«Je prends de la distance pour préserver mon optimisme»

J’ai 71 ans, ça suffit, je vais cultiver des tomates sur une île grecque. J’y ai une petite maison depuis 2 ans et j’apprends le grec. » Daniel Scahaise largue les amarres et avec Œdipe Tyran , il tire le rideau sur les Martyrs où Philippe Sireuil vient d’être désigné pour lui succéder… Mais aussi sur le théâtre. « Je ne suis pas un vieux misanthrope, mais je ne trouve plus ma place dans le monde dans lequel on vit, ni dans le théâtre. Ici, tout est devenu compliqué. Et quand on vous dit que Les Cahiers du retour au pays natal de Césaire c’est de la poésie intellectuelle, qu’il faut des projets innovants…, que répondre ! J’ai toujours cru que faire du théâtre c’était tenter de tirer les gens vers le haut, de les faire réfléchir, dit celui qui a voulu mettre ses pas dans ceux de Jean Vilar et ne peut imaginer le théâtre que comme un service public. Et puis, j’ai envie de commencer une nouvelle vie, de vivre simplement, je suis un actif contemplatif. Je peux rester trois heures à regarder la mer. Et je prends de la distance pour préserver mon optimisme. Je n’ai pas envie de jouer les belles-mères auprès de mon successeur. Et si je reste ce sera inévitable » ! Il a les pieds sur terre, Scahaise, avec humour et humeur (parfois sarcastique) et une allure d’ours roublard qui masque une sensibilité et une vraie culture, et pas seulement théâtrale. Entre les Atrides et Hamlet, Dumas et Koltès, James Ellroy trouve sa place et l’opéra aussi. Pour ce fils d’un militaire de carrière, d’un milieu modeste, le théâtre s’est révélé dès l’athénée et à l’Académie d’Anderlecht au cours de Paul Florian. « Cet homme avait une troupe, le Méridien, on y faisait de tout. Il m’y a engagé. C’est peut-être bien la source première de mon Théâtre en liberté – un collectif où chacun assume une part de travail en plus d’être comédien, à salaire égal. Aujourd’hui, après 20 ans, plus de la moitié de ma troupe est encore là, dont les membres fondateurs » . Fierté et émotion. Tout en tâtant des planches, Daniel Scahaise suit des études d’architecture, le temps de se passionner pour la scénographie. Décorateur des uns, assistant des autres, au Théâtre des Quat’ Sous, au Parc, aux Galeries où il croise la route de Louis Boxus et Jo Dua : « mes maîtres en mise en scène ». Et c’est aussi aux Galeries que Jean-Pierre Rey lui confie sa véritable première mise en scène : Macbeth , avec Roger Van Hool. Daniel Scahaise travaillera aussi en Flandre avant d’abandonner le côté « mercenaire » de théâtre et de devenir son propre maître. Théâtre en Liberté est né, une troupe généreuse – une vingtaine de comédiens — pour un théâtre populaire (au sens noble du terme), qui a joué notamment sous chapiteau (mémorable Trois mousquetaires ), dans le métro et deux ans au Vaudeville (Galeries royales Saint Hubert) : « la plus belle époque , se souvient-il : on était jeune, plein d’enthousiasme, on prenait des risques ! Je rêvais de stabiliser l’état de la salle, quelque chose qui ressemblerait aux Bouffes du Nord à Paris. Mais le Conseil d’administration avait d’autres ambitions. Et puis le ministre Didier Gosuin m’a proposé la Place des Martyrs, en 1998. Et j’y ai alors lancé plusieurs compagnonnages, pour contrer le côté éphémère du théâtre. Je pense très fort que les pierres prennent les vibrations des choses, des gens qui sont dedans. Je crois qu’ensemble, on est arrivé à donner une âme aux Martyrs. J’en suis heureux. »

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