Armel Le Cléac’h: «Les marins du Vendée Globe ne sont pas des héros»

Le marin du monocoque Banque Populaire est souvent présenté comme le grand favori de ce 8e Vendée Globe. Deuxième en 2009 derrière Michel Desjoyeaux puis en 2013 juste trois heures après François Gabart, il rêve logiquement d’un sacre. Et il avoue au « Figaro » que toute autre place serait « un échec ». Ambitieux Armel Le Cléac’h mais conscient aussi de la difficulté. La preuve… En avez-vous marre que l’on vous traite d’immense favori de ce Vendée Globe ? Non, je m’en fiche. Déjà pour moi je ne suis pas le grand favori, mais je fais partie des favoris. Il y en a d’autres. Je n’ai gagné qu’une transat en Imoca cette année (la transat anglaise en mai dernier). Et je connais le potentiel des autres marins avec qui je m’entraîne à Port la Forêt. Et il y a aussi un concurrent qu’on a peu vu, Alex Thomson, qui peut jouer l’élément perturbateur. Tout ça mis bout à bout, je ne me prends pas la tête. Je faisais déjà partie des favoris il y a quatre ans et je sais très bien que ce n’est pas ça qui va faire la différence sur l’eau. Pourquoi pourriez-vous éviter cette année de terminer encore deuxième ? Cette année, j’ai le meilleur bateau de mes trois campagnes de Vendée Globe, c’est-à-dire un bateau construit de A à Z par une équipe qui a une forte expérience. Cela n’a pas de prix. Il y a quatre ans, j’avais racheté un bateau qu’on avait adapté à ma sauce et on avait eu des galères. Il y a huit ans, c’était une autre histoire avec un projet où l’on voulait d’abord finir, j’avais terminé deuxième avec un peu de réussite. J’espère que ce Vendée Globe sera le bon. Et moi aussi j’ai grandi. J’ai appris énormément de choses sur mes deux précédents tours du monde, notamment le dernier. J’ai su mener la course, tenir un rythme pendant un peu plus de 70 jours de mer. J’ai aussi essayé de comprendre pourquoi je n’avais pas gagné. Depuis, il y a eu ces navigations en multicoques qui m’ont permis de naviguer à haute vitesse sur un grand trimaran. Cela aide à mieux appréhender la vitesse et à être plus à l’aise sur un monocoque plus petit. Du coup je me sens mieux armé pour attaquer ce gros défi. Jusqu’à cette victoire dans la transat anglaise, vous aviez beaucoup terminé deuxième en Imoca. C’était quoi le problème ? Qu’à chaque fois, il y avait un mec meilleur devant moi. Et pas forcément le même. C’est sûr que refaire deuxième du Vendée Globe, cette année, sera vraiment un échec. Et une grosse déception. Votre victoire peut-elle constituer un déclic ? Gagner ensemble avec le bateau, de façon propre, cela met en confiance, c’est sûr. Et j’étais content de retrouver la course en solitaire après une année 2014 très difficile mentalement. Je ne pense plus aux deuxièmes places mais à cette Route du rhum que j’ai raté à cause d’un accident (grave blessure à la main droite après une chute dans une station de lavage auto). Etre au départ d’une grande course comme le Vendée Globe, cela permet aussi de mieux savourer la chance que j’ai. Cette mésaventure avant la Route du rhum vous a-t-elle permis d’avancer d’une manière ou d’une autre ? Difficile de voir un côté positif avec un truc comme ça. C’est le moment le plus dur de ma carrière. Maintenant grâce au projet Vendée Globe, et à la confiance renouvelée par la Banque Populaire, j’ai pu rebondir. Et maintenant je veux aller au bout de l’histoire, au bout de ce qui m’a permis de me reconstruire après cet échec. On sait bien que, pour gagner le Vendée Globe, il faut le terminer. Pas le plus simple finalement… Mon adversaire principal, c’est d’abord le parcours. La difficulté, c’est d’aller au bout. Sur une transatlantique d’une dizaine de jours, on a moins de risques d’avoir de gros problèmes techniques. Là on augmente la difficulté, la longueur, la durée. Et on sait qu’en moyenne il y a 40 % d’abandons sur ce tour du monde. J’espère que je n’en ferai pas partie. Cela va être le gros défi. Il va falloir prendre les journées les unes après les autres et gérer les problèmes qui vont me tomber dessus. Il y en aura, c’est sûr. Il faudra aussi un peu de réussite pour passer entre les embûches. J’ai réussi à terminer deux fois sur deux, mais cela ne veut pas dire que je finirai forcément le troisième tour du monde. Dans les premières semaines de course lors des deux dernières éditions on entendait beaucoup les marins dire : « On est sur un rythme de la Solitaire du Figaro ». Cela va être plus que jamais le cas cette année ? C’est sûr qu’on va être en rythme “Figaro” les premiers jours. L’une des difficultés du parcours, ce sont les cinq premiers jours. On part dans une zone maritime très encombrée avec des conditions météo qui peuvent être très dures. Du coup, on se retrouve dans un mode “Figaro” où on dort peu, où on est ultra-concentré et avec beaucoup de stress. Après, on arrive à trouver un rythme plus de marathonien, sinon on ne tiendrait pas. Il y a quatre ans on a réussi à monter le niveau d’intensité dans notre duel avec François (Gabart), on a été à la bagarre jusqu’au bout. Cela peut encore arriver cette année avec vingt concurrents bien armés avec de bons bateaux. Aujourd’hui, un Vendée Globe est-il encore physiquement