«Avec les conditions de travail actuelles, les maîtres de religion, morale et EPC s’épuisent»

Les inspecteurs Thierry Barreau et Richard Paulissen évoquent les conditions de travail des profs de religion, morale et EPC. Le mot épuisement revient en boucle. Ce nouveau cours d’EPC, c’était vital ? Thierry Barreau : La montée des communautarismes place la société devant un risque explosif majeur. Un musulman ou un catholique qui voudrait se radicaliser disposait dans l’école d’assez de périodes de religion pour que l’on puisse désamorcer les situations. Et que voit-on ? On démolit le système. [scald=2554212:sdl_editor_representation] Richard Paulissen : L’enquête « Noir-Jaune-Blues » du Soir signale que 33 % des musulmans ne partagent pas les valeurs occidentales. Le cours de religion était un bel instrument permettant aux jeunes de rencontrer quelqu’un de leur communauté. Qui pouvait leur dire : « Ce que vous voyez sur Youtube, attention… Moi, je vous dis : l’islam, ce n’est pas ça, c’est ceci… » Et puis, qui est le mieux placé pour parler d’une tradition religieuse que quelqu’un qui en fait partie, qui baigne dans sa communauté ? [scald=2554211:sdl_editor_representation] Pensez-vous que le politique a volontairement créé le chaos pour pouvoir plaider, un jour, la suppression de la religion/morale dans l’officiel ? T. B. Je ne fais pas de procès d’intention. Je constate. Nous sommes en contact avec les autres religions et la laïcité. Et le constat est : avec les conditions de travail actuelles, les maîtres de religion, morale et EPC se découragent, s’épuisent. A terme, ils vont revenir à d’autres fonctions. Ces profs sont, dans leur grande majorité, instituteurs, régents, licenciés. Ils ont d’autres cordes à leur arc. On va voir s’épuiser un capital humain qui était le seul capable de répondre aux dangers de la radicalisation. Il ne suffit pas d’un cours d’EPC pour promouvoir un faire-ensemble. Les maîtres de religion ont une intelligence de la foi, qui peut démonter certains discours – ils sont formés pour ça. Et puis, rejeter le religieux dans la sphère privée, c’est dangereux. Même pour la religion catholique ? T. B. Elle n’est pas plus immunisée que d’autres de la radicalisation. C’est un phénomène que vous observez ? Ou que vous redoutez ? T. B. Je ne l’observe pas. Mais on voit poindre, dans les discours de Trump, par exemple, une mouvance chrétienne radicalisée. Le risque existe. R. P. En 2000, Hervé Hasquin (ex-ministre-président de la Communauté française) avait proposé un cours de philo en fin de secondaire. Les cultes et la laïcité se sont mobilisés pour dire : construisons ensemble la société, en gardant chacun sa particularité. T. B. L’argument de ceux qui ont créé l’EPC, c’était de dire que les enfants, au cours de religion, sont séparés. Ho !… Ils étaient séparés 2 heures par semaine. Ils étaient sur les mêmes bancs le reste du temps. Beaucoup de profs de religion/morale ont dit : l’EPC, c’est ce qu’on fait déjà. T. B. Pas tout. Mais bien des apprentissages que l’on retrouve dans l’EPC se trouvaient dans les cours de religion/morale. R. P. Pour l’éducation citoyenne, on n’a pas attendu l’EPC !… Il y avait des échanges entre les cours de religion et morale. Au secondaire, il y a trois compétences communes aux programmes de religion : 1. pratiquer le questionnement philosophique ; 2. le dialogue interconvictionnel ; 3. explorer les fondements philosophiques et théologiques de la citoyenneté. Le cours de religion/morale a été réduit de 50 % aussi. Est-il encore possible de voir le programme ? T. B. Il reste 50 minutes. Enlevez le temps qu’il faut pour faire entrer les élèves, les faire sortir. Ajoutez les déplacements d’une école à l’autre. Prenez un professeur qui a 13 écoles, 300 enfants. Que sait-il de ses écoles, ses collègues, des élèves, des parents ?… R. P. Il est de passage… Comme un courant d’air… Le libre, au lieu de créer une EPC, ventile la philo et la citoyenneté dans les cours existants. C’était le bon choix ? T. B. Il était cohérent que le politique exige de tous les réseaux un même cours. Et il était cohérent que le libre décide de dispenser ce cours à travers les autres branches. R. P. Qui peut, mieux que chaque spécialiste dans sa branche, développer la citoyenneté ? Le prof d’histoire pour les fondements de la démocratie, d’économie pour expliquer la mondialisation, etc. Parlez-nous des conditions de travail des profs de religion, morale et EPC… T. B. Epouvantables !… Avant la création de l’EPC, nous avons alerté tout le monde – politique, syndicats, autorités religieuses – sur un danger de triple épuisement : physique, psychique et financier. Il est là ! Le midi, les profs mangent leurs tartines dans leur voiture… Un épuisement financier ? T. B. Oui, à cause des déplacements, le carburant… La Communauté n’intervient pas dans les frais de déplacements… R. P. Non ! La Communauté intervient pour les transports en commun. Mais quelqu’un qui fait 9 écoles, dans une province comme le Luxembourg par exemple, allez faire ça en transports en commun… Marie-Martine Schyns (CDH), la ministre de l’Education, songe à limiter le nombre d’écoles à neuf. T. B. Neuf, ce n’est pas tenable ! R. P. La barre de six a été évoquée. Au-delà, les gens s’épuisent. Et il faudrait que l’on tienne compte des temps de déplacements dans la charge du maître. Avec six implantations, ça sera peut-être difficile d’avoir un horaire complet. R. P. Le professeur presterait ses heures dans ses écoles. Et pour le reste, il serait à la disposition du pouvoir organisateur pour animer tout ce qui a rapport à la citoyenneté, des journées dédiées aux génocides, les Tambours de la paix, etc. Constate-t-on un accroissement des maladies ? Des burn-out ? T. B. Dans mon secteur, les profs sont fidèles au poste – chapeau ! Mais ils sont dans de moins bonnes conditions de santé qu’avant. Le mot burn-out est trop fort pour certains et insuffisant pour d’autres. Il y a un épuisement. Des enseignants ne dorment plus. J’en connais qui ont physiquement changé, maigri. R. P. Ils sont blessés dans leur identité professionnelle. Et imposez dans une entreprise privée ce qu’on impose aux maîtres de religion/morale, vous vous tapez une grève !

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