«La démocratie américaine amorce un dangereux virage dictatorial»

Si on fait le bilan de cette campagne, qui a été extraordinaire dans tous les sens du terme, on a envie de vous demander ce que vous en retiendriez… La campagne a pris une tournure particulière qui montre qu’on est au début d’un processus et pas du tout à la fin. On est au début dans la mesure où la tournure de la campagne, son mode de fonctionnement, la façon d’être des adversaires en politique, sont assez neuves, pour ne pas dire effrayantes à bien des égards. Le processus enclenché ne va pas s’arrêter après l’élection. Cela semble évident si Donald Trump devient président, ce n’est même pas la peine de l’expliquer. Mais même si c’est Clinton, il va y avoir un impact au niveau du Congrès, que les élections vont partiellement renouveler. [scald=2458288:sdl_editor_representation] Vous voulez dire qu’il pourrait y avoir deux attitudes face au changement induit par une campagne très dure et sentant le caniveau… Oui. Il n’est pas exclu qu’il y ait un sursaut républicain face au constat qu’on serait reparti, après 8 ans de présidence démocrate, pour 4 ans supplémentaires avec Clinton. Ce sursaut peut être positif, constructif. Il faut savoir que lorsque Barack Obama avait gagné en 2008, une commission des sages au sein du parti républicain avait fait un long travail pour comprendre pourquoi ils avaient perdu les élections. Il en avait été déduit que le parti devait parvenir à attirer les minorités, et être attentif aux femmes. Et Donald Trump n’en a absolument pas tenu compte ; c’est même tout le contraire qui s’est produit. On pourrait imaginer qu’après les élections, cette tendance qui voulait rendre le parti un peu plus ouvert et tolérant reprenne vigueur… Et l’autre tendance, c’est la tendance Trump/Tea Party… Si cette tendance domine, toujours dans le cas de figure où Hillary Clinton est élue, ils vont vouloir la traîner en justice. Des manifestations et démonstrations de force auront lieu ; on va l’agresser verbalement le plus souvent possible. Une période trouble et un climat détestable vont alors s’installer… C’est en cela que ce cas de figure pourrait être effrayant. Un climat politique sulfureux pour s’installer à plus long terme. C’est inquiétant parce que ce n’est pas le propre d’une démocratie. Dans cette campagne, pour différentes raisons, il n’y a pas eu de débats sur le fond, il n’y a eu que des attaques et menaces personnelles, un peu à l’image de ce qui se fait dans les dictatures. Lorsque Donald Trump dit que s’il est élu, son opposante ira en prison, on sort d’une tradition démocratique qui se base sur des arguments et on entre dans un système plus autoritaire qui consiste à promettre au peuple qu’on aura la tête de son opposant. C’est nouveau. C’est très rare que cela se produise. On passe d’un débat sur les idéologies et sur les valeurs à un combat sur la personne de l’adversaire. Cette campagne n’a effectivement pas brillé par son humanité… A défaut de pouvoir se disputer sur des idées, ils se sont disputés sur l’authenticité, l’honnêteté, l’intégrité de l’adversaire. C’est inquiétant, parce qu’il ne faudrait pas que la vie politique US soit totalement influencée à l’avenir par ce mode de fonctionnement. Les Américains ont envie d’un débat sur la dette, sur les soins de santé, sur l’enseignement, sur les inégalités. Cette amorce de fonctionnement politique s’apparente plus aux dictateurs qui, lorsqu’on les attaque, ne répondent pas sur le terrain des idées, mais attaquent ad hominem. Poutine en Russie, Al Sissi en Egypte, Chavez au Venezuela agissent de même… Il serait regrettable que cette grande démocratie que sont les Etats-Unis se transforme en scène politique violente où on accuse les adversaires sur ce qu’ils sont et non sur ce qu’ils disent. Voilà pour le bilan de cette campagne qui annonce une nouvelle ère qui je l’espère ne restera pas trouble trop longtemps. Quels sont les faits qui vous ont le plus marqué dans cette campagne ? Du côté républicain, ce qui m’a le plus impressionné, c’est l’incapacité des républicains se positionner fermement en faveur ou contre Trump. Ils ont passé leur temps à éviter, à soutenir, à ne plus soutenir, et au final, ils apparaissent comme des gens complètement indécis. Pour eux, c’était une période très difficile, je n’en disconviens pas, mais cette incapacité à contrôler Trump m’a surpris et pourrait leur coûter cher au Congrès et au Sénat. Ce qui m’a aussi surpris aussi, c’est que Trump a réussi à imposer à tous ses adversaires, en interne et en externe, son mode de fonctionnement. Il a réussi à faire de même avec Clinton. On dit qu’elle a remporté les trois débats mais je serais plus nuancé car quand quelqu’un parvient à imposer son style à l’autre, à l’amener à se battre sur le même terrain que soi, je pense qu’on peut difficilement dire que l’adversaire a gagné. Il a été d’une habileté déconcertante, car tout le monde pensait qu’il allait se faire manger en raison de son manque de connaissance des dossiers… [scald=2458289:sdl_editor_representation] Et du côté démocrate ? Du côté démocrate, ce qui est fort choquant, c’est que l’appareil du parti semble mépriser les électeurs et les militants, au point d’avoir dès le début voulu protéger Clinton contre une tendance politique (plus de gauche) menée par Sanders qui aurait pu être une force dans l’ensemble de la campagne. Cela montre qu’il y a une certaine élite au sein du comité national des démocrates qui gère le parti, qui méprise le peuple et cherche à conserver sa situation et ses intérêts. Ce n’est jamais bon pour un parti…

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