et mentalement supportable à vivre ? Oui, si on le prépare bien en amont. Pour cela, il faut un travail d’équipe. Tout seul, je ne saurais pas faire. Il faut aussi avoir vraiment l’envie d’y aller. C’est essentiel. Si on y va à reculons, cela ne marche pas. Après, c’est dans la tête qu’une bonne partie de la course se joue. Il va falloir accepter de se faire mal. Le Vendée Globe n’est pas une partie de plaisir, ce n’est pas une croisière. Mais on sait qu’au bout, il y a quelque chose d’énorme à aller chercher. C’est ce qui me permet de me transcender pendant la course. Le Vendée Globe est-il encore une aventure ou est-ce définitivement devenu une course autour du monde ? Pour moi, c’est d’abord une course, et sûrement la compétition la plus longue au monde. Maintenant, effectivement, il y aura de l’aventure. Par la durée, le parcours, les difficultés, le scénario différent à chaque édition. Nous allons écrire une histoire et personne, aujourd’hui, n’est capable d’en connaître la trame. On se trompe si on pense que vous avez plus peur pour les autres que pour vous ? Non. Si on commence à avoir peur, ce n’est pas bon signe, cela prouve que l’on n’est pas serein. On peut ressentir de la peur lorsque se produisent des événements exceptionnels. Cela peut être des problèmes d’autres concurrents ou une casse grave. Sinon, tant qu’on est à l’intérieur du bateau et qu’on n’est pas blessé, il n’y a pas de raison d’avoir peur. Vous avez vu en trois éditions les bateaux devenir toujours plus rapides et physiques… Les bateaux ne sont pas moins physiques c’est sûr… Ce qui est compliqué, ce sont bien sûr les manœuvres, mais aussi le matossage (déplacer 100 kg à l’intérieur du bateau à chaque virement de bord). Ce qui a changé en quatre ans, ce sont les foils. Nos bateaux progressent toujours en performance, mais, là, on a franchi un cap à certaines allures où on atteint des vitesses très élevées. Et lorsque la mer est compliquée, cela devient scabreux avec de vrais risques de blessures et de traumatismes qui peuvent faire perdre la course. Cela peut être assez grave au niveau de l’abdomen, donc il faut être prudent et vigilant, et ne pas oublier de s’équiper de protection. C’est une évolution qui est liée à la révolution des foils. C’est comme si on mettait un turbo sur des voitures qui n’en avaient pas. Les foils changent-ils fondamentalement la stratégie et les choix de route ? On ne va pas se retrouver à 500 milles plus à l’ouest d’un bateau qui n’a pas de foils. Ce qui va changer, c’est que, si les conditions sont bonnes, on va pouvoir tenir plus longtemps dans un système météo et se rapprocher d’une philosophie de multicoques. Les foils vont peut-être permettre d’apporter ce petit plus quand il faudra faire le break. On sait aussi que les foils ont des points faibles. Par petit temps ou au près, on est moins performant. Un bateau à foils est-il plus vulnérable aux rencontres avec des objets flottants qu’un bateau à dérive classique ? Je ne sais pas. Il faudrait faire des études mathématiques pour savoir si un L a plus de chance qu’un I de taper un objet qui flotte. Au final, on a bien progressé sur la fiabilité des foils depuis un an et demi et je suis confiant. Etes-vous persuadé que c’est un bateau à foils qui va gagner ? J’espère. C’est en tout cas le dernier Vendée Globe où l’on se posera la question. Dans quatre ans, le débat sera terminé. Tous les bateaux qui voudront prétendre à la victoire seront équipés de foils. Comment réagissez-vous à la ferveur populaire qui entoure les marins aux Sables-d’Olonne avant le départ ? C’est super, je trouve ça génial. Il y a vraiment une solidarité, un échange avec le public. On en profite, même s’il y a de plus en plus de stress à l’approche du départ. C’est la magie du Vendée Globe. Cela fait du bien à tout le monde, je pense, on vit quand même des moments compliqués en France, ces derniers mois. Vous comprenez la fascination des terriens pour les marins du Vendée Globe ? Oui, je la comprends parce que j’ai été aussi un gamin admiratif des marins qui partaient sur le premier tour du monde. Je sais aussi que la mer fait peur à beaucoup de gens et reste difficile à comprendre. Cette part d’inconnu fait rêver. Après, les gens nous reconnaissent ici, mais on n’est pas des stars, ni des héros. Quand je vais à Paris, personne ne me reconnaît et c’est tant mieux. Vous n’êtes pas un héros ? Je ne me considère pas comme un héros. Pour moi, un héros, c’est quelqu’un qui sauve les gens, un pompier, un chirurgien… C’est Batman, Superman. Moi, je me vois d’abord comme un sportif, et un aventurier sur le Vendée Globe. Je réalise un rêve en prenant le départ de ce tour du monde, c’est ma passion, cela me fait plaisir de partir. Pas trop dur de laisser votre femme et vos enfants ? C’est le plus difficile pour moi. Je sais qu’ils vont souffrir. Dans l’organisation de la vie de tous les jours, mais aussi dans l’attente. Ils n’auront pas de nouvelles de moi toutes les cinq minutes. Et toute l’attention est portée sur moi. Donc ce n’est pas facile à gérer. Finalement, on est assez égoïste, on part trois mois en les laissant. C’est beaucoup plus compliqué pour ceux qui restent à terre…

