Politique internationale: la guerre contre le terrorisme
Depuis plus de 15 ans, les Etats-Unis et leur alliés européens mènent une guerre contre un grand ennemi invisible : le terrorisme. A la clef, de nombreux échecs.


Lorsque les attentats frappent la Belgique, le 22 mars 2016, les messages de soutien affluent de chaque gouvernement. Mais la réaction de la France détonne. Manuel Valls clame que l’Europe est en « guerre contre le terrorisme ». Une expression déjà martelée lors des attentats de Paris et qui a de quoi surprendre, d’après Barbara Delcourt, chercheuse au centre REPI de l’ULB : « Après les attentats du 11 septembre, les Européens en général ont tenté de se démarquer de la politique de Georges W. Bush en soutenant que la guerre contre le terrorisme ne fonctionnait pas et qu’il ne fallait pas réagir en termes militaires à ces problèmes, mais favoriser la coopération judiciaire et policière. Et puis, on a senti une sorte de rapprochement avec le discours néoconservateur américain. Quand la France a été touchée, tous les chercheurs ont été extrêmement frappés par la rhétorique martiale adoptée par François Hollande ».
Ce glissement, Barbara Delcourt l’attribue en partie à l’émergence et à la montée d’experts de la lutte contre terrorisme au sein de l’Union européenne et de certains États. « Ces personnages ont accumulé un savoir crédible, et sont capables de le vendre. Ils offrent en quelque sorte des solutions clé en main pour faire face à de nouvelles menaces, ce qui arrange bien les politiciens démunis », explique-t-elle. Mais ces experts, très médiatiques, favorisent une grille de lecture sécuritaire très manichéenne des conflits avec le camp du bien et celui du mal. L’ennemi, repris sous le terme de terrorisme, est déshumanisé ; seul le recours à la violence semble être en mesure de le vaincre. Dans ce contexte, la réaction de la France aux attaques terroristes s’est traduit, de façon très prévisible, par une intensification des frappes.
Mais pour Barbara Delcourt, la lutte contre le terrorisme est bien plus complexe qu’il n’y parait et ne pourra être résolue par quelques bombardements. « Le terrorisme recouvre des réalités très différentes. La violence telle qu’elle s’exprime en Afghanistan, en Syrie ou ici ne répond pas aux mêmes motivations et n’a pas la même ampleur. Faire une catégorie générique de tous ces acteurs est intellectuellement absurde et politiquement dangereux, car il est alors impossible de répondre adéquatement aux différentes situations », avertit la chercheuse. Pour elle, le terrorisme est un moyen et le label terroriste est avant tout un outil de disqualification qui n’aide pas à réfléchir en termes scientifiques et politiques. « Il faut abandonner une fois pour toutes l’expression de guerre contre le terrorisme, adapter les politiques à chaque acteur et chaque terrain et se poser les bonnes questions », plaide-t-elle.
« Si l’objectif est de protéger les citoyens belges et de leur procurer de la sécurité, est-il bien adéquat de déployer des F16 pour bombarder les zones en conflit dans la guerre anti-terroriste que mènent les Etats-Unis et la coalition ? », se demande ainsi la chercheuse. Pour elle, il s’agit d’une question à débattre de façon démocratique. « Or, aujourd’hui, ce débat est rendu particulièrement difficile, en raison des discours simplistes ou des postures dogmatiques renvoyant à des logiques de solidarité avec les alliés ou avec l’OTAN ».
Pourtant, les actions militaires entreprises ces quinze dernières années sont bien loin d’avoir donné les résultats escomptés : non seulement les conséquences pour les populations locales ont été désastreuses, mais elles n’ont pas permis d’arrêter la propagation de la violence, bien au contraire. « Partout, on fait face à des effets de cascades qui n’étaient pas du tout anticipés, à cause de ces grilles de lecture trop simplistes. On développe des stratégies et des opérations qui alimentent une violence à laquelle d’autres vont répondre par la violence. Il s’agit d’une sorte de cercle vicieux dont on ne connait pas l’issue », affirme la chercheuse, inquiète. Alors faut-il cesser d’intervenir à l’étranger ? Pour Barbara Delcourt, c’est une question qui mérite en tout cas d’être posée.
Militaires dans les rues
« Les militaires dans les rues servent à rassurer la population, à montrer que le gouvernement se soucie de la sécurité. Est-ce que c’est efficace ? Je n’en suis pas persuadée et je ne vois pas comment on pourrait prouver leur efficacité. Or, cette mesure a un coût et sur le long terme, elle banalise la présence militaire dans les rues pour des fonctions qui devraient être prises en charge par la police. On est face à un paradoxe : on envoie les policiers belges à l’extérieur dans des missions de maintien de la paix alors qu’on demande à nos militaires d’assurer la sécurité publique dans nos rues, ce qui est contraire à l’esprit démocratique. Les frontières entre professions et services de sécurité spécialisés deviennent floues et ce phénomène peut amener des dérives, potentiellement liberticides, auxquelles on doit, en tant que citoyen et chercheur, être particulièrement attentif », prévient Barbara Delcourt.
Lire à ce propos les analyses des chercheurs Sybille Smeets, Thomas Berns et Julien Pieret dans Carnets d’identités – chapitre Face à nos peurs.
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