François Gabart sur le Vendée Globe: «Cette course m’a permis de progresser et de grandir»

François Gabart (33 ans) ne disputera pas le prochain Vendée Globe. Mais il sera au départ, dimanche prochain aux Sables d’Olonne, pour saluer les 29 skippers qui s’élanceront sur le coup de 13h02 à l’assaut de ce redoutable tour du monde à la voile, sans escale et sans assistance, organisé tous les 4 ans depuis 1989. Vainqueur de la dernière édition, à l’issue d’un duel homérique avec Armel Le Cléac’h, le Charentais de souche et Breton de cœur a marqué l’épreuve de son empreinte. En stand-by depuis la fin septembre en vue de s’attaquer au record de la traversée de la Méditerranée (détenu par… Armel Le Cléac’h), François Gabart (qui a renoncé au projet depuis lors) nous a accordé un long entretien à Paris. François, 4 ans déjà ! Moi, j’ai plutôt l’impression que c’était hier. Il s’est passé beaucoup de choses depuis, donc c’est difficile de se rendre compte du temps qui passe. Comment se remet-on d’une telle course ? Je ne sais pas si on s’en remet. D’ailleurs, ça veut dire quoi “s’en remettre” ? Revenir en arrière ? Se retrouver comme avant ? Moi je n’avais pas besoin de m’en remettre. Cette course m’a permis d’évoluer, de progresser, de grandir. Exactement, ce que j’étais venu y chercher… Physiquement, et psychologiquement, ça doit être quand même quelque chose, non ? Il est clair qu’on vieillit davantage que les trois mois qu’a duré la course. Physiologiquement, on encaisse. C’est d’ailleurs pour ça qu’on doit doser l’effort, car sinon, à 60 ans, on serait fini. Le sport extrême n’est par définition pas bon pour la santé. Et puis il y a surtout la gestion des émotions. Sur un Vendée Globe, on vit plein de choses de façon très intense à un rythme très soutenu. Des choses que l’on vit une ou deux fois par an dans une vie “normale”. Ici, c’est carrément trois ou quatre fois par jour ! La vie, pour moi, ce sont des émotions, des sensations et des expériences. Eh bien, un Vendée, c’est un condensé de tout cela, tout le temps ! Ce sont des choses qui forcément nous transforment. Et qui font qu’en vieillissant, vous continuez logiquement à bonifier. Vieillir est quelque chose de positif. Ce Vendée m’a pas mal transformé, c’est sûr. Et m’a sans doute donné ce que j’aurais peut-être mis 5 ou 10 ans à recevoir dans une vie “normale”… Pour ce qui est de la récupération et du sommeil, vous dites quand même que, s’il faut quelques semaines pour se remettre d’une Solitaire du Figaro, et de quelques mois pour une Route du Rhum, il vous a fallu presque un an après le Vendée Globe ! Oui, c’est clair. Le sommeil est une des plus grosses problématiques sur une course de ce genre. Car on ne peut ni prendre de l’avance ni dire qu’on va dormir pendant 3 jours ou 3 semaines non-stop pour récupérer après. Cela se fait petit à petit. Et pour la fatigue consentie au Vendée, il faut certainement un an ; surtout si on est sollicité comme cela a été mon cas. Et je ne pense pas qu’aux opérations organisées après ma victoire, mais bien à ces petites sollicitations qu’on vous réserve au quotidien dans les mois qui suivent, que ce soit dans un train, un métro, un resto, etc. Ce doit être spécial, en effet, pour un solitaire d’être à ce point entouré. Un sacrifice ou un plaisir ? Ça me fait sincèrement plaisir de partager ce que je fais. J’ai la chance de faire un truc génial, et ça n’a vraiment du sens que si c’est partagé. Maintenant, je mesure aussi le bonheur de ne pas être aussi connu que les footballeurs. Je n’ai pas leur argent, et ce que j’ai me suffit. Mais leur vie doit être plus compliquée que la mienne. Vous n’êtes pas au départ du Vendée Globe puisque vous naviguez désormais sur un multicoque. Est-il vrai que vous avez pensé à ce nouveau projet au lendemain de votre victoire ? Oui, c’est vrai. Le Vendée, j’avais ça dans les tripes, au fond de moi, un peu en rêve depuis des années. Un truc un peu irrationnel, un rêve inexplicable pour l’intensité avec laquelle j’avais envie de vivre cette aventure, pourquoi ça prenait une telle importance. Puis, en réalisant ce premier rêve, d’autres rêves sont apparus. Il y a plein de gens qui ont plein de rêves, mais qui ne les réalisent jamais. Vous êtes un privilégié ? Oui, sans aucun doute, car j’ai la chance de vivre de mes rêves. Et j’ai la chance d’en avoir suffisamment pour ne pas être tombé dans la dépression