Valerio Adami Le trait de la pensée

Personnalité incontournable de la figuration narrative, Valerio Adami (né à Bologne en 1935) se promène parmi ses tableaux tandis que son chien Ego arpente fièrement la galerie. L’homme a le regard qui pétille et le sourire au bord des lèvres. Il évoque volontiers sa jeunesse, ses amitiés et ses voyages, toutes choses qui ont durablement marqué son imaginaire et se retrouvent intimement mêlées à sa fibre créatrice. Toute sa vie se rejoue en quelque sorte dans ses tableaux. L’homme est avant tout dessinateur, formé aux Beaux-Arts de Milan où sa famille s’est établie durant la Seconde Guerre mondiale. Chez lui, tout commence par le dessin et le trait précède la couleur, comme le mot ou la pensée précéderait l’émotion, explique-t-il. Pionnier de la peinture acrylique à une époque où celle-ci commençait seulement à se développer, sa palette foisonne de jaunes et de bleus qui ont évolué au fil des années. « Ce matériau lui a offert de nouvelles perspectives », explique Tessa de Caters, directrice de la galerie Daniel Templon à Bruxelles. [scald=2466542:sdl_editor_representation] « Excelsior », 2009. Grand voyageur et grand lecteur, ami intime de Jacques Derrida (qui passait tous ses étés chez Adami au bord du lac Majeur), l’artiste nous livre ici une sélection de ses dernières œuvres accompagnées de certains tableaux plus anciens, toujours présents dans sa propre collection. Ses vastes compositions verticales nous perdent dans un dédale d’allégories aussi colorées que complexes, jouant de la théâtralité des sujets et de la grande narrativité qui s’en dégage sans jamais définir un sens unique et précis. Chaque scène décrit « l’imminence d’une tragédie » comme le dit l’historien Daniel Arasse et, malgré la richesse des tonalités, on sent sourdre l’introspection et la mélancolie, voire la violence d’un ciel obscurci de rouge sombre quand Adami représente le champignon d’Hiroshima, à la fois terriblement esthétique et effrayant. Quant aux hommes représentés, ils paraissent tous porter un masque et demeurent pourtant précis, individualisés. Volontiers philosophe, l’homme laisse une grande place au doute, aux errements de l’introspection et aux hésitations de la pensée, dont le dessin est pour lui le meilleur instrument : « Il permet à une minuscule pensée de prendre forme peu à peu sans que rien ne soit défini à l’avance » déclare-t-il. Chaque trait de crayon ou de gomme peut ainsi tout changer à l’expression d’une figure – l’artiste ne parle pas de visages car il ne s’agit pas de portraits –, et Adami pratique une forme très personnelle de poétique de l’effacement : « La gomme est essentielle, elle vient modifier l’œuvre en cours et proposer de nouvelles formes. On change et on efface sans cesse pour correspondre au mystère de chaque pensée et donner forme à l’émotion du cœur. » La création artistique est ainsi à ses yeux une sorte de méditation imagée. « Pourquoi remplir le tableau avec des colonnes et non des pommes ? J’ai réalisé beaucoup de décors de théâtre dans ma vie et j’ai longtemps habité en Grèce, d’où peut-être l’omniprésence de références à la culture antique dans mes toiles », raconte Valerio Adami sans qu’on sache s’il plaisante ou non. Brouillant volontiers les pistes, il évoque tour à tour ses voyages au Mexique en compagnie d’Octavio Paz et de Carlos Fuentes, l’influence de la lumière dans les pays où il a séjourné et l’éternel recommencement des saisons. « Je suis originaire du centre de l’Italie mais ma famille s’est ensuite installée à Milan puis à Padoue et j’ai moi-même longtemps vécu au bord du lac Majeur. J’adore créer dans cette atmosphère lacustre, tout comme j’ai aimé dessiner au cours de mes voyages en Amérique du Sud, dans des conditions plus précaires. Je crois que j’ai beaucoup voyagé pour cette raison. » Aujourd’hui, l’artiste partage son temps entre l’Italie et Paris, conservant un nomadisme relatif et son regard perçant.

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