Au secours, le théâtre se meurt!

« C’est la première fois de ma vie où je me dis que si j’avais un enfant qui voudrait faire du théâtre, je le lui déconseillerais. » Serge Rangoni, le directeur du théâtre de Liège, ne mâche pas ses mots. « C’est une catastrophe, enchaîne Janine Godinas, comédienne et membre de l’Union des artistes. Bientôt, il n’y aura plus d’emploi. Il y a de plus en plus de comédiens qui ne peuvent plus payer leur loyer, aujourd’hui. » Michaël Delaunoy, directeur du Rideau de Bruxelles, n’est pas plus optimiste : « Qui est aujourd’hui capable, en terme de répertoire, de monter Eschyle ou Shakespeare, avec la distribution que cela demande ? Tout ce répertoire est en train de disparaître, pour le grand malheur des nouvelles générations, qui en seront privées. Ce qui se passe tient presque de la censure économique. C’est terrible. » Le ton était à la tragédie, ce lundi matin au théâtre du Parc, et cette fois ce n’était pas une fiction. La plupart des représentants du monde théâtral étaient là, tous unis afin de dénoncer, face à la presse, une situation économique qui, affirment-ils, vire tout doucement à la catastrophe. En cause, une détérioration progressive des emplois artistiques dans le monde des arts de la scène. Les associations représentant le monde théâtral (Conpeas, Cpepas, SACD, ATPS, Union des artistes) étaient toutes au rendez-vous, désormais rejointes par Facir, qui représente les musiciens de la partie francophone du pays. Michel Bogen, directeur du Théâtre Le Public, est un habitué du bras de fer avec les gouvernements. « Ce problème de financement est récurrent, reconnaît-il, mais franchement ici on touche le fond. » Pierre Dherte, comédien et représentant l’Union des artistes, s’exprime en faisant référence à Camus et au mythe de Sisyphe. « J’ai l’impression que les artistes de chez nous ne cessent de pousser une pierre, de la monter… et de la voir redescendre. » Les problèmes de sous-financement sont pathologiques, accuse-t-il. « Si rien ne change, on aura bientôt droit sur nos scènes à du Shakespeare en version monologue. » Inès Rabadan, présidente du comité belge de la SACD, souligne l’importance de l’emploi artistique, dans le monde du théâtre. « La force de ce métier repose sur les artistes, les créateurs. Sans eux, rien n’existerait. » Ce sont pourtant eux les sacrifiés, déplorent la plupart des participants. Parmi eux, des représentants de l’association des techniciens des arts de la scène, qui rappellent le rôle créatif des techniciens d’aujourd’hui. A leur façon, plus discrète, ce sont aussi des artistes. C’est notamment ce que rappelle Monica Gomes, du Théâtre de la Balsamine. De moins en moins de subventions Depuis 2008, le secteur des arts de la scène n’a plus été indexé. Et depuis 2015, les théâtres se voient retirer 1 % de leurs subventions. Les conséquences se font peu à peu désastreuses, tonnent les directeurs de théâtre. « La majorité des théâtres sont à moins 15 % par rapport à 2008 », assure Michel Bogen. Cécile Van Snick, directrice de l’atelier Théâtre Jean Vilar, confirme : « Entre 2008 et 2017, années non indexées, nous avons perdu 900.000 euros. » Pour Philippe Sireuil, directeur artistique du Théâtre des Martyrs, « quand dans le décret, on dit aujourd’hui que les subventions vont être indexées à partir de 2019, certains d’entre nous sont dubitatifs –et j’en suis. » Serge Rangoni renchérit : « A partir de 2017, les périodes chômées ne comptent plus pour les pensions, dans notre métier. Vous imaginez l’horizon social, dans un secteur intermittent ? Alors imaginez, dans vingt ou trente ans... » « On est tellement noyé, reprend Janine Godinas, que lorsqu’on se rassemble entre nous, on n’a plus le temps, ni même l’envie, pour parler entre nous de la création. On ne parle que de problèmes d’emploi. On perd du coup le sens de notre réflexion de comédien. Tout ça alors qu’on a aujourd’hui de plus en plus de jeunes qui sortent des écoles de théâtre. Où vont-ils aller ? S’ils s’accrochent à ce métier, bonne chance, car ils n’auront même plus droit au chômage. » Frédéric Young, de la SACD, stigmatise quant à lui l’attitude du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Un gouvernement PS-CDH qui d’un côté dénonce le manque d’indexation du gouvernement fédéral, et qui de l’autre n’indexe pas les travailleurs des arts de la scène. Quel cynisme ! La ministre de la culture soulignait il y a peu la fierté des artistes. Faut-il lui rappeler que cette fierté a un prix ? » Pour Frédéric Young, « adopter un décret qui est la traduction dans le secteur des arts de la scène d’une politique ambitieuse en faveur de la culture, c’est très bien. Inviter les artistes à bouger les lignes, très bien. Mais il n’y a aucune réflexion sur la mise en œuvre de cette ambition. Et nous, on veut un plan de développement. Je crois que c’est aujourd’hui à la Communauté française à se moderniser et à bouger ses propres lignes. » Chez la ministre Après la réunion au Parc, une manifestation avait lieu devant les bureaux de la ministre de la culture qui rencontrait ensuite les représentants du secteur. A l’issue de cette entrevue, Alda Greoli (en photo) insistait sur deux points. D’une part, elle s’engage à se battre pour obtenir l’indexation des contrats-programmes dès 2017. D’autre part, elle prévoit déjà d’autres rencontres du même type avec un secteur qui désire se fédérer. «Le secteur a besoin de cela. Il n’est pas normal que ce soit l’administration qui soit le seul interlocuteur et conseilleur alors qu’elle doit aussi contrôler les choses. Il faut une fédétration du secteur auquel les membres cotisent (selon leurs moyens bien entendu) avec des permanents et une organisation forte. Ce sera le meilleur moyen pour défendre le secteur et éviter les copinages et autres arrangements» certifie-t-elle. 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