post-performance que l’on a déjà constatée chez certains sportifs. Vous n’avez donc pas vécu de dépression post-Vendée Globe ? Ah non, absolument aucune ! (rires) Avec ce multicoque qui porte vos nouveaux rêves depuis près de deux ans, vous espériez vous attaquer au record de la traversée de la Méditerranée… Tiens donc !, un record détenu par Armel Le Cléac’h : c’est votre ennemi juré ou quoi ? Alors là, pas du tout. C’est au contraire un très bon ami. Que je vois un peu moins régulièrement malheureusement car, si nous avons régulièrement régaté dans les mêmes épreuves entre 2010 et 2013, depuis le Vendée en revanche, nous ne nous sommes plus jamais croisés en compétition ! Il a fait du Multi dans la foulée du Vendée, tandis que je poursuivais en Imoca. Puis j’ai lancé mon projet Multi, et lui est revenu à l’Imoca. Mais on va enfin se retrouver dans quelque temps je pense, à l’occasion de la prochaine Route du Rhum… Il est donc possible de se battre comme vous l’avez fait pendant près de 3 mois, et puis de rester potes ? C’est la chance qu’on a en voile : de pouvoir vivre de belles rivalités comme celle-là. C’est quand même un peu particulier de se dire qu’on s’est énormément entraînés ensemble avant le Vendée Globe, avant de nous battre pendant toute la course. Il y a peu de sports où ça se passe comme ça, je pense. Bien sûr, en course, on ne se fait pas de cadeaux, mais il y a en même temps beaucoup de respect, d’échange, une certaine fraternité même. C’est vrai qu’on est dans un milieu où la compétition se corse d’année en année, tout en préservant ses valeurs humaines qui sont hyper-importantes à mes yeux. On a plein de bons échanges. Je suis compétiteur, mais je trouve que la compétition est encore plus belle dans ce contexte. Le fait d’être arrivé à 3 heures d’intervalle aux Sables d’Olonne a dû ajouter à cette fraternité ? Ça reste un immense souvenir. Et ce qui fut surtout irréaliste, c’est le moment furtif que nous avons eu quand nous nous sommes croisés une minute, par hasard, rien qu’à deux. C’était un moment spécial car, même s’il y a une énorme médiatisation sur cette course, tous les marins qui la courent vivent dans une certaine forme d’intimité. Et le fait d’avoir pu prolonger celle-ci pendant cet instant, alors qu’il y avait des milliers de personnes à quelques mètres de nous, a été assez génial. Il y a eu une bise, un bravo, un “Ça va”, et un “A tout à l’heure”. Ça a duré une minute à peine, mais c’était d’une intensité folle ! Au départ, en revanche, vous étiez loin d’être seuls. Comment vivez-vous cette journée du départ ? D’abord entourés par un million de personnes, puis par une nuée de petits bateaux qui décrochent les uns après les autres pour, enfin, vous laisser seuls ? Ce n’est pas facile du tout, mais c’est un moment que tous les sportifs professionnels connaissent à des degrés divers. On essaie de se mettre dans une bulle. Il faut trouver l’équilibre entre les sollicitations et le boulot. Avant de vivre ce moment magique, quand le dernier bateau a décroché, et qu’on n’a plus qu’une chose à faire : regarder devant soi et enfin s’y mettre… Au boulot ! Mais c’est ça la course au large : nous procurer des sensations très fortes pour des choses de la vie courante finalement. Dire au revoir à quelqu’un, se séparer, tout le monde a vécu ça dans sa vie. Mais il y a quand même ce petit côté surréaliste où, quand on se met à regarder devant soi, on se dit : “Allez, il n’y a plus que 40.000 bornes à faire maintenant”. C’est à la fois dingue et génial ! [scald=2439012:sdl_editor_representation] Et l’arrivée ? Une effervescence énorme, vu le faible écart avec Armel. Et puis un soulagement d’autant plus grand. Les retrouvailles ont été encore plus intenses. Oui, ce retour était fou. Il fait partie de ces moments qu’on a rarement dans sa vie. Les trois moments les plus intenses de ma vie ont été ceux-là : quand je me suis retrouvé seul pendant la course, et puis le départ et l’arrivée pendant lesquels je me suis retrouvé le plus entouré de toute mon existence ! C’est assez extrême. Et sauter de l’un à l’autre a été très fort. On a beau avoir entendu les récits de ses prédécesseurs, c’est quelque chose qu’il faut véritablement vivre ? Oh oui ! D’ailleurs, en 2008, j’avais eu la chance de vivre l’arrivée de Michel Desjoyaux de très près, puisque j’étais sur le bateau qui le remorquait dans le chenal. Mais quand je suis arrivé