Philippe Jaroussky «Comment résister au plaisir de chanter Bach?»

Sa voix fait frissonner de bonheur les auditeurs du monde entier. Philippe Jaroussky aurait pourtant pu devenir violoniste ou pianiste s’il n’avait décidé, à 18 ans, de développer un talent peu courant : une voix de tête lui permettant d’interpréter le répertoire des grands castrats du passé (Farinelli, Carestini). Devenu une référence dans l’interprétation de la musique baroque italienne et française, il change aujourd’hui de direction avec un disque Bach-Telemann qui fait beaucoup parler de lui. Et une tournée internationale qui s’arrête à Bruxelles le 29 janvier prochain. Le contre-ténor nous explique les ressorts d’un tournant dans sa carrière. [scald=2574348:sdl_editor_representation] Pourquoi avoir décidé de chanter en allemand ? J’avais déjà chanté dans des Passions ou la Messe en si de Bach, mais je me suis dit que le moment était judicieux d’aborder ce répertoire en profondeur. J’ai appris cette langue à l’école et je la parle volontiers. Mais la qualité des compositeurs demeure ma première justification. On ne peut pas résister au plaisir de chanter Bach. Mais vous l’associez d’emblée à Telemann ? Oui, car ce sont des personnalités très différentes et leur rapprochement les enrichit mutuellement. On a un peu trop tendance à considérer Telemann avec une certaine condescendance alors que c’était un musicien doté d’un métier impressionnant, un grand artisan de son art, capable de traiter au même niveau d’excellence les sollicitations les plus variées. On retrouve chez lui le côté prolixe de certains Italiens comme Alessandro Scarlatti, dont les pages sont toujours bien faites, toujours intéressantes mais pas vraiment géniales. Même si certains extraits de la Brockes Passion sont en tout point dignes des pages de Bach. Face aux cantates, Telemann joue habilement de leur théâtralité, Bach pense en dramaturge. Justement, comment avez-vous abordé Bach ? Je crois qu’il y a deux approches : ceux qui se sentent naturellement à l’aise avec sa musique et les autres, dont je suis, qui l’assimilent selon un plus long processus. Il faut dire que son écriture est complexe et exigeante. Je me sens donc constamment à la recherche d’une perfection impossible, mais cet effort nourrit aussi l’imagination du chant. [scald=2574349:sdl_editor_representation] Comment la critique juge-t-elle votre allemand ? Plutôt bien. Les avis ont été plus favorables en Allemagne qu’en Espagne ! Chanter une langue, c’est aussi en assimiler les couleurs et le legato. Alors, quand on veut trop bien faire, on exagère. Ce qui est important, c’est que le public comprenne les mots que vous prononcez. Ma voix très claire constitue un atout, mais elle ne me pardonne par contre aucun dérapage. C’est aussi un texte en vieil allemand, qui n’est pas celui de Goethe ou de Schiller. C’est tout à fait vrai et beaucoup d’Allemands ne le maîtrisent pas eux-mêmes parfaitement. Il n’empêche qu’avec un génie comme Bach, tout est écrit dans les notes. La musique explique une perfection dans la compréhension des choses. Comment est née l’idée de ce disque et de ce programme de tournée ? Je me suis beaucoup consacré à la musique de l’opera seria, particulièrement de l’école napolitaine avec ses florilèges de couleurs et sa jouissance sonore. J’aime faire des choses différentes et voulais regarder vers des musiques dont le but n’était pas seulement de mettre en valeur la voix. Comment définiriez-vous l’apport du Freiburger Barockorchester ? Il est essentiel car ils jouent cette musique dans leur propre arbre généalogique. On avait déjà fait une tournée ensemble et je rêvais d’enregistrer un disque avec eux. Ce programme Bach-Telemann s’est alors imposé comme une évidence. Ils n’avaient jamais entendu Bach chanter avec cette couleur de voix, mais ils se sont très vite adaptés et m’ont aidé à trouver les bons réflexes. Nous avions l’impression de faire de la musique avec la même sensibilité. On travaillait sans chef, de sorte qu’une intimité s’est créée avec chacun des instrumentistes comme si on faisait de la musique de chambre. Mais l’important demeure que notre travail touche l’auditeur d’aujourd’hui, c’est-à-dire un citoyen du XXIe siècle. Bio express 1978 Naissance le 13 février à Maison-Laffitte. 1989 Commence à 11 ans des études de violon et, ensuite, de piano. 2009 Publie « Opium », un récital de mélodies françaises. Il consacre plusieurs CD au répertoire des grands castrats (Farinelli, Carestini) et devient une référence dans l’interprétation de la musique baroque italienne et française. 2016 Publie chez Erato « Sacred Cantatas », son premier enregistrement en allemand consacré à des cantates de Bach et Telemann. [scald=2574347:sdl_editor_representation]

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