne: un mort et plusieurs blessés

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Salman Rushdie placé sous respirateur, son agresseur identifié

De plus en plus de ménages peinent à régler leurs factures d’énergie

Voici quand sera atteint le pic de chaleur: les prévisions région par région

A Durbuy, les Hollandais ont trouvé leur paradis à trois heures de route

Ce qu’il ne faut surtout pas laisser dans sa voiture quand il fait très chaud

Entretien Sinan Bolat: «Le Standard a fait de moi le joueur et l’homme que je suis aujourd’hui»

Gestion des salaires : quand la Belgique est à la pointe de la technologie

Combiner travail et études : voici vos droits et obligations

Voiture de société et grandes vacances : tout ce qu’il faut savoir

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel