Une arme pour mettre les éditeurs en position de force face à Google

Cela fait des années qu’ils attendaient cela. Dans le cadre du chantier de modernisation de la législation européenne sur le droit d’auteur, les éditeurs de presse ont obtenu de la Commission européenne une avancée qualifiée « d’historique » : la reconnaissance de leur statut de titulaire de droits voisins au droit d’auteur dans le monde numérique. Cela sonne très technique mais l’objectif poursuivi est en réalité simple : renforcer leur puissance de négociation face aux grands agrégateurs de contenu tels que Google Actualités… Les relations entre eux deux ont souvent été explosives par le passé. Le conflit porte sur la valeur de l’information dans l’environnement numérique. Les éditeurs estiment que Google News et d’autres agrégateurs se livrent à un pillage en règle lorsqu’ils publient des extraits d’articles parus sur les sites des journaux sans rémunérer ceux-ci. Ils s’estiment préjudiciés car bon nombre d’internautes se contentent de ces extraits pour s’informer et ne cliquent pas sur le lien qui les aurait redirigés vers le site d’info. Ils dénoncent aussi le côté « parasite » de ces plateformes qui ne se gênent pas pour placer des pubs autour de contenus ne leur appartenant pas. Google se défend en estimant que son service profite aux éditeurs puisqu’il leur permet de capter du trafic additionnel. [scald=2480192:sdl_editor_representation] Aux quatre coins de l’Europe, des éditeurs ont attaqué Google. Les Belges ont été à la pointe du combat. En 2007 puis en appel en 2011, la justice leur a donné raison et a condamné le géant américain à retirer de son service d’actualité tous les articles des journaux concernés. Certains pays comme l’Allemagne ont été jusqu’à légiférer afin de donner aux éditeurs le droit de lui réclamer des compensations financières. Face à la menace d’être déréférencé du service et donc de perdre du trafic, ceux-ci ont préféré renoncer à cette possibilité… La création de ce droit voisin (droit qui vise à protéger l’investissement de celui qui rend possible la création, à savoir le producteur) clarifie les choses et donne aux éditeurs les mêmes droits que le producteur de film ou de musique. « On a besoin que ceux qui investissent dans la production de contenu journalistique de qualité aient leur mot à dire dans la façon dont les plateformes internet le mettent à disposition et obtiennent une part équitable du bénéfice qu’elles en tirent, a expliqué Gunther Oettinger, commissaire européen à la société numérique lors d’une conférence organisée par l’Association européenne des éditeurs de journaux (ENPA). Avec la révolution numérique, la presse fait face à des défis incroyables et c’est notre rôle de lui assurer un futur durable car une presse pluraliste, indépendante et de qualité est essentielle pour nos démocraties ». Pas de taxe sur les hyperliens Reste à voir si la proposition de la Commission sera retenue par le Parlement et le Conseil qui doivent encore se prononcer. Les opposants à cette mesure fourbissent déjà leurs armes. Parmi ceux-ci on retrouve les grandes plateformes et les défenseurs d’un internet libre qui estiment que ce type de mesure crée des barrières sur le Net empêchant la libre circulation des contenus. Certains font valoir que cela revient à taxer les hyperliens. Gunther Oettinger a formellement démenti. « Rien dans notre proposition n’affectera la capacité de nos citoyens à partager du contenu ou des liens. Notre proposition vise les plateformes qui font du business avec ces articles ». Cette nouvelle donne va-t-elle changer l’attitude de Google ? L’entreprise s’est toujours refusé à payer les éditeurs. En Espagne, Google n’a pas hésité à fermer son service Actualités suite au vote d’une loi le forçant à rémunérer les éditeurs. Pourrait-il faire de même à l’échelle européenne ? Alain Strowel, professeur à l’UCL et à Saint-Louis spécialiste du droit d’auteur le pense. « Le risque est grand de le voir arrêter Google Actualités car ce service ne lui rapporte pas grand-chose ». En outre, il ne voit pas en quoi la reconnaissance de ce droit voisin va changer la donne pour les éditeurs. « Cela n’ajoute pas grand-chose dans le sens où la plupart d’entre eux ont déjà réussi à obtenir les droits d’auteur des journalistes via des contrats de cession ».

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