Votre compte

Armel Le Cléac’h: «Les marins du Vendée Globe ne sont pas des héros»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Autres sports

Soupçonné d’avoir accepté des pots-de-vin, un ancien haut responsable des Jeux Olympiques de Tokyo a été arrêté

Euro de natation: Elias Meeus, malgré un record personnel, et Jasper Aerents éliminés en séries du 50m libre

Sans Nina Derwael, c’est possible aussi

Jérôme Guéry après sa médaille aux Mondiaux d’équitation: «Je la place plus haut que celle de Tokyo»

Analyse Triathlon: les Belgian Hammers sans médaille mais avec de nouvelles certitudes

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Coronavirus: ce que disent les derniers chiffres en Belgique

Orages, averses intenses… la Belgique en double alerte

Décodage Rentrée scolaire: le matériel informatique fait grimper la facture

Championnats d'Europe: Thiam prend le large en tête du classement de l'heptathlon, Vidts deuxième

Flandre: une jeune fille reçoit une balle dans la nuque pendant qu’elle étudie dans son jardin

Aldi prépare sa révolution: du changement dès ce mercredi

Près de 2 Belges sur 3 ont la possibilité de se rendre au travail à vélo

Travailleurs ukrainiens : de nouvelles mesures entrent en vigueur

Gestion des salaires : quand la Belgique est à la pointe de la technologie

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel