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Des médicaments à tout prix?

Les Mutualités libres lancent un débat ce jeudi sur le coût des médicaments pour la société. Dans sa ligne de mire, les médicaments anticancéreux et les molécules capables de soigner des maladies orphelines.

Exclu Soir+ - Chef du service Société Temps de lecture: 4 min

Près de 14.000 euros le kilo. Le kilo de patient… La thérapie génique – introduction des gènes thérapeutiques dans des cellules ciblées – a beau être un des traitements les plus prometteurs, elle n’en reste pas moins un des plus coûteux au monde. La facture atteint 836.000 euros pour un patient de 60 kg et, comme souvent dans ce cas, elle grimpe proportionnellement au poids du malade. L’Allemagne vient de décider de rembourser un de ces traitements pour une maladie orpheline. La Belgique n’en est pas encore là. Pourtant, après des essais cliniques encourageants, la thérapie génique constitue désormais un véritable espoir pour des affections beaucoup plus courantes comme la maladie de Parkinson ou de Huntington. « Dans un contexte de forte pression budgétaire, aura-t-on les moyens de rendre accessible à tous l’innovation thérapeutique ? Et, partant, quel est le coût acceptable d’un traitement pour la société », s’interroge Xavier Brenez, directeur général de l’Union nationale des Mutualités libres. Ces questions seront au centre d’un débat organisé par les Mutualités libres ce jeudi. Tout comme d’ailleurs les chiffres les plus emblématiques du secteur des médicaments, chiffres quelles livrent au Soir en primeur.

1. La note des médicaments. En 2014 en Belgique, la note des médicaments a pour la première fois dépassé les 4 milliards d’euros. C’est près d’un milliard de plus en une décennie. La hausse atteint en fait 27 % depuis 2005. Pourquoi une telle hausse ? Il y a évidemment, un certain nombre de phénomènes connus : la croissance démographique, le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre de patients atteints de maladies chroniques… Il y a aussi l’arrivée sur le marché de molécules innovantes – et chères – améliorant la qualité de vie et l’espoir d’éradication d’une maladie. C’est le cas notamment de l’hépatite C pour laquelle une nouvelle gamme de médicaments apporte des résultats spectaculaires à un prix qui ne l’est pas moins : entre 60.000 et 140.000 euros par patient pour un traitement variant entre 12 et 48 mois. « Dans ces conditions, la sécurité sociale réserve ce traitement aux patients atteint d’un stade bien précis de fibrose, dit le docteur Christiaan Van Hul, expert aux Mutualités libres. Ce qui ne va pas sans poser des questions éthiques sur le sort de milliers de patients qui doivent attendre d’être à un stade avancé de la maladie pour bénéficier du traitement le plus efficace. »

2. Le top des plus chers. Parmi les éléments qui expliquent la hausse de la note on compte l’avènement de nouvelles gammes de médicaments anti-cancéreux et de molécules capables de ralentir la progression de maladies orphelines. Pour les premiers, les Mutualités libres notent, sur base d’une étude américaine, une facture multipliée par 100 en un demi-siècle : alors qu’en 1965 on comptait 100 dollars par mois et par patient, on est aujourd’hui à 10.000 dollars par mois et par patient ! Des données récoltées par l’organisme assureur auprès de ses patients font apparaître une facture de « pharmacie » variant entre 60.000 et 16.000 euros par an et par patient pour les 10 anticancéreux les plus coûteux. S’agissant de maladies orphelines, la note atteint des sommets : le top 10 des médicaments les plus chers contient sept molécules actives dans ce contexte, dont coût 523.000 euros pour la tête du top 10 et 68.000 pour la dixième place.

3. Contrôler les prix. Comment rendre le coût d’un traitement acceptable pour la société tout en se préoccupant des questions éthiques. A l’instar de certains experts (lire ci-contre), les Mutualités libres vont interpeller les autorités sur ces questions et, surtout, faire des propositions. « On pourrait, dit le docteur Christiaan Van Hul, multiplier les contrats particuliers négociés avec les firmes pharmaceutiques sous l’appellation article 81 ». Des contrats en vertu desquels le remboursement par les pouvoirs publics est notamment lié à des compensations données par la société productrice du médicament. Il va plus loin, « La Belgique devrait multiplier les opérations du type « pay for result », dans lesquelles les firmes sont remboursées au prorata de l’efficacité réelle ». Enfin, l’assureur met le doigt sur les nécessaires collaborations internationales, et pour l’échange de données sur l’efficacité des molécules, et pour tenter d’obtenir des économies d’échelle dans le cadre de contrats plus importants. Suffisant ? Pas sûr car, les Mutualités libres insistent sur ce point, « les coûts de la recherche, de la fabrication et de la commercialisation, sont loin d’être transparents ». A éclaircir pour... clarifier le débat.

