Avec les soldats inconnus qui font la guerre à Daesh
Depuis octobre, les six avions belges ont effectué 726 missions, dont 141 frappes, sur le territoire irakien. Les hommes qui les pilotent ou les entretiennent ne veulent pas être identifiables sur les réseaux sociaux. Reportage.


Il est 13h30. Le convoi du vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères belge, qui a traversé à tombeau ouvert le désert pierreux de Jordanie, ralentit et s’arrête. Pas de berger au bord de la route. Ni de famille de réfugiés syriens sous une petite tente de rien du tout. Mais un comité d’accueil militaire jordanien relativement peu amène. C’est l’entrée de la base d’Azraq, à quelque 100 kilomètres d’Amman, où sont stationnés depuis le mois d’octobre les six F16 belges engagés dans la coalition anti-Daesh.
Didier Reynders montre l’exemple : il est le premier à se séparer de son GSM. Suivront celui-ci, dans la caisse en plastique déposée à l’arrière du fourgon militaire belge qui restera au seuil de la base : les GSM, tablettes, appareils photos et caméras des collaborateurs du ministre et des quelques journalistes qui l’accompagnent. Car la consigne est claire : rien ne doit permettre d’identifier les militaires présents à Azraq. Daesh les traque, paraît-il, sur les réseaux sociaux.
C’est la première fois que des journalistes belges sont autorisés à entrer ici. Et la dernière ? A la fin du mois, les six appareils belges vont très vraisemblablement remettre le cap sur la Belgique, pour ne revenir, en principe, que dans un peu plus d’un an (lire Le Soir d’hier).
La petite troupe pénètre dans ce haut-lieu des tensions contemporaines, qui fait 23 kilomètres de diamètre. Devant : deux F16 (jordaniens, néerlandais ou américains) s’envolent. A gauche : de vieux Mirage F1 jordaniens finissent leur vie abandonnés sans gloire sur une piste perdue, tels des offrandes au soleil brûlant. A droite : des dépôts de munitions lourdement protégés (pour le cas où ils exploseraient…).
14 heures. Sous les portraits de Philippe et de Mathilde, les militaires belges ont mis les petits plats dans les grands. Autour des tables, chacun se présente, mais les militaires ne portent pas leur nom cousu sur leur uniforme, comme c’est normalement le cas : toujours ce souci de ne pas être identifiables… A Azraq, nos militaires n’ont pas de nom. Pendant les deux mois de leur mission ici, ils sont des numéros.
Des numéros peu bavards ! « Normalement, ce n’est pas comme ça, dit l’un d’eux. On a un self-service ouvert pendant deux heures. La nourriture est assez variée, et surtout on a en permanence un buffet de fruits. »
Les journalistes posent des questions. « Nous nous portons volontaires pour servir ici, par goût de l’action, pour l’argent, pour l’expérience, pour la médaille : ça dépend. Mais on a des listes d’attente », explique un militaire. « Oui, nous nous sentons un peu seuls ici, affirme un autre, nous avons peu de contacts avec les autres détachements nationaux. Ce n’est pas comme à Kandahar, en Afghanistan, où il y avait 25.000 personnes sur la base… »
Les missions sur l’Irak ? « Il faut plutôt en parler au chef du détachement. » La conversation devient lentement laborieuse, on entend une mouche et puis une autre se faire griller sur le néon bleu fluo… Quand soudain la vie revient : « Pour le match France-Belgique, raconte l’un de nos voisins de table, nous avons bloqué l’internet dans les chambres pour pouvoir le projeter ici, au mess, en streaming sur grand écran… »
On apprend néanmoins que le détachement compte quelque 115 militaires dont deux femmes et sept pilotes. « Les pilotes ont évidemment encore beaucoup de prestige, c’est pour eux que nous sommes là. »
15 heures. Dans le bâtiment des opérations, Didier Reynders a son briefing, et les journalistes le leur. A l’intention de ceux-ci, le chef du détachement belge décrit l’équipement – sans trop de détails – que chaque pilote emporte avec lui en mission : « Vingt-cinq kilos de matériel avec cette chaleur, près de 40 degrés, vous imaginez ? »
Et les missions, alors ? Cet homme est la grande muette à lui tout seul : « Parfois on cherche des points d’intérêt, parfois l’objectif est prédéterminé, et parfois c’est de la reconnaissance. » Il ajoute : « Le CAOC (NDLR : le centre de commandement de la coalition, dirigé par les Américains et qui se trouve au Qatar) fournit le cadre des missions, mais le pilote a toujours le droit de refuser un engagement. Cela étant, toutes les missions belges ont été réussies. » Est-ce dangereux ? « Le risque est calculé ! »
15h50. Premier contrôle FOD (Foreign Object Damage) sur les véhicules qui conduisent la délégation et les journalistes vers les F16. Il s’agit de retirer les cailloux des pneus pour qu’ils ne causent pas de dommages aux avions. « Ce n’est pas un faux problème ici… »
16 heures. Didier Reynders s’approche du F16 immatriculé FA134. « Ceci, c’est le Sniper Pot, la caméra embarquée, lui dit un officier en montrant de la main une protubérance peu naturelle à la droite de l’avion. C’est le plus important. » Un journaliste s’approche : « Qu’elles sont grandes ces bombes, sous les ailes ! », lance-t-il. « Ce sont les réservoirs d’essence, corrige le militaire. Les bombes, il n’y en a qu’une de chaque côté… »
Le ministre grimpe dans l’avion. Aïe ! Qui va immortaliser le moment ? Un militaire dûment habilité s’improvise photographe, grâce aux explications d’un photographe professionnel momentanément désœuvré…
A côté, le F16 immatriculé FA72 s’apprête à décoller pour une nouvelle mission secrète. La crise née des progrès de Daesh est d’une extrême complexité : elle ébranle le monde entier et aussi certains quartiers de nos villes. Et pourtant une partie de la réponse à cette crise est très simple : c’est la force, la brutalité, la fureur. Les dispositifs de sécurité qui brident ses bombes au sol vont être retirés dans quelques instants et le FA72 va s’élancer vers le ciel irakien.
16h40. Sur la rue devant la base, Didier Reynders conclut après avoir récupéré son GSM : « Il n’y a pas de risque zéro, mais nous avons là l’équipement le plus avancé. »
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