en vainqueur, 4 ans plus tard, ça m’a tout de même sauté à la figure ! En parlant de Mich Desj, il va indirectement vous « forcer » à disputer une deuxième fois au moins le Vendée Globe, afin de tenter d’égaler ses deux victoires, non ? Ça, c’est bien le dernier argument qui me ferait partir, même si Michel est une source d’inspiration évidente, un moteur, un catalyseur, quelqu’un qui m’a aidé à progresser. Mais repartir en pensant égaler ses deux succès, très peu pour moi. Pourtant, les records vous titillent ? Oui, mais à condition qu’au travers de cette chasse aux records, il y ait une volonté de progresser. Je suis ravi de gagner des courses, je ne peux pas le nier, mais je ne cours pas après ça. Bien sûr, c’est important ; pour moi et aussi pour les sponsors qui me soutiennent. Je pense d’abord à faire ce que j’aime, le mieux possible, en continuant à progresser. Qui dit progresser dit forcément repousser un peu les limites. Se mettre en danger, pas au sens physique du terme, mais sportivement et intellectuellement parlant. C’est ça qui m’anime, qui me fait avancer. Je suis compétiteur, mais je n’aime pas trop la comparaison, et encore moins avec des marins d’autres générations. Mich, je suis flatté de naviguer et d’échanger avec lui, mais je n’ai pas du tout envie de me comparer à lui : il pourrait être mon père ! A chaque génération ses champions ? Non, ce n’est pas exactement ça. Même avec les marins d’aujourd’hui, je m’en fous d’avoir plus de succès que l’un ou l’autre. Tout ce que je veux, c’est battre les autres, mais surtout progresser, apprendre. Et surtout, je suis très fier et heureux de participer à l’évolution de mon sport. Sur les plans technologique, sportif et tactique : ça, ça me plaît vraiment ! Et ça, ça se fait avec les autres marins, pas contre eux. Il reste que vous gagnez votre vie en naviguant. Sachant que le Vendée Globe est l’un des événements le plus médiatisés de la discipline, ne pourriez-vous pas vous trouver un jour dans l’obligation d’y participer à nouveau, à la demande de vos sponsors ? Faire de la voile pour des raisons alimentaires serait la pire des choses, je pense ! C’est trop beau pour se limiter à cela. J’espère que, toute ma vie, je continuerai à faire d’abord des choses que j’aime et qui me font rêver, tout en continuant à en vivre. Ça, c’est facile à dire dans votre cas ! Je suis conscient de vivre une situation confortable avec un sponsor qui me soutient depuis longtemps. Et je connais ces marins qui ont du mal à nouer les deux bouts. Mais, si je dois faire des concessions matérielles pour vivre un nouveau rêve, je les ferai. En explorant d’autres pistes ? Je ne m’interdis rien. J’ai la chance de faire un sport que l’on peut pratiquer au-delà de la cinquantaine. Et puis il y a plein d’autres choses à faire dans le monde de la voile. Des courses en équipage, par exemple. Je suis aussi ingénieur, et la conception des bateaux me passionne. Ou bien je pourrais aussi changer d’univers, mais rien n’est écrit ou programmé. Vous parlez de course en équipage ; l’un des sommets à ce niveau est la Coupe de l’America. Un rêve ? Pourquoi pas ? Cette course éveille cependant en moi des sentiments ambivalents. D’une part, je suis fasciné par les bateaux, la technologie, etc. Et puis, ce doit être extra de partager ça en équipe. Mais, d’autre part, je suis plus réservé sur l’esprit et les valeurs autour de cette course. C’est une course de milliardaires. Je n’ai rien contre eux, surtout s’ils ont la bonne idée d’investir dans la voile ! (rires) Mais je m’interroge quand je vois que les budgets d’avocats sont parfois plus importants que ceux consacrés à la conception des bateaux. Je trouve ça dommage. La Coupe de l’America est une course extraordinaire. Mais, pour le moment, je n’y trouve pas les valeurs sportives de la course au large. Si elle ne figure pas à votre palmarès, vous n’en serez pas malade ? Non, certainement pas. D’ailleurs, je ne parviens pas à considérer certaines courses comme plus importantes que d’autres. Je pense que tout un chacun attache plus ou moins d’importance à une course en fonction de son parcours personnel. Je ne pense pas qu’il y en ait une plus importante qu’une autre. Le tout est de la faire si on la sent vraiment. Qui sait si dans dix ans je n’accorderai pas autant d’importance à la régate saucisson-vin rouge avec des potes qu’à ce Vendée Globe gagné il y a 4 ans ?

