Cette fachosphère qui «recentre» Marine Le Pen

ENTRETIEN David Doucet, est l’auteur avec Dominique Albertini de « La Fachosphère » (éditions Flammarion). Il analyse le rapport du FN avec les sites de la mouvance d’extrême droite extérieurs au parti. Quel rapport entretient Marine Le Pen avec les sites internet de la « Fachosphère » ? Au début, vers 2009/2010, elle était très soucieuse de ces sites. C’était presque plus important pour elle d’être relayée sur ces sites qu’à la télé. Elle citait par exemple « FDeSouche » pour être reprise par ce site ensuite. Lors de la rivalité avec Bruno Gollnisch (qui avait autour de lui les catholiques traditionalistes) pour la reprise de l’appareil lors du départ de Jean-Marie Le Pen, elle a veillé à avoir le soutien (ou du moins la neutralité) de ces sites qui sont plus à droite qu’elle pour l’emporter au congrès de Tours en 2011. Depuis qu’elle préside le parti, ces sites sont moins importants ? Ces sites sont même devenus des cailloux dans sa chaussure ! Ils ne sont plus du tout en cohérence avec sa ligne. Ils la poussent sur un discours plus identitaire alors qu’elle défend une ligne nationale-républicaine. Le Salon beige, proche des catholiques traditionnalistes, lui reproche par exemple de ne pas avoir pris part à la Manif pour tous, à l’inverse de Marion Maréchal-Le Pen. Mais malgré tout, ces sites sont utiles à Marine Le Pen : ils la « recentrent »… Ils participent à la déculpabilisation du vote FN. Dans les années 90 quand vous étiez militant ou électeur du Front national, vous n’osiez pas assumer. Les réseaux sociaux ont brisé ce que les sociologues ont appelé la spirale du silence. Le grégarisme encourage la désinhibition. Et ça, ça sourit à Marine Le Pen. Il n’y a plus du tout la même culpabilisation de se dire FN. Aujourd’hui, 80 à 90 % des adhésions au FN se font en ligne. Les gens ne vont plus dans une permanence pour prendre une carte. Marine Le Pen est celle qui a le plus de présence sur les réseaux, le plus d’amis sur Facebook ? Mais c’est aujourd’hui un outil à double tranchant pour elle. Elle veut dédiaboliser le parti mais sur internet, derrière une vidéo qu’elle poste, regardez les commentaires. La base est profondément xénophobe. Il y a une disparité entre l’image qu’elle porte, elle, la tête de gondole, et l’opinion de ses militants qui reste très radicale. La base du FN reste très « hardcore ». C’est pour cela que le FN s’est essayé au réseau social privé ? Cela s’appelait « Les Patriotes ». C’était un réseau social fermé dont le but était double : récompenser les actions militantes (quand les gens allaient tracter, ils recevaient une petite médaille comme dans Foursquare) et contrôler tout ce qui pouvait se dire. S’ils dérapaient, ce n’était qu’en interne. Mais cela n’a pas marché. Les Républicains et le Parti socialiste ont d’ailleurs aussi essayé de faire des réseaux sociaux fermés, avant de renoncer. L’objectif, quand vous êtes militant, ça reste de convaincre autrui. Là, ils se retrouvaient entre eux. C’était limité : ils ne pouvaient parler qu’à des convaincus. Les réseaux sociaux ont été des tremplins pour le FN ? Beaucoup de têtes de pont du FN actuel sont des anciens de la cellule internet du parti. David Rachline, aujourd’hui directeur de campagne de Marine Le Pen, s’est longtemps occupé de cela. Il a créé les réseaux sociaux, le compte Facebook, le compte Twitter. Julien Sanchez, aujourd’hui maire de Beaucaire, a été longtemps le « Michel Drucker » du FN. Il faisait des vidéos pour interroger Jean-Marie Le Pen. C’était le speaker. Tous les gens qui ont eu des rôles sur les réseaux ont eu ensuite des rôles de notables locaux. Ça montre que c’est un secteur important pour eux. Si le FN a remporté la bataille des idées, c’est notamment via ces sites de la fachosphère ? Qu’est-ce qui au départ a été le déclencheur ? L’extrême droite est forte aujourd’hui sur internet parce qu’au départ elle était forte dans les esprits. Les réseaux ont sans doute libéré une parole. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que tous les livres réactionnaires qui connaissent un très grand succès (de Villiers, Zemmour, etc.) s’accompagnent d’une promotion importante sur la Fachosphère. Amazon leur reverse une commission. Fde souche revendique un million de visiteurs uniques par mois. C’est le premier site « politique » français ? C’est le Figaro qui dit ça. Il y a plusieurs classements, en fait. D‘autres classements mettent le site « Identité et réconciliation » d’Alain Soral en premier. Ce qui est fou c’est que ces medias alternatifs font autant de visites que des pure players classiques comme Slate, Rue 89, etc. Quelle va être l’attitude de ces sites dans la campagne ? Ils vont quand même soutenir le FN car comme dirait Jean-Marie Le Pen, le FN restera le premier « syndicat des autochtones » même s’il n’est pas tout à fait sur la ligne de la fachosphère. Ces sites considéreront que le parti de Marine Le Pen sera malgré tout le meilleur porte-voix des idées d’extrême droite en France même si à leurs yeux il ne sera pas assez radical.

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