Laurent Bouvet: «La stratégie de Valls est très étrange»

Le politologue Laurent Bouvet enseigne à l’université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines. Pour lui, la stratégie du grand écart de Manuel Valls est périlleuse. Cette primaire a-t-elle encore un sens ? Elle avait été taillée pour sauver le soldat Hollande… Elle n’a plus beaucoup de sens. Cette primaire avait été faite pour lui et n’avait pas été imaginée pour ces candidats-là. La primaire est bordée des deux côtés par des candidats qui proposent une offre idéologique claire et lisible hors de ce cadre : Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Du point de vue idéologique, le débat entre les deux gauches que l’on présente comme irréconciliables, il est là. Ce problème se serait posé avec François Hollande aussi mais il avait pour lui la légitimité du Président sortant. D’autre part, le calendrier est très court. La campagne se déroule sur à peine trois semaines. Certains n’ont pas eu le temps d’installer leur candidature. Quatre anciens ministres de François Hollande sont présents… Il sera difficile de se présenter comme des hommes neufs. Valls et Montebourg ont déjà été candidats à la primaire de 2011. Même Hamon va avoir du mal à expliquer pourquoi il est resté si longtemps au gouvernement et pourquoi il a soutenu la nomination de Valls à Matignon. La primaire pourrait-elle être en soi un échec ? Mon hypothèse, c’est qu’une primaire n’est légitime que dans la perspective de la victoire finale (ou d’une probabilité de victoire) du candidat. Cela a été le cas en 2011 à gauche et cela a été le cas à droite cet automne. Dans ces circonstances, la mobilisation est très forte. A l’inverse, quand on est dans la perspective d’une défaite annoncée, il peut y avoir un effet contre-productif. La primaire peut révéler les insuffisances des candidats. Les vaincus peuvent ne pas soutenir le vainqueur. Valls et Peillon soutiendraient-ils Montebourg ou Hamon ? Et vice-versa ? Ce sera compliqué. Valls a raté son début de campagne ? Il est dans le grand écart par rapport à ce qu’il a fait au gouvernement… Il pense que c’est ce qui peut le mieux rassembler son camp. Il promet d’abroger le 49.3 parce qu’il sait qu’avec la déchéance de nationalité, cela a été un sujet très clivant pour la gauche. Mais en prenant ce contrepied complet pour apparaître comme l’homme du rassemblement, il ne va pas convaincre qu’il a changé. Et il risque au contraire de perdre de sa crédibilité auprès de ceux qui étaient derrière lui. C’est très étrange comme stratégie. Il aurait pu se présenter en se montrant tel qu’il est. Cela aurait été plus cohérent. Que vient faire Vincent Peillon dans cette primaire ? C’est un mystère. Il ne l’avait pas du tout préparée. Il est parti avec un seul objectif : faire de l’anti-Valls. Il prend tous les marqueurs, comme la laïcité par exemple, pour se démarquer mais sur le plan économique, il est très proche du bilan du gouvernement, même s’il propose de remanier un peu la loi El-Khomri. Quand on est sorti du jeu, on peut revenir. Mais il faut alors avoir un projet très fort, incarner une forme de recours. Ce n’est pas du tout le cas de Peillon. Benoît Hamon peut-il être le François Fillon de la gauche ? Je ne pense pas. Même s’il est dans une dynamique forte. A la différence de François Fillon, il a à la fois un électorat et une offre politique plus limités. Son offre est marquée dans le cœur de la gauche classique, avec des dépenses publiques et le revenu universel dont on ne comprend pas bien d’ailleurs le financement. C’est du socialisme dépensier assez classique mâtiné d’écologie. Mais il y a déjà Jean-Luc Mélenchon sur ce créneau. Fillon avait une offre plus complète et diversifiée. Il s’adressait à différents segments de l’électorat de droite : le libéralisme en matière économique, le conservatisme sur les mœurs, une réorientation de la politique internationale. Il n’avait pas de concurrence sur ce terrain. Marine Le Pen n’en était pas une. Je ne vois pas comment Hamon pourrait créer la surprise. Même s’il a des atouts : il a un certain talent, il a de l’expérience, il apparaît comme celui des quatre qui est le plus neuf (avant d’être brièvement ministre de l’Education, il avait géré l’économie solidaire ce qui n’est pas un portefeuille très exposé), il a des réseaux (des aubrystes et les jeunes socialistes), il est assez bon sur les réseaux sociaux. Mais je ne pense pas que cela puisse suffire. Les sondages ont-ils un quelconque intérêt ? Je ne crois pas. Beaucoup de gens se disent peu intéressés par cette primaire et ne savent pas s’ils iront voter. D’autant qu’il n’y aura que 7500 bureaux de vote et qu’il faudra donc parfois faire des kilomètres. Si la participation s’écarte de la fourchette de 2 à 2,5 millions d’électeurs, les scénarios peuvent être différents. Mais je vois mal en tout cas comment Valls ne pourrait pas être au second tour. Peillon ne sera pas dans la compétition pour le deuxième tour et la concurrence entre Montebourg et Hamon sur l’aile gauche devraient logiquement le servir. Mais tout cela ne sera que pour arriver à une troisième place ! Et pour prendre des marques avant le futur congrès du PS ? Le vainqueur aura plus de chances de le gagner. Il aura une légitimité. Mais est-ce que le parti va seulement continuer ? Est-ce qu’il ne va pas éclater ? On verra. Le candidat issu de la primaire pourrait-il se désister au profit de Macron ? Il faut voir qui l’emportera. Mais de toute façon, je ne vois pas Valls se désister au profit de Macron. Ni Hamon ni Montebourg au profit de Mélenchon. La primaire donne tout de même une légitimité. Même s’il n’y a qu’un million d’électeurs, c’est toujours mieux que rien. Ce serait pour la gauche l’assurance de perdre ? La probabilité pour Macron ou Mélenchon de concurrencer Fillon et Le Pen me paraît de toute façon assez faible. La réalité sociologique est là : Le Pen dispose d’un socle de 20 à 25%, avec beaucoup de catégories populaires. Fillon dispose d’un socle de 20 à 25%. Je ne vois pas comment Macron pourrait faire plus de 20%. La bulle, pourtant, ne se dégonfle pas… Les gens peuvent avoir une bonne impression sans pour autant se déplacer pour voter pour lui. Quand viendra l’élection, il faudra désigner celui qui devra discuter avec Poutine, Erdogan, Trump, Merkel, May, Xi Jinping. Le problème de la présidentielle, c’est que ce n’est pas un examen mais un concours. Il n’y a que deux places au second tour.

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