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Des preuves obtenues de manière irrégulière peuvent être utilisées par le fisc

La Cour de cassation élargit la jurisprudence pénale en matière de preuves « illégales » à l’administration fiscale. Ce qui ne plaît pas aux avocats fiscalistes ni au syndicat des indépendants SNI.

Chef du service Monde Temps de lecture: 3 min

Le fisc belge peut à présent utiliser des preuves « irrégulières » contre un contribuable, a tranché la Cour de cassation. D’après son arrêt du 22 mai, le fisc a désormais le droit d’utiliser ces preuves quand un procès équitable s’avère possible.

La Cour a rendu cet arrêt suite à une affaire d’exemption de TVA opposant l’Etat belge à une entreprise anversoise. L’administration fiscale belge n’avait pas suivi les procédures légales pour obtenir des informations de leurs collègues portugais. Ce que contestaient les avocats de l’entreprise qui avait été amenée à payer une lourde amende pour non-paiement de la TVA, prétextant qu’elle avait été payée par sa filiale portugaise.

Cette décision, qui va faire jurisprudence, ne plaît pas aux avocats fiscalistes. « Il n’y aura plus de contestation possible, par exemple, dans le cas d’une liste volée, comme on l’a connu avec HSBC », estime l’avocat fiscaliste Hubert Dubois cité par l’agence Belga.

Une critique que réfute Damien Vandermeersch, avocat général à la Cour de cassation. « Il y aura toujours la possibilité de contester puisqu’il y a le critère du principe de bonne administration, du procès équitable et aussi le fait que la loi prévoit explicitement une sanction. L’arrêt du 22 mai parle bien de cas où la loi ne prévoit pas de sanction. Cela veut dire que l’administration ne peut pas se comporter comme des bandits ou des gens sans foi ni loi ».

Pour Damien Vandermeersch, « tout dépend de l’impact de l’irrégularité sur le droit protégé. Si la preuve est obtenue sous la torture, cela ne va pas évidemment. Ce qui compte, c’est la proportionnalité entre la gravité de l’infraction fiscale et l’irrégularité commise… Si l’administration est de mauvaise foi, cela reste évidemment un élément d’appréciation. En matière pénale aussi, si la police foule volontairement et en connaissance de cause la loi pénale et la met de côté, on dira que ça ne va pas ».

Toujours d’après Damien Vandermeersch, « c’est une première en matière fiscale, la jurisprudence Antigone étant déjà consacrée en matière pénale. Ici, on l’adapte en y ajoutant le critère du principe de bonne administration. On préfère parler de preuve irrégulière plutôt qu’illégale ».

Uniquement fiscal ? « Non, dans tout ce qui pourrait conduire à des sanctions administratives, poursuit Damien Vandermeersch. En matière sociale, environnementale et autres sanctions administratives au sens large. Pour des matières civiles entre citoyens, c’est tout autre chose ».

Pour le Syndicat neutre des indépendants, « l’usage de preuves obtenues illégalement est inacceptable dans un Etat de droit ». « La porte est ouverte à l’arbitraire du fisc tout puissant », estime Christine Mattheeuws, présidente du SNI qui demande au ministre des Finances d’appliquer au plus vite l’accord de gouvernement dans ce domaine. Dans cet accord, il est mentionné que le système fiscal doit apporter aux entreprises la sécurité juridique et que les droits fondamentaux du contribuable doivent être préservés.

 

Qu’est-ce qu’une preuve illégale?

Temps de lecture: 2 min

« Ce n’est pas une première, rappelle Patrick Henry, président d’Avocats.be (Ordre des barreaux francophone et germanophone de Belgique). Le principe est né en droit pénal, a été étendu au droit social puis, maintenant, au droit fiscal. Tout ceci part de la jurisprudence dite Antigone où la Cour de cassation a reconnu en 2003 qu’une preuve obtenue illégalement pouvait être utilisée à certaines conditions, qui ont été consacrées par la loi en 2013 (“la preuve est écartée si l’irrégularité porte atteinte à sa crédibilité, au droit à un procès équitable”) puis, en 2014, un autre arrêt de la Cour de cassation introduit la notion de la conformité à “l’idéal de justice”, ce qui fait pousser des cris d’orfraie à de nombreux juristes. C’est clairement une façon de permettre au juge de sauver une preuve illégale s’il trouve que l’infraction est tellement énorme qu’il ne peut l’écarter. »

