Cela s’est passé un 27 février : «Renault-Vilvorde ferme : 3.100 emplois disparaissent»

(article paru le 28 février 1997) C'était il y a un an et demi à Barcelone. Devant la presse automobile mondiale, Louis Schweitzer, le P-DG de Renault, présentait la nouvelle Megane, appelée à être construite dans trois usines : Douai (France), Palencia (Espagne) et Vilvorde. Celle-ci avait été choisie comme usine pilote pour entamer la production du coupé Megane. Sensibles à cet honneur et aux 3 milliards investis peu de temps auparavant à Haren, les journalistes belges avaient quand même posé une question : Renault ne risquait-il pas, à court ou moyen terme, de délocaliser l'usine bruxelloise vers des pays où la production est moins chère ? Louis Schweitzer, tout en reconnaissant que les coûts de production à Vilvorde étaient les plus élevés des trois centres de production, s'était montré rassurant, disant se méfier des phénomènes passagers et des dévaluations dans le sud de l'Europe, avant d'évoquer l'importance des frais logistiques et la situation géographique favorable de la Belgique. Il a suffi hier, en fin d'après-midi, d'un communiqué officiel et d'une annonce dans la précipitation pour balayer ces considérations et le triple défi imposé il y a deux ans aux travailleurs de Vilvorde : construire une nouvelle chaîne, aménager l'atelier de carrosserie-montage et accepter une flexibilité accrue sous la forme de journées de 9 heures au lieu de 8 et de semaines de 3, 4 ou 5 jours selon la demande. Choqués, les délégués syndicaux ont essayé de comprendre la décision de leur employeur français en rejoignant les journalistes hâtivement convoqués dans un grand hôtel à Bruxelles. Mais Michel de Virville, le secrétaire général de Renault, n'avait pas grand-chose à ajouter au communiqué officiel qui fait état, pour justifier la fermeture de Renault Industrie Belgique en juillet prochain, d'une simplification majeure de l'appareil industriel. Concrètement, le groupe français va, dans les deux années à venir, redéployer sa production sur 7 sites au lieu de 12 actuellement. Une réorganisation qui n'aura aucune incidence commerciale en fonction d'une sous-utilisation de l'outil de production : à terme, 1.900 emplois équivalents suffiront pour reprendre la production des quelque 140.000 voitures assemblées actuellement en Belgique par 3.100 personnes. Si la décision prise en 1994 de ne pas construire en Belgique la future remplaçante de la Clio hypothéquait déjà l'avenir de Vilvorde, un autre élément a justifié la décision prise hier à la surprise générale, y compris de l'importateur Renault : la dégradation persistante des comptes de l'entreprise. Lors de l'assemblée générale annuelle, le 20 mars prochain, Louis Schweitzer devrait annoncer des pertes en 1996 de 24 à 30 milliards de francs belges. LA QUALITÉ DE LA PRODUCTION N'EST PAS EN CAUSE Reste une question : pourquoi l'usine de Vilvorde est-elle la première victime de la situation financière inquiétante de Renault ? La qualité de la production n'est pas en cause, a répondu avec insistance Michel de Virville. La décision ne concerne pas seulement la Belgique, mais l'ensemble de la logistique de Renault. Pour assurer l'avenir de l'appareil industriel, il faut produire mieux et moins cher. Ces propos, les délégués de Renault les avaient formulés avant-hier aux représentants des entités fédérales et régionales belges. Sans que ceux-ci aient davantage la possibilité de réagir que les représentants des travailleurs. Jean-Luc Dehaene, Premier ministre mais aussi habitant Vilvorde, ne put que faire part de sa consternation face à la décision brutale et unilatérale de la direction française de Renault. La mesure, de toute évidence, passe au-dessus de la tête des uns et des autres. Alors que la nuit tombait sur Vilvorde, des ouvriers dépités arrêtaient les chaînes et bloquaient toute sortie de véhicules de l'usine. Des mesures d'accompagnement social, on ne sait encore rien, et, si Renault