La laborieuse professionnalisation du FN

« Je suis mère de trois enfants ! Les enfants sont là pour apprendre les fondamentaux ! À l’école primaire, 50 % du temps doit être consacré à l’apprentissage du français ! » Au sous-sol d’un centre de congrès parisien, Marine Le Pen, en cet après-midi de septembre, n’est pas venue pour parler d’immigration ou de sécurité comme le FN le fait depuis des décennies. Devant quelques dizaines de personnes, parmi lesquelles des professeurs d’université, c’est sur l’école que planche la présidente du parti. Quelques idées se dégagent : la fin du collège unique, la revalorisation des filières professionnelles. Il n’est pas encore question ce jour-là de renoncer à la scolarisation des enfants de clandestins, une promesse faite par Marine Le Pen il y a quelques jours. Le Front veut convaincre qu’il n’est plus seulement un parti protestataire mais qu’il dispose d’un véritable programme de gouvernement. Alors les conventions thématiques comme celle-ci se succèdent. Un jour, on débat de la protection animale, un autre, de l’écologie ou du bien être des seniors. Le choix des sujets ne relève évidemment pas du hasard. Les scores du FN dans l’électorat pensionné sont inférieurs à la moyenne et le parti cherche à combler son retard dans ce segment. « Chez les retraités, le FN continue de faire peur car il représente pour lui l’inconnu », analyse Jérôme Fourquet, directeur du département « Opinion » de l’Ifop. « Ces populations sont actuellement bénéficiaires du système alors elles sont plutôt soucieuses de stabilité économique et monétaire et craignent les troubles sociaux. Quand on est bien assis, on n’a pas envie que le FN renverse la table ». [scald=2510722:sdl_editor_representation] « Des trucs à dire sur les retraités » ? Ces conventions sont censées offrir un gage de sérieux au FN. Mais l’entreprise s’avère parfois laborieuse. Journaliste à L’Opinion, où elle suit de près le Front national, Béatrice Houchard assistait à la convention sur les seniors. Elle raconte avoir été surprise du peu de compétences des intervenants sur le sujet. « L’un des animateurs, Maurice Gosseaume, un retraité de 70 ans du Loir-et-Cher, m’a dit que le FN l’avait contacté peu de temps auparavant parce qu’il aimait bien ce qu’il y avait sur sa page Facebook. Or, sur cette page Facebook, on voyait que quelques jours plus tôt il sollicitait ses contacts sur le mode « Amis de plus de soixante ans, avez-vous des trucs à me dire sur votre situation, votre maison de retraite, parce que je dois faire un discours devant Marine Le Pen ? ». Sur son compte Facebook, Christiane Taubira était aussi comparée à un singe. Il a été exclu du collectif ». Éviter à tout prix qu’apparaissent des propos racistes et xénophobes : telle est aujourd’hui l’une des priorités du FN. Mais ce n’est pas là le seul versant de sa quête de crédibilité. [scald=2510724:sdl_editor_representation] « Pouvoir pousser sur bouton » Hossam Messiha se fait désormais appeler Jean. « Un choix que j’ai fait à vingt ans pour montrer mon attachement à la France », dit ce Copte orthodoxe né au Caire en 1970. Dans une brasserie parisienne, cet élégant haut fonctionnaire ôte son Borsalino pour nous parler à visage découvert d’un groupe pourtant très discret dont il est le porte-parole. « Les Horaces, c’est un cercle de réflexion. Nous préparons des notes scénarisées pour Marine Le Pen. Un tiers des adhérents sont des hauts fonctionnaires, le reste des magistrats, des avocats, des dirigeants d’entreprises du CAC 40. Il y a aussi des anciens directeurs de cabinet des gouvernements Raffarin, Juppé, Fillon et quelques journalistes », dit-il. Ils sont aujourd’hui une centaine à travailler secrètement pour Marine Le Pen, qu’ils voient une fois par mois. « Notre objectif, c’est d’être une sorte de tour de contrôle, de phare pour attirer les bonnes volontés. Je reçois deux à quatre candidatures par semaine », explique le haut fonctionnaire qui souhaite taire le ministère pour lequel il travaille. « Notre autre but est d’être prospectif : nous travaillons aux « cents jours », au programme des premières mesures de Marine Le Pen en tant que présidente. Nous travaillons aussi sur les ressources humaines. Nous voulons aller à l’encontre d’une idée fausse selon laquelle il n’y a que quelques personnes qui travaillent autour de Marine Le Pen. » L’idée des Horace ? Pouvoir « pousser sur le bouton » dans l’heure où le FN serait élu. « La machine de l’État doit pouvoir se mettre directement en mouvement. On doit pouvoir nommer aux postes clés un certain nombre de personnes, des préfets, des ambassadeurs, des directeurs d’administration ». La candidate du peuple et les élites Jean Messiha aime mettre en avant son parcours. Arrivé en France à l’âge de huit ans sans connaître un mot de Français, il se souvient de son premier livre : « Oui Oui à la ferme ». Depuis, titulaire d’un doctorat en économie, diplômé de sciences po et de l’ENA, il se plaît à citer Balzac, Michelet ou Lamartine. Cela change de l’image de Marine Le Pen, aperçue le soir du Brexit lors d’un Fish and chips chantant du Michel Sardou en regardant les paroles sur une tablette. La candidate du peuple lorgnant vers les élites ? « Une contradiction », selon le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste des extrêmes droites. Mais Jean Messiha a rodé ses arguments : « Marine Le Pen ne se bat pas contre les élites mais dénonce la trahison de ces élites », dit le porte-parole des Horace. Que se passerait-il si Marine Le Pen arrivait au pouvoir ? Son élection entraînerait-elle une crise majeure ? « Pourquoi majeure ? », s’étonne David Rachline, son directeur de campagne. « On n’a jamais eu de cohabitation en France ? Et puis tout est possible. Nous nous battrons pour avoir une majorité présidentielle ». « Un séisme dans l’administration française ? Mais non, je ne crois pas du tout que ce soit dans sa culture », embraye Florian Philippot, le numéro deux du parti. « Déjà, on est en tête chez les fonctionnaires. Et puis en France, ce n’est pas comme aux États-Unis où on change toute l’administration en même temps que le gouvernement ». « Il y a plus de deux millions de fonctionnaires. Nous n’allons pas tous les changer ! On faisait déjà de sombres prévisions avant 1981 quand la gauche devait arriver au pouvoir », dit Jean Messiha, le porte-parole des Horace. « Finalement, tout s’est très bien passé. La gauche a gouverné avec ses préfets, ses ambassadeurs, ses cabinets ministériels. Ce sera pareil dans notre cas ». Pour Jérôme Fourquet, de l’Ifop, il y a pourtant « une vraie interrogation » sur ce qui se passerait si le FN arrivait au pouvoir. « Serait-il capable de faire tourner la machine de l’État ? » Jean-Yves Camus, spécialiste des extrêmes droites, parle aussi d’un saut dans l’inconnu. « Qui serait membre du gouvernement de Marine Le Pen ? On n’en sait rien. Si le FN voulait se crédibiliser, il aurait au moins un « shadow cabinet ». Or, il n’y en a pas ». Surtout, selon le chercheur, on ne peut pas exclure une période de chaos car on ne peut prévoir comment réagirait l’administration française en cas de victoire du Front national. « Serait-elle légitimiste, comme sous Vichy, ou pas ? En cas de refus d’obéissance au pouvoir, sa capacité d’inertie peut être très forte ». [scald=2510724:sdl_editor_representation]

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