Mais qu’est-ce qu’une preuve illégale ? « Elle a été obtenue en violation d’une règle de procédure ou d’un principe général du droit. Dans l’affaire KB-Lux, certains documents ont été volés à un banquier et c’était donc une preuve illégale. De même quand, en droit social, des caméras illicites enregistrent des comportements d’un employé. C’est au juge à décider alors s’il l’utilise ou non. Les écoutes ne sont pas toujours illégales. Le juge peut les demander et un projet de loi veut permettre au procureur de les demander, ce qui augmente considérablement ses moyens. Il y a des limitations : dans la lutte contre le grand banditisme, des cabinets d’avocats ou de médecins ne peuvent être mis sur écoute que s’il y a des indices qu’ils permettent de servir à des infractions. »

De même, on entend souvent que « les enregistrements ne sont pas des preuves en justice ». Ce n’est pas vrai évidemment. Patrick Henry : « Si on enregistre quelqu’un à son insu, c’est une preuve obtenue illégalement. En revanche, si la personne sait que la conversation est enregistrée, c’est tout à fait légal. Mais, effectivement, dans le premier cas, le juge peut retenir ce moyen de preuve même s’il est illégal. »

Le fiscaliste: «Ce n’est pas digne d’un Etat de droit»

Temps de lecture: 3 min

Amaury de la Chevalerie est fiscaliste à Bruxelles.

Désormais, l’administration – notamment fiscale – peut utiliser des preuves obtenues irrégulièrement. Dangereux de votre point de vue ?

Il y avait une tendance dans ce sens-là dans les autres domaines du droit. Si on dit qu’une preuve obtenue illégalement peut servir de base à une taxation quelconque, tout est permis. L’administration n’a plus alors à respecter aucune règle. La Cour de cassation est toujours sensible à la gravité des faits. Le problème, c’est d’aller d’un extrême à l’autre. Il y a eu évidemment des cas scandaleux où, pour des problèmes de pure procédure ou de délais de prescription, les pires fraudeurs n’étaient pas punis. Mais il y a des règles et la loi est stricte pour que les gens travaillent correctement. Mais, de cet extrême, on ne peut pas passer à l’autre et dire : ce n’est pas grave, les règles existent mais il ne faut pas les respecter. Alors, on ne fait plus de règles et c’est arbitraire. Qu’on ait des règles et qu’on les respecte.

Tout cela est à l’appréciation du juge pourtant…

Oui, mais alors c’est le pouvoir aux juges, l’administration peut tout essayer et si ça marche, tant mieux. Je trouve que tout cela n’est pas digne d’un Etat de droit. On me répondra que ce n’est pas digne d’un Etat de droit que des gens qui ont commis une faute manifeste ne soient pas condamnés. Alors, c’est un peu « la fin justifie les moyens ». On va dire « celui-là a commis une grosse fraude, donc il n’a pas droit au respect des règles », cela ne va plus car on ne dira rien si la fraude est moins importante. Ce sont des jugements de valeur et c’est une dérive très dangereuse. Car on peut arriver à des comportements sordides. Par exemple, des époux qui se séparent et un des conjoints va voler des documents dans le bureau de l’autre, cela arrive souvent et ce sont des preuves illégalement obtenues et elles ne sont pas produites. Aujourd’hui, pour coincer les gens qui ont des comptes à l’étranger, c’est vraiment au vol qu’on recourt, ce sont des employés licenciés qui balancent des listings de la banque. Tout le monde va trouver cela normal car c’est entré dans les mœurs.

Mais est-ce que ce n’est pas le seul moyen de coincer ces gens ?

Non. Il me semble que c’est plutôt l’Etat qui est trop faible. Ce sont les fonctionnaires qui ne suivent pas, en nombre ou en termes de motivation. Les Etats ont des moyens exorbitants, ils ont tous les moyens, c’est leur problème s’ils ne parviennent pas à traquer les fraudeurs, on ne va pas leur permettre d’aller encore plus loin. Il faut respecter un équilibre dans les règles du jeu. Je comprends qu’il y ait des choses inadmissibles mais cela fait partie du jeu. Aux Etats-Unis, on jette toute preuve obtenue illégalement mais les moyens de l’administration sont gigantesques.

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