«Il est plus difficile d’articuler vies familiale et professionnelle»
Les Belges ont leur premier enfant de plus en plus tard. Une nouvelle étude de Kind en Gezin le montre. Pourquoi ? Entretien avec Laura Merla, sociologue (UCL).
Laura Merla est sociologue au Cirfase, le Centre interdisciplinaire de recherche sur les familles et les sexualités de l’UCL.
Pourquoi fait-on des enfants de plus en plus tard ?
Plusieurs facteurs l’expliquent. Avec les progrès de la médecine, il y a moins de risques d’avoir un enfant plus tard dans la vie, même si 40 ans reste un âge charnière. Par ailleurs, la durée des études a tendance à s’allonger. Les femmes entrent donc de plus en plus tard sur le marché de l’emploi. C’est aussi dû à la difficulté croissante, que l’on ait fait des études ou non, à accéder à un emploi stable, et donc aux moyens financiers et à un logement suffisants pour accueillir un enfant. Autre élément : les relations conjugales sont beaucoup plus instables que par le passé. Avant, les différents cycles de la vie des individus étaient relativement standardisés : on faisait des études, on trouvait un travail, on se mettait en ménage, on faisait des enfants que l’on élevait avant de partir à la retraite. Aujourd’hui, les cycles de vie sont beaucoup moins standardisés, ils sont désynchronisés. La recomposition familiale est devenue une étape. La durée de vie d’un couple est beaucoup moins longue. Il se peut donc que si même on avait des projets de parentalité, une rupture peut intervenir et « remettre les compteurs à zéro ». Pour les femmes qui ont un premier enfant dans la trentaine, cela correspond souvent à l’acquisition d’une stabilité professionnelle. L’employeur peut percevoir la maternité comme un signal négatif, ce qui peut expliquer que certaines femmes attendent d’avoir cette stabilité, qui leur permet de désinvestir un peu leur travail pour partir en congé de maternité. Tous ces éléments sont couplés avec une horloge biologique qui avance et le risque qu’il soit trop tard pour s’y mettre.
Le phénomène concerne-t-il uniquement les femmes ou les hommes retardent-ils aussi leur envie de paternité ?
Faire un enfant, c’est une décision qui se prend à deux. On l’oublie trop souvent. Les hommes aussi sont concernés par les évolutions sociologiques mentionnées ci-avant. Il y a aussi une évolution tout à fait remarquable ces dernières années : ils sont de plus en plus nombreux à prendre des congés parentaux. Cela montre qu’ils s’investissent davantage dans l’éducation de leurs enfants.
La pression du monde du travail reste très forte ?
Il faut être nuancé. Un employeur sait qu’une femme a de fortes chances de prendre un congé de maternité à un moment ou l’autre de sa carrière. Mais tous ne vont pas le voir négativement. Cela dépend des secteurs, de la fonction occupée.
On fait un enfant « quand les conditions sont réunies », mais la « fenêtre de tir » se rétrécit ?
Oui, c’est une tendance, même si tout le monde ne réfléchit pas avant de faire un enfant. La période durant laquelle les conditions sont davantage remplies (tout en sachant qu’il s’agit d’une moyenne) tourne plutôt autour de 28, 30 ans qu’au début de la vingtaine. C’est aussi un effet de la crise. Même si une personne n’en est pas directement victime, l’ambiance générale peut l’inciter à postposer ses projets de premier enfant.
A contrario, le boom démographique que connaît Bruxelles est notamment le fait des populations les plus précarisées…
Dans les populations précarisées en général, la tendance est à faire des enfants plus tôt. Cela peut s’expliquer par le fait qu’on ne fait pas forcément d’études et qu’il y a souvent une méconnaissance des moyens de contraception. Il peut aussi s’agir pour des femmes qui n’ont pas accès à l’emploi de se réaliser à travers la maternité. Les études montrent que les populations immigrées ont tendance à cela, les premières années après leur arrivée, mais que quelques années plus tard, les taux de natalité s’harmonisent.
La symbolique de la parentalité a-t-elle changé ?
Les enquêtes sur les valeurs réalisées au niveau européen montrent que la famille reste l’une des valeurs les plus importantes aujourd’hui encore. Ce qui a changé, c’est que par le passé, les femmes arrêtaient de travailler dès qu’elles avaient leur premier enfant. Aujourd’hui, les femmes restent sur le marché du travail, en réduisant parfois leur temps de travail. Elles se définissent désormais autant par leur identité professionnelle que par leur identité de maman.
Faire des enfants plus tard : positif ou négatif pour la société ?
Difficile à dire. Cela va avoir un impact sur la fécondité, et donc sur la pyramide des âges. Le monde politique est donc préoccupé de maintenir, voire relever, le taux de natalité. Mais le phénomène est plutôt le reflet des difficultés des familles à articuler vies familiale et professionnelle. Même si un certain nombre de dispositifs existent, il y a un manque criant de crèches et les horaires des écoles ne sont pas adaptés aux horaires de travail. D’autant que d’aucuns prônent davantage de flexibilité du travail, mais dans les faits, on voit que cela va à l’encontre d’une meilleure articulation entre travail et famille.
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