Le Kazakhgate pour les nuls
Le dossier se complexifie au rythme des révélations des médias, dont celles du « Soir ». Mais au fait, le Kazakhgate, c’est quoi ?

Difficile d’y voir clair dans cette affaire dite du Kazakhgate. D’ailleurs, il n’y a pas une affaire, mais deux ! La première fut dévoilée par Le Soir dès 1999. Rétroactes pour ceux qui auraient manqué un épisode d’une affaire aux multiples ramifications.
Le Kazakhgate 1 : l’argent brûlant du Kazakhstan
La première affaire que l’on appellera le Kazakhgate est une « simple » affaire de corruption présumée.
● La naissance du « trio kazakh »
Tout commence en octobre 1991 avec la constitution à Woluwé-Saint-Pierre de la société Seabeco Belgium. Cette société est une couverture pour les opérations financières de l’ex-KGB et sera rapidement fermée (en avril 1992). Mais avec cette société débarquent en Belgique deux hommes, qui ne vont plus se quitter en affaires : Patokh Chodiev et Alexandre Machkevitch, respectivement ouzbek et kirghize. Ils sont rejoints un peu plus tard par Alijan Ibragimov. Ces trois individus s’installent en Belgique. Leur point commun ? Ils font fortune au Kazakhstan et sont très proches du pouvoir local, notamment le dictateur de triste renommée Nursultan Nazarbaïev. C’est le trio kazakh.
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● La compromission de Tractebel
1996 : un premier dossier judiciaire est ouvert en Belgique. La cellule anti-blanchiment clignote rouge à la découverte d’une commission de 25 millions de dollars payée par Tractebel pour accéder au marché kazakh. Dans le même temps, une myriade de sociétés de droit belge sont ouvertes par le trio kazakh et investissent dans l’immobilier du plat pays. Un soudain attrait pour les prairies wallonnes ou les bouchons bruxellois ? La justice se demande plutôt si ces coquilles ne servent pas (via moult paradis fiscaux) à blanchir l’argent de la corruption. Une société suspecte fait apparaître l’épouse du Premier ministre kazakh dans son organigramme.
● La nationalité belge accordée au trio
Patokh Chodiev a acquis la nationalité belge le 13 août 1997, lors de son séjour à Waterloo, avec l’appui du bourgmestre Serge Kubla : un P.-V. dressé le 8 janvier 1997 par la police communale assurait que l’intéressé parlait parfaitement français, alors qu’il ne s’exprimait qu’en anglais. Les deux autres membres du trio acquièrent eux aussi la nationalité belge dans les années 1990, contre l’avis de la Sûreté de l’Etat.
● Inculpations
De 2001 à février 2008, le parquet de Bruxelles inculpe tour à tour Patokh Chodiev, Alexandre Machkevitch, Alijan Ibragimov, l’épouse du Premier ministre kazakh ainsi que l’épouse et les deux filles de Machkevitch pour faux, association de malfaiteur et blanchiment, dans le cadre des transactions immobilières du Kazakhgate. Des dizaines de millions auraient été blanchis.
Le Kazakhgate 2 : l’influence occulte de l’Elysée ?
Dans cette affaire dans l’affaire, personne n’est (à ce jour) inculpé. Il n’est d’ailleurs pas certain que les faits présumés soient légalement répréhensibles. Mais l’enquête laisse pantois : l’Etat français est suspecté d’avoir influencé le processus législatif belge afin de permettre au trio kazakh de bénéficier d’une transaction pénale.
● Les faits : le trio kazakh bénéficie d’une transaction pénale
La loi sur la transaction pénale entre en vigueur le 16 mai 2011. Trois mois plus tard, on apprenait que Chodiev avait versé 23 millions d’euros à la Justice, en échange de l’abandon des poursuites. Les deux autres membres du trio sont aussi concernés.
En clair : la justice belge abandonne les poursuites à leur encontre dans le cadre du « Kazakhgate 1 » en échange de monnaie sonnante et trébuchante.
● 2011 : la France ouvre une enquête
En 2011, suite à des mouvements de fonds suspects dans l’environnement d’un ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Jean-François Etienne des Rosaies, la cellule anti-blanchiment française ouvre une enquête et découvre de curieux flux financiers autour d’une avocate du Barreau de Nice, Catherine Degoul. Elle est l’avocate du trio kazakh, et certains flux financiers partent vers la Belgique. C’est le point de départ du Kazakhgate 2.
● Le soupçon : l’influence occulte de la France
Que soupçonnent rapidement les enquêteurs ? Que, pour permettre la vente de 45 hélicoptères par la France au Kazakhstan, des proches du président Sarkozy aient fait pression pour que Patokh Chodiev, proche du président kazakh, bénéficie d’une transaction pénale en Belgique.
● L’implication d’Armand De Decker
Au cœur de ce nouveau Kazakhgate, le nom de l’ancien président du Sénat et bourgmestre d’Uccle Armand De Decker ressort rapidement. Avec sa casquette d’avocat, il aurait fait pression au nom de la France pour obtenir une loi sur la transaction pénale et la faire appliquer en urgence pour le trio kazakh. Armand De Decker nie avoir agi au nom de l’Elysée et affirme avoir su très tard qu’une loi sur la transaction pénale allait être votée. Mais plusieurs éléments récents contredisent sa version (lire ici ou là).
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● Enquête en Belgique
En 2014, la Belgique ouvre à son tour une information judiciaire, qui a pris à la mi-2016 une tournure accablante pour ceux qui ont approché le trio kazakh. Le MR doit entendre Armand De Decker le lundi 21 novembre, alors que plusieurs partis appellent à ouvrir une commission d’enquête. D’autant que les soupçons s’accumulent sur la manière dont la loi sur la transaction pénale a été élaborée puis mise en œuvre à vitesse « grand V » au profit des inculpés du Kazakhgate (le premier du nom !).
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S'identifier Créer un compteQuelques règles de bonne conduite avant de réagir3 Commentaires
Merci pour cette rétrospective. De Kubla à De Decker, le MR, dont l'essence est la LIBERTE d'entreprendre, même les pires magouilles pourvu qu'elles servent les intérêts des faussaires et truands fortunés, montre la connivence entre le monde politique et l'argent. Tout ce jeu se déroule dans une nébuleuse opaque qui se déplace au-dessus de nos têtes, mais n'oublie pas au passage les chômeurs ni les pensionnés. Propos certifiés non populistes, n'en déplaise à certains.
Mon bon Monsieur que vous avez raison ! regardez ce qui se passe au péèsse depuis des décennies ! ... encore actuellement publifin et consort ! : une vraie honte ! Hein oui ?
En gros, le pouvoir législatif, émanant de la nation, demande qu'une loi -qu'il a votée !?- ne soit pas appliquée avant un certain délai. A essayer de comprendre le dossier, je constate que le pouvoir judiciaire transforme notre Etat de droit en un labyrinthe procédurier qui lui permet d'échapper au pouvoir du peuple. Affaire d'Etat, sûrement. Merci au Soir de poursuivre ses investigations.