«Les Anglo-Saxons ont 20 ans d’avance par nécessité»

Notre collègue critique musical, ancien banquier et professeur de finance à l’ULB, Michel Hambersin consacre ses recherches à l’économie de la culture. Il sort un nouvel ouvrage Institutions culturelles et nouvelles technologies en prélude à une rencontre en novembre prochain au Collège de Belgique. Pourquoi écrire sur ce sujet ? C’est un point de rencontre de ma vie où j’ai fait des études de droit et de mathématiques, j’ai travaillé comme banquier et professeur de finance à l’ULB. En même temps, j’ai fait une carrière de critique musical au Soir . J’ai mis tout ça ensemble. Quand je me suis retrouvé dans cette classe de l’Académie technologie et société, je me suis demandé ce que je pouvais apporter d’original. Je voulais faire un pont entre mes deux expériences. Aujourd’hui, le monde de la culture est confronté à un changement complet. C’est une description de ce qu’on vit et des effets que ça peut avoir. Cette recherche n’existait pas auparavant. Le spectacle vivant est-il précurseur ? Il y a beaucoup d’initiatives dans l’industrie musicale. Il y a eu la dématérialisation du CD, des spectacles du Metropolitan Opera de New York diffusés dans les cinémas… N’importe quel concert de l’Orchestre philharmonique de Berlin peut s’écouter dans son salon. Les vrais précurseurs viennent du pop. Le premier spectacle projeté au cinéma est un concert de David Bowie. C’est extraordinaire car il est produit par un jeune gars qui n’est pas dans le classique à ce moment-là : Peter Gelb. Il deviendra ensuite le directeur du Metropolitan Opera et reprendra son projet de retransmission avec les opéras. C’est très rentable. 2,5 millions de spectateurs en un an assistent à ces retransmissions. Quand on joue Puccini au MET, ça fait 240.000 entrées. La salle du MET ne compte que 3.000 places. Donc les retransmissions multiplient par 80 la contenance de la salle. L’important ce n’est pas seulement l’élément financier, c’est la capacité de pénétration de la musique et de la culture vers une population qui n’irait pas autrement. L’Orchestre philharmonique royal de Liège utilise des méthodes similaires mais à plus petite échelle et touche 15.000 personnes. La salle a 900 places. Le taux de pénétration de la culture est plus important. Les pouvoirs publics devraient réfléchir à ça. Je suis persuadé qu’à chaque fois qu’on va vers les gens, ça fonctionne. Peu d’écoles inscrivent ce genre d’événement au programme. Certains gamins ou gamines n’ont jamais vu une pièce de Molière, car si l’on regarde les programmes de théâtre, si on n’habite pas Liège ou Bruxelles on ne peut pas en voir une. Ce serait si simple de prendre une captation au Théâtre National ou au Théâtre de Liège d’un Molière de haute qualité et le retransmettre en direct dans tous les cinémas des grandes villes de Wallonie. L’équipement existe pour le cinéma et l’opéra et n’atteint pas des prix exagérés. Si on répète l’expérience deux ou trois fois, on crée un support, un intérêt des jeunes. Beaucoup d’exemples viennent des pays anglo-saxons. Pourquoi ce retard ? Il y a deux raisons. La première est la notion de communauté qui est propre à tous les grands pays protestants. Non seulement, on est Allemand ou Américain et on appartient à une ville, une région. Un orchestre aux Etats-Unis joue son spectacle trois fois. Ensuite, il y a tout un système de mécénat et de défiscalisation qui permet à des mécènes privés de donner de l’argent. Comme les institutions anglo-saxonnes sont beaucoup moins subsidiées, si elles n’ont pas de public, elles meurent. Elles sont obligées d’aller chercher du public et ont mis en place une foule de technologies et pratiques pour aller à la rencontre des gens et les amener aux concerts par des activités annexes. Ils ont fait exploser un mode de travail qui existait déjà. Ils ont 20 ans d’avance par nécessité. On a tout en main mais il faut mettre les gens en présence. J’ai l’intention d’aller plus loin. J’organise en novembre une après-midi complète de réflexion sur le sujet avec des experts sur le sujet et des personnes qui viendront raconter leur expérience. On sortira du spectacle vivant, on va parler des musées, de la radio et la télévision. Attirer les jeunes à l’opéra, c’est possible, vous l’expliquez en prenant les exemples de Lyon et de Liège. Si on veut que les gens des nouvelles générations viennent aux spectacles, il faut s’interroger sur leurs manières de vivre et d’être. Il faut changer de mentalité. L’ORW a commencé à faire des efforts il y a dix ans et ils sont à plus de 30 % de jeunes dans la salle. Ce qui me frappe, c’est l’expérience à Flagey du Rich Content Experience avec le concert des Wiener Sängerknaben joué en direct dans une salle et dans une autre salle, le concert était retransmis et on pouvait utiliser les smartphones, etc. Le film était aussi sur Télé Bruxelles (NDLR : BX1) en néerlandais. Certains acceptent de prendre le risque. Le problème c’est qu’il faut les bons communicateurs pour le faire comprendre Institutions culturelles et nouvelles technologie. L’expérience du spectacle vivant, Hambersin Michel, Académie royale de Belgique, 2016, 128 p, 7 €

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