Des musulmans ont le sentiment de ne pas être reconnus
L’après-attentat a montré que certains groupes ne se sentaient pas inclus dans la société. Un an après, les contacts inter-groupes continuent à manquer…

Il y a des crises qui sont salutaires. Laurent Licata en est convaincu. Chercheur du centre de recherche en psychologie sociale et interculturelle de l’ULB, il voit dans la crise que nous traversons suite au choc des attentats, l’opportunité de s’interroger sur la manière dont nous fonctionnons, dont nous définissons nos identités et le vivre-ensemble. « Une société, c’est quoi ? C’est un ensemble, composé de groupes divers – sociaux, politiques, culturels, religieux, etc. – qui partagent un objectif commun minimal : vivre en paix. Pour qu’elle fonctionne, il faut que ses différentes composantes se sentent acceptées et reconnues comme membres de la société », explique-t-il.
Certains ont le sentiment de ne pas être reconnus à part entière, se sentent méprisés, sous-citoyens
Or, la crise actuelle est l’occasion de se rendre compte que certaines parties de cet ensemble ne se sentaient pas incluses dans la société. « Ce sentiment est lié à la reconnaissance. On peut se dire exclu parce qu’il existe des inégalités sociales ou économiques, par exemple. On est là dans le concret. Mais on peut aussi se placer au niveau symbolique : certains ont le sentiment de ne pas être reconnus à part entière, se sentent méprisés, sous-citoyens. Il est essentiel de travailler sur les deux dimensions : concrète – des mesures contre les inégalités – et symbolique – les discours, les attitudes – «, souligne Laurent Licata.
Le chercheur prône le dialogue, impliquant les différents groupes de notre société, qui « permet d’entendre l’autre, de lui reconnaître un rôle actif dans un débat, en tant qu’interlocuteur de valeur », précise-t-il. « Cela implique un certain niveau de confiance, et nécessite d’ouvrir la possibilité d’être influencé par l’autre, comme dans tout dialogue ».
L’idée n’est guère neuve. Dans les années ’50 déjà, des chercheurs en psychologie sociale étudiaient les contacts inter-groupes comme une solution pour réduire les conflits.« Pour que cela fonctionne, il faut réunir plusieurs conditions », précise Laurent Licata, « les groupes doivent avoir des statuts équivalents ; ils doivent s’inscrire dans un contexte coopératif pour atteindre un but commun… Si on veut que cela mène à une réduction des préjugés, il faut que le participant soit individualisé tout en étant représentatif de son groupe. Sinon, les gens se disent qu’il est l’exception qui confirme la règle ».
Les recherches montrent également que, plus on nourrit de préjugés sur l’autre, plus on risque de tomber dans ce raisonnement de l’exception : je connais un tel qui appartient au groupe X mais, lui, il n’est pas comme les autres membres de son groupe… Sans oublier aussi que, plus on a de préjugés sur l’autre, moins on a de contacts avec lui (et réciproquement) : chacun se protège contre la possibilité-même de diminuer ses préjugés… Par conséquent, les discussions inter-groupes ne peuvent être simplement spontanées ; elles doivent être organisées. La crise suscitée par les attentats, paradoxalement, nous en donne l’occasion.
« Les recherches sur l’hypothèse du contact ont aussi montré que le soutien institutionnel est crucial. Ce travail en profondeur pourrait être facilité si nous recevions un discours clair d’en-haut, nous invitant à nous engager dans ce dialogue. Or, si la réponse sécuritaire est très saillante, en revanche, nous attendons toujours un appel à gérer la crise ensemble, en rassemblant les communautés, en créant du lien, en redéfinissant les identités, bref, en dialoguant », déplore Laurent Licata.
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