se dit prêt à céder l'usine à un autre investisseur, personne ne croit guère à cette éventualité. Fierté de l'industrie belge, l'assemblage automobile risque de vivre très mal cette fermeture confirmant les temps difficiles annoncés il y a plusieurs années par Fabrimetal. Car, alors que la surproduction dans l'industrie automobile mondiale est déjà estimée aujourd'hui à 10 %, qui oserait miser à long terme sur le maintien d'une activité qui, jusqu'à hier, représentait 50.000 emplois directs, plus quelques dizaines de milliers de sous-traitants et d'emplois indirects grâce à cinq assembleurs : Ford-Genk, Opel-Anvers, Renault-Vilvorde, Volkswagen-Forest et Volvo-Gand ? En juillet, ils seront quatre. Et après ? La Belgique, pays roi de la construction auto ? La fermeture brutale de Renault Vilvorde est un signal d'alarme pour toute l'industrie de l'assemblage automobile en Belgique. La Belgique, on ne le sait pas assez, est le leader mondial de l'assemblage automobile par rapport à la population ! En 1995, 1.275.534 voitures et véhicules utilitaires sont sortis des cinq chaînes de montage de Ford, d'Opel, de Renault, de Volvo et de Volkswagen. Soit 128 voitures assemblées en moyenne par 1.000 habitants. L'Allemagne (57 véhicules), la France (60) ou le Japon (82) sont loin du score belge. Mieux encore : 97,5 % des véhicules produits en Belgique sont exportés. Notre pays pourra-t-il longtemps encore s'enorgueillir de ces scores flatteurs ? Une certitude : à court terme, le chiffre de production sera amputé de plus de 10 % si on se réfère aux 143.342 Renault Megane et Clio produites l'an dernier dans l'usine de Vilvorde. Même cons-tat pour l'emploi : sur les 53.500 personnes oeuvrant dans l'assemblage automobile, il faudra retirer les 3.100 travailleurs de l'usine de Vilvorde, plus les emplois indirects et les sous-traitants. Encore que ces derniers ne soient pas très nombreux : 80 % des pièces des Renault viennent de France. Une faiblesse qui caractérise, dans une moindre mesure, tout l'assemblage automobile en Belgique. Alors que le nombre de personnes dans le secteur de la fourniture est en général proche de celui employé dans les usines de montage, les sous-traitants automobiles belges n'occupent que 22.500 personnes. Mais ce manque d'emploi potentiel est peu de chose à côté d'un handicap majeur, l'absence de tout constructeur local. Dans les prises de décision au niveau international, les usines d'assemblage belges n'ont guère de poids auprès des décisionnaires. La restructuration de Renault le prouve à l'évidence : ce sont les implantations étrangères - Vilvorde, et, dans une moindre mesure, Palencia et Valladolid, en Espagne - qui vont souffrir du redéploiement progressif de la production du constructeur français sur 7 sites au lieu de 12. On dit chez General Motors que la fermeture de l'usine d'Opel à Anvers - heureusement, rien n'est prévu dans ce sens ! - ne représenterait qu'une perte momentanée équivalant à 5 % du chiffre d'affaires. Peu de choses pour des administrateurs observant la carte de Belgique au départ de Detroit ou d'ailleurs. Pour limiter les risques, la Belgique a bien essayé d'attirer d'autres constructeurs, notamment japonais, mais sans succès à ce jour : le dernier investisseur, Mitsubishi, a choisi Born, à quelques kilomètres du Limbourg belge, mais en Hollande. Ces dernières années, notre pays n'a pu qu'enregistrer l'installation de centres européens administratifs, techniques, voire de design à l'initiative de constructeurs américains ou asiatiques, en plus de pièces de rechange stockées dans une zone géographique favorable. La question, lancinante, se repose donc : quel avenir sera réservé aux quatre autres usines d'assemblage en Belgique ? La qualité de la main-d'oeuvre belge n'est plus un argument suffisant. Face à la mondialisation, à la délocalisation et surtout à une surproduction mondiale qui atteint déjà 10 %, les forces politiques et syndicales nationales ont peu de poids. Quelques