7 Octobre 2001 : «Les talibans sous le feu»

Au lendemain des premières frappes anglo-américaines contre l'Afghanistan des talibans, le monde s'est réveillé dans une sourde inquiétude. Dimanche donc, peu avant 21 heures (heure locale), les Etats-Unis ont lancé avec l'aide de la Grande-Bretagne une cinquantaine de missiles de croisière sur, selon George Bush, les camps d'entraînement terroristes et les installations militaires des talibans (lire «Texto» ci-dessous). Ces derniers subissent les foudres américaines en raison de leur complicité alléguée avec l'ex-Saoudien Oussama Ben Laden et son réseau Al-Qaida, accusés d'avoir fomenté les attentats antiaméricains du 11 septembre. De premières indications étaient enfin disponibles ce lundi matin. Disponibles mais contradictoires. Ainsi, alors que Jack Straw, le ministre britannique, estimait que les frappes avaient causé des dommages considérables , car elles avaient été très efficaces bien que proportionnées (avec l'objectif d'éviter le maximum de victimes civiles ), en face, les talibans annonçaient ce matin vingt tués : les roquettes ont été tirées vers des lieux d'habitation et ont principalement touché des civils, a dit l'ambassadeur à Islamabad. Il s'agit d'une attaque contre le monde musulman, a-t-il ajouté. Depuis dimanche, les Américains ne cachent en tout cas plus que l'un de leurs buts est la chute du régime ultra-islamiste des talibans. Nous devons créer les conditions d'un effort soutenu, qui aidera les forces du pays opposées aux talibans, opposées à Al-Qaida, a ainsi déclaré le secrétaire à la Défense, Donald Rums- feld, qui n'a cependant pas indiqué si un soutien militaire sur le terrain entrait dans les projets américains. Dès dimanche soir, l'ambassadeur taliban au Pakistan déclarait que les frappes de dimanche n'avaient tué ni Mohammed Omar, chef des talibans, ni Oussama Ben Laden. Al-Jazira, la chaîne arabe de télévision par satellite, avait de son côté ajouté un nouveau scoop à son palmarès, en diffusant dimanche soir une interview pré -enregistrée d'Oussama Ben Laden, dans laquelle le milliardaire réfugié quelque part en Afghanistan se montre fidèle à sa réputation: se félicitant des attentats du 11 septembre sans ouvertement les revendiquer - l'Amérique a été atteinte dans son point le plus vulnérable -, l'homme s'est fendu de menaces dont il a le secret. Je jure par Dieu que l'Amérique ne connaîtra plus jamais la sécurité avant que la Palestine ne la connaisse et que toutes les armées occidentales athées ne quittent les terres saintes (de l'islam), a-t-il dit. Un de ses adjoints a, lui, lancé un appel aux musulmans: La confrontation a commencé. C'est la guerre décisive entre la foi et l'athéisme. Vous avez à choisir votre camp. Le Pakistan, pays voisin qui contribua à mettre sur pied le régime des talibans, craint une déstabilisation. Son président, le général putschiste Musharraf, a choisi le camp des Alliés, bien qu'une partie de la population marque une sympathie pour les talibans. Ce lundi matin, il a tenu une longue conférence de presse pour donner quelques explications: Le Pakistan a prêté aux alliés son espace aérien mais pas son sol, a-t-il dit, évoquant des assurances américaines d' opérations courtes et ciblées . Plusieurs pays, en Europe et au Proche-Orient, ont annoncé dimanche un renforcement de leurs mesures de sécurité Alors que le président pakistanais a dit craindre l'anarchie en Afghanistan et qu'il a annoncé la fermeture des frontières aux réfugiés qui affluent, des manifestations de soutien aux talibans avaient lieu dans plusieurs villes pakistanaises. Du côté des Alliés, l'opération baptisée «Liberté immuable» semblait faire l'unanimité. La Grande-Bretagne a participé aux premières frappes, alors que l'Allemagne, la France et la Belgique marquaient leur approbation. Enfin, plusieurs pays, en Europe et au Proche-Orient, ont annoncé dimanche soir un renforcement de leurs mesures de sécurité, peu après l'annonce du déclenchement des bombardements américains sur l'Afghanistan. Des mesures de sécurité supplémentaires ont aussi été mises en place à New York. Dans la deuxième ville des Etats-Unis, Los Angeles, les forces de police ont été placées en état d'alerte. RÉTROACTES Un pays à l'histoire chaotique depuis le renversement de la monarchie en 1973 Juillet 1973. Le prince Mohammed Daoud, ancien Premier ministre pro-soviétique (1953-1963), renverse son cousin le roi Zaher Shah qui s'exile en Italie. Il proclame la république dont il deviendra le premier président. Avril 1978. Daoud est tué dans un coup d'Etat appuyé par Moscou. Mohammed Taraki devient chef de l'Etat. 27 décembre 1979. Les Soviétiques envahissent l'Afghanistan, exécutent Hafizullah Amin qui s'était emparé de la présidence trois mois plus tôt et installent Babrak Karmal au pouvoir. Mai 1986. Démission de Karmal, remplacé par le chef de la police secrète Mohammed Najibullah. Mai 1988. Début du retrait, qui s'achèvera en février 1989, des troupes soviétiques, vaincues par les moudjahidin soutenus par les Etats-Unis. La guerre a fait environ 1,5million de morts et entraîné l'exode vers l'Iran et le Pakistan de quelque cinq millions d'Afghans. 