Votre compte

François Gabart sur le Vendée Globe: «Cette course m’a permis de progresser et de grandir»

Invalid Scald ID.

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Voile

Voile: Jonas Gerckens a validé son ticket pour la Route du Rhum

Voile: François Gabart autorisé à prendre part à la Route du Rhum

Voile: Jonas Gerckens au départ d’une «Drheam Cup» parfumée au Rhum

Entretien Le cycliste professionnel suisse Théry Schir va «pédaler» sur l’eau

Voile: Denis Van Weynberg contraint à l’abandon à la Vendée-Arctique, «une grande expérience»

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Nafi Thiam conserve son titre de championne d’Europe d’heptathlon, Noor Vidts finit 4e

Les portiques sécuritaires inutiles de la SNCB

«Je ne peux plus rester silencieux»: dans son journal de guerre, un soldat russe dénonce l’horreur en Ukraine

L’armée israélienne ferme les bureaux d’organisations palestiniennes des droits de l’homme

Delcroix, un 2e but européen qui salue une prestation trois étoiles: les bulletins d’Anderlecht contre les Young Boys

Une rafale à 224 km/h: les terribles images des orages en Corse (vidéos)

Près de 2 Belges sur 3 ont la possibilité de se rendre au travail à vélo

Travailleurs ukrainiens : de nouvelles mesures entrent en vigueur

Gestion des salaires : quand la Belgique est à la pointe de la technologie

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel