«Noir Jaune Blues»: «Il nous faut éveiller les consciences»

Jean-Pascal Labille, président de Ceci n’est pas une crise, est un des initiateurs de l’enquête Noir, Jaune, Blues version 2017. Il la referme en disant son ambition de voir éclore un nouveau mouvement citoyen. [scald=2554128:sdl_editor_representation] Pourquoi votre fondation a-t-elle financé cette enquête ? Notre Fondation veut être un agitateur d’idées. L’enquête nous donne une base scientifique intéressante pour examiner des questions identitaires dont on pressentait qu’elles envahissaient tout l’espace public. Au-delà des chiffres, nous voulions analyser le système qui amène ces changements et esquisser une réponse à la question : « quelle société voulons-nous ? » D’abord, une société qui en finit avec la crise ? Nous ne sommes pas en crise : une crise postule qu’à son terme on revienne à l’état précédent or cette fois cette fois les mutations sont telles qu’on est face à un basculement. Dans ce contexte, nous voulons être des éveilleurs de conscience, faire savoir qu’un autre monde est possible. Possible alors que l’enquête met en lumière le racisme ambiant ? Je ne pense que la société belge soit raciste. On est face à un défi éthique et moral qui découle de l’effritement de la confiance dans les grandes structures sociales telles que la police, la magistrature, l’église, la presse, le politique… celles-là même qui protégeaient et donnaient, verticalement, une ligne de pensée. En donnant une réponse identitaire à des problèmes socio-économiques, c’est comme si des acides avaient dissous les charpentes de la société actuelle. Ces acides ce sont la domination de la sphère financière et l’extraordinaire développement des médias horizontaux qui créent des individus plus autonomes mais également plus vulnérables. Aussi des peurs ont envahi les esprits et ont été exacerbées par les attentats. En conséquence, les gens se referment sur leur communauté, leur cocon protecteur. La solution, c’est de travailler sur ces peurs ? Nous sommes à un tournant. Les gens ont envie de vivre autre chose. Il nous faut désormais donner une caisse de résonance à toutes ces associations, toutes ces personnes – que l’enquête a qualifiées de renaissantes – qui nous montrent qu’un autre monde est possible. Pour y parvenir, il nous faudra éveiller les consciences, faire de la contagion culturelle. Il nous faudra aussi construire un nouveau rapport de force qui institue une société davantage inclusive. Cela passe par une réaction politique, citoyenne ? Les deux ! Une des priorités c’est de s’intéresser à ceux qui se sentent abandonnés (même si le système les prend bien en charge). On avancera sur cette piste en évitant trois pièges. Le déni de ce qui va mal : nier l’existence de travailleurs pauvres par exemple c’est alimenter leurs peurs. La facilité de désigner un bouc émissaire : l’objectif de la fondation c’est de démonter cette rhétorique propre aux populistes. L’immobilisme : en restant sans réponse face aux inégalités on crée le terreau où germent les mouvements identitaires. Comment agir concrètement ? Il faut passer à l’action, expliquer à la plus large majorité pourquoi changer de société. Il faut mettre en lumière les expériences qui fonctionnent (que le film « Demain » a révélées par exemple), faire de la contagion culturelle. Face au défi actuel il y a deux chemins : la fermeture et la renaissance. Avec la Fondation, je choisis le second car ce n’est pas en se refermant qu’on construira une société où chacun a sa place. Nous avons d’autres ambitions collectives que de punir les pauvres en enrichissant les nantis et d’autres libertés que celle de choisir entre deux produits de consommation. Tout ceci préfigure-t-il la naissance d’un nouveau mouvement politique ? Allez-vous le fédérer ? Ce n’est pas l’objectif. Mais des mouvements citoyens se développent témoignant d’une mobilisation et de l’envie de bouger les lignes… Mon ambition, c’est de travailler à mettre en lumière et à connecter ceux et celles, individus ou associations, qui pensent qu’un autre chemin est possible. C’est de faire en sorte ensuite que leurs exemples soient contagieux pour que s’inversent les rapports de force. Ma vraie ambition personnelle pour les 10-15 prochaines années c’est de rendre la société meilleure. Chaque fois que je pourrai y contribuer, je le ferai. J’y mettrai toute mon énergie. Et il en faudra pour que les utopies d’aujourd’hui soient les réalités de demain.

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