Pierre Melandri: «Un leader qui a sauvé la démocratie aux Etats-Unis»

Pierre Melandri est historien et professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris. Spécialiste des Etats-Unis, il vient de publier Le Siècle américain, aux éditions Perrin. Quelle place Franklin Roosevelt a-t-il laissée dans l’histoire ? Sans le moindre doute, celle d’un immense leader, qui aura non seulement arraché le pays à la Grande Crise mais aussi rebâti la société de son pays sur des bases plus justes qui ont fait, après 1945, du « rêve américain » une réalité pour nombre de ses concitoyens. Et celle d’un chef d’Etat qui aura persuadé sa nation d’en finir avec l’isolationnisme et jeté les bases des institutions internationales sur lesquelles le « siècle américain » a pu prospérer. Roosevelt a tout d’abord sauvé la démocratie aux Etats-Unis. Alors qu’ailleurs, dans le monde, la misère et le désespoir poussaient parfois les populations vers l’extrémisme, il a su renouveler le « libéralisme » et ainsi évité à son pays les écueils du conservatisme et du radicalisme. Il a rappelé que s’il pouvait menacer les libertés, l’Etat avait aussi le pouvoir de les assurer : en garantissant un fonctionnement équitable du marché et en donnant aux plus vulnérables le moyen de surmonter les contraintes auxquelles leur faiblesse les exposait. Il a non seulement lutté contre la Dépression et volé au secours de ses victimes, mais il a aussi multiplié les régulations susceptibles d’empêcher une telle catastrophe de se reproduire, créé des « filets de sécurité » pour les « Américains oubliés » et donné au mouvement syndical une légitimité qui lui avait longtemps été contestée. Il a rendu l’espoir à un pays plongé dans l’anxiété. Confronté à la montée des tensions puis à la Seconde Guerre mondiale, mais conscient de la force de l’isolationnisme, il a su peu à peu préparer son pays à intervenir dans le conflit, l’érigeant dès décembre 1940 en « arsenal de la démocratie ». Après Pearl Harbor, il a mobilisé la prodigieuse productivité de son économie pour assurer la défaite du militarisme japonais et de l’Allemagne nazie. Il a aussi converti son pays à la vision internationaliste qu’en son temps Wilson avait développée pour rendre « le monde sûr » pour la démocratie (et le marché). Tenant compte des erreurs de son prédécesseur comme des leçons que la crise avait laissées, il a modelé un système international destiné tout autant à garantir la paix (l’ONU) que la prospérité qui, à ses yeux, en était l’indispensable pilier (la Bird et le FMI). Il a assuré au dollar un statut à part qui s’est révélé, par la suite, l’instrument le plus sûr de son hégémonie. Certains historiens ont affirmé qu’en février 45, à Yalta, il avait capitulé face à Staline… et qu’il avait fallu attendre novembre 89 (la chute du Mur) pour « réparer les dégâts ». Cette analyse est-elle juste ou injuste ? Longtemps, Roosevelt a préféré éluder les questions susceptibles de l’opposer à son grand allié : en partie, sans doute, parce qu’il redoutait de voir un affrontement provoquer un retour de l’isolationnisme, en partie peut-être aussi, par crainte de voir Staline conclure une paix séparée, en partie, parce qu’il pensait qu’il lui faudrait s’assurer la coopération du Kremlin contre le Japon. Surtout, il était persuadé que le maintien de la « grande alliance » serait la condition sine qua non de la paix et estimait qu’au regard tant de la situation sur le terrain que du passé, Staline était en droit de revendiquer des « gouvernements amicaux » dans les pays que l’Armée rouge aurait libérés. Il espérait seulement que le Soviétique ferait preuve d’assez de souplesse pour ne pas le mettre en difficulté devant son Congrès. La déclaration de Yalta sur l’Europe libérée était censée réconcilier la réalité sur le terrain (la présence soviétique) et les idéaux américains (une promesse d’autodétermination). Mais Roosevelt ne pouvait ignorer que des « élections libres » ne déboucheraient jamais sur des gouvernements « amicaux » pour son grand allié. Sans doute pensait-il malgré tout disposer de moyens – en particulier l’aide économique – pour obtenir des concessions de ce dernier. Mais celle-ci resta sans prise sur le Soviétique comme, d’ailleurs, par la suite la puissance conférée aux Etats-Unis par l’arme atomique. F. D. Roosevelt était gravement malade et même impotent au moment de sa dernière réélection, en novembre 44, cinq mois à peine avant sa disparition. Mais l’immense majorité des Américains l’ignorait… Cela semble inimaginable aujourd’hui ! Oui, mais la presse érigeait une cloison entre vie publique et vie privée. On a vu la même chose à l’époque de John F. Kennedy. C’est à partir du Watergate que les choses ont commencé à changer, quand l’image longtemps sacrée de la présidence a été ébranlée. L’abrogation en 1987 de la règle d’équité, le développement de la « talk radio » et de l’« infotainment », la multiplication des réseaux câblés, des chaînes d’information en continu, voire le piratage des données informatiques ont achevé de brouiller la frontière. Pourtant, si nous avons sans doute gagné en « transparence », le public n’en est pas toujours persuadé : la facilité avec laquelle les rumeurs sur la santé d’Hillary Clinton se sont propagées vient de le rappeler.

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