Leif Ove Andsnes «Schubert emmène dans l’indicible»

Du 1er au 4 février prochain, Leif Ove Andsnes et Matthias Goerne interprètent au Palais des Beaux-Arts les trois grands cycles de lieder schubertiens. Un triple voyage au cœur de l’intimité schubertienne dont se réjouit le pianiste norvégien, interprète renommé du compositeur viennois. Andsnes nous explique la portée de l’événement et le resitue dans son travail actuel. Que représente pour vous cette collaboration avec un chanteur ? C’est une relation très naturelle sans aucune idée de conflit, comme vous pourriez en avoir une avec un orchestre dans un concerto. C’est un type de collaboration qui date de mes années de conservatoire, quand j’avais 17-18 ans. C’est aussi pour le pianiste un écolage du son, une façon de comprendre que son instrument n’est pas le plus humain : après tout, il est produit par des marteaux ! Alors que la voix est l’expression immédiate du corps du chanteur. Le pianiste apprend alors à apprécier des éléments clés de l’expression musicale : le sens des espaces et des intervalles, celui des respirations, le poids des silences. Quel répertoire préférez-vous ? J’adore le monde du lied chez Schubert et Schumann : ce sont des univers qui me sont indispensables autant par leur diversité que par leur concentration. Chez Schubert, Die schöne Müllerin et Winterreise sont des voyages qui vous emmènent dans l’indicible. Quand j’ai joué le dernier lied, j’ai l’impression d’avoir perdu mes notions de temps et d’espace. Je disparais littéralement derrière la musique. Que représente une telle performance pour un pianiste ? L’effort exigé est immense. Pensez que vous êtes sur scène pour 70 minutes sans interruption. Il n’existe aucune œuvre pour piano qui vous impose une telle exigence. Ce n’est pas que ces pages soient virtuoses, mais vous ressentez un plaisir de jouer de chaque instant. J’ai joué Schubert avec Ian Bostridge, qui est un ténor. Un baryton grave comme Goerne développe une voix plus profonde ; il faut donc lui laisser le temps de résonner. Et pourtant le tempo n’est jamais un problème car le piano rentre instinctivement dans la démarche de la voix. En réalité, c’est la voix qui définit chaque fois le tempo exact. Aviez-vous déjà travaillé avec Matthias Goerne ? Juste pour un Winterreise à Leipzig, qui s’est révélé être une expérience extraordinaire. Goerne a une expérience fabuleuse de ces musiques, mais il reste néanmoins toujours des subtilités nouvelles. C’est pour cette raison qu’il adore travailler avec des pianistes différents (NDLR : son cycle Schubert chez Harmonia Mundi est enregistré avec un pianiste différent pour chaque CD). Un peu comme moi qui aime jouer avec des chefs qui ont de vraies convictions sur les concertos qu’ils interprètent. Quels sont vos prochains projets ? Je sors d’un long cycle Beethoven, qui est quelque chose que l’on n’entreprend pas souvent dans une vie. J’ai donc décidé de continuer mon voyage à travers les concertos de Mozart, et notamment le 22e K 482, et de m’intéresser à des œuvres sous-estimées comme le 4e concerto de Rachmaninov, celui de Britten et la Fantaisie de Debussy qui est injustement ignorée. Au disque, je reviendrai à Chopin pour les Ballades et quelques nocturnes, mais l’essentiel sera sans doute mon CD consacré à la musique pour piano de Sibelius. Le choix est immense mais, en faisant une juste sélection, on peut proposer un programme qui vaut bien les plus grandes pages symphoniques.

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