La vie d’artiste: «Tu te tais et tu continues»
Réagissant à nos questions, la comédienne Valérie Bauchau nous a aussi livré ce récit édifiant de la réalité quotidienne de la vie d’artiste.


« Tu as répété, le spectacle a lieu, tu es heureuse (ou pas). Tu l’aimes et il rencontre le public (ou pas). Dans le premier cas, on te demande de bloquer 2 ou 3 mois pour faire tourner le spectacle la saison suivante (ou celle d’après). Tu es ravie, tu aimes le spectacle et lui donner une vie c’est génial. Tu bloques ces 3 mois dans ton agenda. Tu es contente, il y a déjà quelque chose de prévu dans le grand avenir incertain. Entre-temps un directeur de théâtre ou un metteur en scène t’appelle pour te proposer un autre projet. A cause d’un mois (ou plus, ou moins) où les dates se chevauchent, tu dois refuser. Tu vérifies quand même auprès des premiers si la tournée est confirmée. “Oui, oui”, te dit-on !, “et ne nous fais pas faux bond !” Tu confirmes donc ton refus. Le directeur ou le metteur en scène est souvent vexé, il t’en veut de ne pas l’avoir préféré, son ego en prend un coup, pas sûr qu’il te rappellera encore… Tant pis, tu as choisi la fidélité. Tu trouves ça normal. Tu es fière de ton intégrité. La fameuse tournée de 3 mois arrive : 10 dates (ou plus ou moins) réparties sur la période. Tu n’es plus mensualisée. “On ne peut pas te mensualiser pour 10 dates tu comprends ?” Non tu ne comprends pas mais tu n’as rien à dire, c’est trop tard. Tu toucheras donc en 3 mois, 10 x 200 euros/brut (et tu t’es battue pour avoir ce chiffre-là parce qu’on t’a quand même d’abord proposé 120 euros/brut par représentation) et les autres jours seront pris en charge par le chômage (toujours 39 euros/jour). Tu as des grands trous dans ton agenda. C’est trop tard pour les remplir. Toutes les distributions sont faites. Tu vas faire des castings. C’est super tu en décroches un. Quelle joie, le scénario est génial et le rôle intéressant (très rare). OK tu vas le faire ! Là, une fois sur deux tu entends : “tu comprends c’est un projet étudiant, il n’y a pas d’argent” ou “c’est un projet RTB, les moyens sont très serrés, on peut te proposer un RPI”.
Tant pis, tu vas le faire quand même parce que le scénario, parce que le rôle, et surtout parce que c’est ton métier et que tu ne vis pas si tu ne le pratiques pas. Généralement, comme par magie, c’est à ce moment-là que tu reçois une lettre de l’Onem pour te convoquer pour voir “si tu fais bien toutes les démarches pour obtenir un travail”… Tu te retrouves devant Chantal, qui ne comprend rien au statut d’artiste et ne comprend pas pourquoi tu as des jours de chômage et qui pense que peut-être tu serais bien une de ces assistées profiteuses. Ce jour-là tu as envie de mettre une bombe dans tous les bureaux : ceux de l’Onem mais aussi ceux des employeurs, des diffuseurs, ceux qui n’auront aucune répercussion financière et morale de leur inconséquence. Mais si tu te fâches, tu vas passer pour une chieuse, ça, on n’a pas besoin ! N’oublie pas que tu es très remplaçable ! Donc tu te tais, tu remets ton sourire, ton enthousiasme et ta foi sur la furie qui s’était réveillée un instant et tu continues… »
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S'identifier Créer un compteQuelques règles de bonne conduite avant de réagir1 Commentaire
J'ai adoré ces articles car je suis fana de théâtre et tous spectacles et me suis souvent demandé "comment ils en sortaient". Que d'humiliations! Dommage que vous n'ayez pas saisi l'occasion (comme le Vif de cette semaine!) pour ré-expliquer le Revenu Universel de Base: je suis une passionnée de ce sujet que je défends...depuis les années 1990 en pensant PRECISEMENT aux artistes, créateurs en tous genres qui ne peuvent pas vivre de leur "art" ou de leurs dons n'ayant pas le minimum vital....