 

«Il faut parfois savoir renoncer à un médicament»

Temps de lecture: 2 min

Jean-Marie Maloteaux est chef du département de neurologie clinique des cliniques St-Luc (UCL) et président du comité d’éthique médicale

Le citoyen doit-il s’attendre à ce qu’on refuse bientôt le remboursement d’un médicament trop cher ?

La situation actuelle, due à l’innovation remarquable pour traiter des maladies orphelines, que l’on pensait hors de portée des traitements, est préoccupante, parce que la progression des coûts rend problématique la survie des systèmes de santé. Mais des choix ont toujours été faits entre médicaments adaptés, « proportionnés » et des soins qui ne l’étaient pas. Cela fait des dizaines d’années que certains médicaments ne sont disponibles que si d’autres ne sont pas ou plus efficaces. Mais il est vrai que la situation actuelle est très complexe et difficile. Le comité national de bioéthique s’est d’ailleurs penché sur cette question, il y a des pistes possibles.

Lesquelles ?

Les médecins doivent désormais se préoccuper des coûts, ce qui est une évolution du mode de pensée. Ainsi, des médicaments ciblés très chers ne devraient être remboursés que s’ils sont accompagnés de tests qui permettent de savoir à l’avance s’ils seront efficaces ou pas. Il faut aussi reconnaître que certains médicaments offrent en réalité une progression modeste. Certains anti-cancéreux ne permettent de gagner que quelques semaines de survie. Est-ce raisonnable de dépenser des fortunes sans apporter de changement radical au patient ? Des outils comme la réévaluation annuelle des contrats avec l’industrie pharmaceutique sont des moyens de contrôle utile qui devraient être développés pour empêcher le dérapage des coûts auquel on assiste. A l’origine, c’est la conséquence d’une bonne nouvelle, la possibilité de soigner des maladies dont on a découvert le mécanisme d’action très complexe. Mais il faut aussi regarder en face que certains médicaments ne tiennent pas les promesses annoncées. Et donc renoncer à leur emploi. En l’expliquant au patient.

Mais dans un pays comme la Belgique, le patient ira dans un autre hôpital.

C’est une des difficultés à laquelle nous sommes confrontés. C’est pourquoi je plaide pour le développement de centres de référence pour des maladies, qui seraient seuls habilités à employer certains médicaments qui demandent une expertise d’excellence. On ne peut continuer à faire tout dans tous les hôpitaux sans mener à un certain gaspillage des ressources. Or, nous n’en avons clairement plus la possibilité.

FRÉDÉRIC SOUMOIS

«Les producteurs nous prennent en otage»

Temps de lecture: 2 min

Pour Raf Mertens, patron du KCE, centre fédéral d’expertise des soins de santé, organisme chargé de conseiller les pouvoirs publics pour les soins de santé et à l’assurance-maladie, mais qui répond ici à titre personnel, il faut absolument « mettre fin à l’actuelle surenchère ». Evoquant notamment la saga du petit Viktor, atteint d’une maladie orpheline et dont la révélation du cas dans la presse avait servi à la firme productrice d’un médicament à imposer un prix record, Mertens parle de « caricature de la situation actuelle ». « On peut certes se demander quel remboursement privilégier entre un médicament qui donne du confort au patient ou un autre qui prolonge sa vie, mais si le médicament fait les deux, que choisir ? On est pris en otage. Or, la santé n’est pas un secteur commercial comme les autres. Le patient est déresponsabilisé parce que c’est l’Etat qui paie, le médecin aussi parce que c’est l’Etat qui paie, la dissymétrie de l’information disponible est majeure entre le producteur du médicament et les pouvoirs publics. Et les politiques sont pris en otage d’une opinion publique qui peut difficilement entendre qu’on va renoncer à des médicaments dont on dit qu’ils peuvent sauver des vies. Cette situation de monopole de fait n’est pas tenable ».

Pour le spécialiste des soins de santé, la solution n’existe que dans des négociations au plus haut niveau avec les firmes pharmaceutiques, « afin qu’elles acceptent un niveau certain mais correct de bénéfices, mais qu’elles renoncent à fixer des prix qui sont sans commune mesure avec les coûts du développement du médicament. Il faut que les mentalités changent. La ministre de la Santé Maggie De Block a lancé une expérience de négociation conjointe avec les Pays-Bas, afin d’avoir davantage de force. Cela intéresse déjà l’Autriche et le Luxembourg. En fait, c’est toute l’Europe qui devrait avancer ensemble. Mais Grande-Bretagne, Allemagne et France, par exemple, désirent toutes négocier des remises secrètes sur les médicaments. Il faut sortir de ce colloque singulier et secret si l’on veut briser le poids de ce monopole de fait sur les médicaments qui grève davantage chaque jour les comptes de la Sécu. D’accord pour le business, mais avec des marges qui doivent rester raisonnables. Il faut un nouveau modèle ».

Fr.So

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