1989-1992. Lutte entre les moudjahidin et le gouvernement communiste de Najibullah, qui se retire en avril 1992. Il est remplacé par Burhanuddine Rabbani, un modéré soutenu par le commandant tadjik Ahmed Shah Massoud. 16 avril 1992. Démission de Najibullah, qui met fin au régime communiste au pouvoir depuis 14 ans mais ouvre une guerre civile entre moudjahidin, divisés en factions ethniques et régionalistes. Mai 1992. Le commandant Massoud du Jamiat-e-Islami (un parti islamiste modéré) devient ministre de la Défense. Le mois suivant, le Tadjik Rabbani, chef du Jamiat, est nommé président intérimaire avant d'être élu président en décembre. Mars-mai 1993. Accord de paix entre les factions rivales prévoyant un partage du pouvoir. Massoud accepte d'abandonner son portefeuille de la Défense. Mise en place d'un gouvernement dirigé par Gulbuddin Hekmatyar (Pachtoun, ethnie majoritaire), chef du Hezb-e-Islami (fondamentaliste). Octobre 1994. Apparition sur la scène afghane de la milice islamique des talibans soutenus par le Pakistan. En moins d'un an, ces «étudiants en théologie» qui veulent imposer la charia, la loi islamique, contrôlent la moitié sud du pays. Mai 1996. Hekmatyar et Massoud s'entendent sur la composition d'un gouvernement dont Hekmatyar devient Premier ministre le 26 juin. 27 septembre 1996. Les talibans s'emparent de Kaboul, exécutent Najibullah et instaurent un «système islamique complet». Les talibans ferment les écoles pour filles, interdisent le travail des femmes et rétablissent les châtiments islamiques. Octobre 1996. Accord d'assistance militaire entre plusieurs factions afghanes - le communiste ouzbek Abdul Rachid Dostam, le Tadjik Massoud et le Hezb-e-Wahdat de Khalili (chiite pro-iranien). Cette opposition contrôle le nord du pays. 24 mai 1997. Avec l'aide du général Abdul Malik qui a chassé le général Dostam, les talibans s'emparent de Mazar-e-Sharif, la «capitale» de l'opposition. Ils la perdront deux jours plus tard avec le revirement de Malik. 20 août 1998. Treize jours après un double attentat contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie (224 morts et quelque 5.000 blessés), les Etats-Unis bombardent des camps d'extrémistes musulmans visant, sans l'atteindre, le milliardaire islamiste Oussama ben Laden. Réfugié en Afghanistan depuis 1996, après le retrait de sa nationalité saoudienne, il est accusé d'avoir commandité les opérations terroristes. Septembre 1998. Les talibans contrôlent plus de 80 % du pays mais ne sont reconnus que par le Pakistan, l'Etat des Emirats arabes unis et l'Arabie Saoudite. 6 juillet 1999. Les Etats-Unis décident d'imposer des sanctions économiques au régime taliban. 14 novembre 1999. Entrée en vigueur des premières sanctions de l'ONU: embargo aérien et gel des avoirs du régime taliban à l'étranger. 3 novembre 2000. Accord entre les talibans et l'opposition pour des pourparlers de paix sous l'égide de l'ONU. 20 novembre 2000. Les talibans rejettent un plan de paix de l'ex-roi Zaher Shah, en exil à Rome depuis 1973. 20 décembre 2000. Nouvelles sanctions de l'ONU. 20 février 2001. Environ un million de personnes sont au bord de la famine, déclare l'ONU dont les bureaux à Kaboul doivent être fermés sur ordre des talibans. 1er mars 2001. Début du dynamitage des statues, y compris les célèbres bouddhas géants de Bamyan, ordonné par le chef suprême des talibans, le mollah Mohamed Omar. 9 septembre 2001. Massoud, le chef de l'opposition, est victime d'un attentat suicide à la caméra piégée, cinq mois après avoir été reçu à Paris, Strasbourg et Bruxelles. 11 septembre. Des avions de ligne détournés s'écrasent à New York et Washington, faisant au moins 6.807 morts ou disparus de 62 pays. Les Etats-Unis exigeront l'extradition de ben Laden, le suspect numéro un. 15 septembre. Annonce du décès du commandant Massoud. 20 septembre. Des centaines d'oulémas (responsables religieux) d'Afghanistan appellent les talibans à faire en sorte que ben Laden «quitte l'Afghanistan de son plein gré». Le président George W. Bush menace les talibans de partager le sort des terroristes s'ils ne livrent pas ben Laden immédiatement. 7 octobre. Le président Bush annonce que les frappes américaines ont débuté contre des camps d'entraînement des terroristes et des installations militaires des talibans en Afghanistan. (article paru le 8 octobre 2001)

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