milliers de familles l'ont brutalement appris hier soir. L'histoire d'amour franco-belge aura duré 90 ans C'était une belle et longue histoire d'amour entre la Belgique et Renault. On a cru qu'elle serait éternelle, comme une sorte de tradition. Pour les travailleurs de chez Renault, la surprise est totale : c'est un peu comme si l'atomium quittait le plateau du Heysel. Tout commence en 1908, époque à laquelle un importateur liégeois décide d'établir la première représentation de la marque dans la ville principautaire. Mais c'est en 1922, avec la création de l'Agence Belge des Automobiles Renault, que la réelle aventure commence. La marque au losange s'étend progressivement et s'établit pour la première fois hors de France. Louis Renault signe devant notaire, l'acte d'acquisition d'une propriété de 42.229 mètres carrés, sise à Vilvorde. Pas encore d'usine à cet endroit, mais un simple hangar qui allait servir de centre de distribution. La première unité de montage n'est construite qu'en 1935. La production n'a, évidemment, aucune mesure avec celle d'aujourd'hui : une centaine d'ouvriers fabriquent péniblement de cinq à six véhicules par jour. Un bombardement la détruit en 1943 et l'entreprise ne redémarre réellement que quatre ans après la libération. Les 340 travailleurs ne produisent encore que 2.000 véhicules par an mais, en deux ans, la production va tripler pour atteindre 6.000 voitures. Celle-ci n'a évidemment cessé de croître depuis, pour atteindre 178.000 unités en 1970. Les modèles les plus connus de la marque y ont été assemblés : la «Juva», la Dauphine, la Frégate, la R4 et la R5. 1982, grâce à un investissement de deux milliards, la robotisation fait son entrée à l'usine de Vilvorde. Chaque année, 36.000 camions et 11.000 wagons alimentent les usines de Haren-Vilvorde en pièce détachées. Inversément, sur 100 véhicules montés 90 prennent le chemin de l'étranger. Les «locomotives de la Régiey sont montées : la R9 et la R11. L'usine a bien changé depuis ses débuts : elle est parmi les plus productives du monde et elle assure 8 % de la production totale du groupe. En 1989, 183.359 voitures sont produites annuellement par 3.960 personnes. On y construit des Super cinq, des R21 et des Nevada. Renault possède alors 10,1 % des parts de marché dans notre royaume, se situant en quatrième position. Pourtant, la production diminuera progressivemment jusqu'à aujourd'hui pour se situer à 143.343 unités. Le personnel a suivi le mouvement : leur nombre chute de 900 travailleurs. Il en reste 3.098. Malgré cela, en 1994, l'entreprise se situe pour la première fois en position de leader dans notre pays en contrôlant 12 % du marché. Aujourd'hui, l'usine est spécialisée dans la production de véhicules de bas et de milieu de gamme (Clio, Mégane Berline et coupé). De 700 à 800 véhicules sortent tous les jours des chaînes de montage. On le voit, l'histoire de la firme française fut féconde pendant près 90 années de présence en Belgique. Alors, quand elle décide de divorcer, il reste un énorme sentiment d'amertume.

Votre compte

Cela s’est passé un 27 février : «Renault-Vilvorde ferme : 3.100 emplois disparaissent»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Wallonie: l’ajustement budgétaire permet d’éviter le pire

Les Belges à Roland-Garros: Zanevska sèchement éliminée au premier tour, Bonaventure à la lutte, les matches interrompus par la pluie (direct)

Ukraine: le soldat russe jugé pour crime de guerre vient d’être condamné

Le grand amour des Poutine pour Davos

Le salaire médian à Bruxelles dépasse les 3.300 euros

Info « Le Soir » Coronavirus: la Belgique va jeter près d’un demi-million de doses de vaccin

« Nos collaborateurs sont des empereurs, les clients sont rois »

6 Belges sur 10 sont de plus en plus sensibles à la politique climatique de leur emploi

« Nous donnons de la valeur aux idées et encourageons à les transformer en projets concrets »

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel