Faut-il s’inquiéter d’un retour du protectionnisme?

Guy Ryder : « Ce n’est pas la bonne réponse. Mais nous avons un problème » L’économie doit rester ouverte, plaide Guy Ryder. Mais l’économie globale a accru les inégalités : les outils politiques existent pour répondre à ce problème mais manque la volonté politique de les utiliser. Le libre-échange est attaqué. D’un côté, par les critiques de la mondialisation. De l’autre, par des leaders politiques du poids du nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump. Cela préoccupe-t-il votre organisation ? En effet. Nous faisons partie d’un système multilatéral, qui s’est engagé à promouvoir la croissance et le plein-emploi, via une économie ouverte, avec un système commercial ouvert. Je ne pense pas que l’Histoire retiendra l’argument selon lequel le protectionnisme ou la poursuite de politiques économiques nationalistes produiront plus d’emplois et de meilleurs emplois. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas de problème avec la façon dont l’économie globale fonctionne ces dernières années… Nombre de voix critiques disent que ce libre-échange sert actuellement avant tout les grandes entreprises transnationales… Oui. Il est un fait que nous avons vu les inégalités s’accroître au sein de nos économies et que le chômage a augmenté : il a franchi la barre des 200 millions de personnes. Depuis 2008 et la crise financière, on a assisté à une détérioration des conditions sur le marché du travail, avec les plus vulnérables qui, de manière générale, souffrent le plus. Il faut trouver des réponses à cela. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de questions à poser. Mais nous devons trouver les bonnes réponses. Qui sont ? Les bonnes réponses ne sont pas le protectionnisme, ce n’est pas l’isolationnisme. Il faut tout d’abord une coopération internationale, et pas des réactions nationalistes. Nous devons entreprendre des efforts coordonnés pour faire croître l’économie plus rapidement, et le G20 est un cénacle très bien placé pour faire cela. Il faut accorder davantage d’attention à des questions comme les salaires minimums, les procédures de négociations collectives. Il faut revoir la fiscalité, pour mieux redistribuer. Nous avons un arsenal d’instruments politiques à notre disposition. Ce qui compte réellement, c’est la volonté politique d’utiliser ces instruments. Et je dirais la même chose pour l’Europe. J’ai été encouragé au début de l’année lorsque la Commission européenne a annoncé son intention de construire un pilier social dans l’Union économique et monétaire. C’est une bonne nouvelle et je crois que M. Juncker va déposer des propositions prochainement. Mais de nouveau : les idées sont là, les options sont devant nous, la question est : y a-t-il une volonté politique en Europe, parmi les Etats membres, de franchir le pas ? C’est bien d’énoncer des bonnes pratiques mais il faut aussi les mettre en vigueur. Vous soulignez que vous faites partie du système multilatéral. Craignez-vous que les Etats-Unis, avec leur nouveau président et son « America First », puissent se retirer de l’OIT ? C’est probablement actuellement la question la plus fréquemment posée à Genève ! Je dois être très clair : nous n’avons pas de signaux du gouvernement des Etats-Unis au sujet d’une quelconque intention à ce sujet, et je suis en contact permanent avec leurs diplomates en poste ici à Genève. Nous sommes dans une situation quelque peu étrange avec le secrétaire au Travail qui n’a pas encore été désigné – il semble qu’il sera un des derniers à l’être ! Mais dès qu’un ou une secrétaire au Travail sera en place, je lui parlerai et nous ferons de notre mieux pour nous engager constructivement avec les Etats-Unis. Nous avons cette volonté de travailler avec les Etats-Unis, qui ont toujours occupé un rôle de leader dans notre organisation et sont, de façon si évidente, un acteur majeur dans un système multilatéral fonctionnel. Roberto Azevedo : « Attaquer le commerce est erroné. L’arrêter n’est pas la solution » Beaucoup de problèmes et de préoccupations auxquels nous sommes confrontés ne sont pas dus au commerce, juge Roberto Azevedo. Le libre-échange est attaqué. D’un côté, par les critiques de la mondialisation. De l’autre, par des leaders politiques du poids du nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump. Faut-il s’en inquiéter ? Beaucoup de préoccupations s’expriment concernant le commerce. Il flotte un certain sentiment anti-commerce, anti-mondialisation, et je pense qu’il faut y répondre. Parce que, la plupart du temps, attaquer le commerce est tout simplement erroné. Et arrêter le commerce n’est pas la solution. Cela aggraverait au contraire la situation. Beaucoup de préoccupations et de problèmes auxquels nous sommes confrontés ne sont pas dus au commerce. Le chômage, par exemple, dans les économies les plus avancées, est surtout dû aux nouvelles formes d’innovations, avec des nouvelles technologies, une productivité plus élevée. Huit emplois sur dix perdus dans les économies avancées sont la conséquence de ces facteurs, pas du commerce. Beaucoup de personnes disent que la globalisation sert beaucoup plus le marché que les citoyens. C’est en tout cas une impression largement répandue. Peut-être par manque de dialogue, de transparence. Qu’en pensez-vous ? Je pense que la communication est importante. Particulièrement dans ce débat, qui charrie une forte dose d’émotion, sans beaucoup d’informations soutenant ces arguments. La transparence, le dialogue sont fondamentaux. La société doit aussi avoir le sentiment qu’elle s’approprie le processus, qu’elle fait partie de la stratégie, quelle qu’elle soit. Cela aiderait à faire passer la bonne perception. Le rêve, en lançant la négociation d’un accord mondial de libre-échange à Doha (Qatar) en novembre 2001 sur les cendres des attentats du 11-Septembre, c’était d’ouvrir un vaste monde multilatéral. Ces pourparlers sont à présent enlisés. Dans ce marasme, les accords bilatéraux ont pris le relais – le désormais fameux Ceta entre l’Union européenne et le Canada en est le dernier exemple. Pour sa part, l’OMC devra vraisemblablement se concentrer sur son rôle d’arbitre des conflits commerciaux. Etes-vous préparés à cela ? Était-ce ce que vous souhaitiez ? L’OMC a toujours été un forum où les différends pouvaient être réglés. L’une des composantes principales de notre organisation est l’organe de règlement des différends. Les pays ont toujours eu des points de vue différents concernant leurs obligations, au sujet de leurs engagements, ils ont des interprétations différentes des accords conclus… Ce que nous faisons, c’est précisément d’essayer de dépolitiser ces divergences, pour éviter une escalade de la rhétorique, de la tension politique. Et nous traitons ces différends sous l’angle technique, du point de vue légal, avec une procédure judiciaire qui s’est montrée au fil du temps extrêmement efficace. Et si nous continuons à faire cela, beaucoup de tensions, beaucoup de problèmes potentiels, seront maîtrisés. Craignez-vous que les Etats-Unis sous la présidence « unilatéraliste » de Donald Trump puissent se retirer de l’OMC, surtout si nombre de différends sont soumis à votre examen, en raison des politiques protectionnistes de la nouvelle Administration américaine ? Je n’ai pas d’indication que cela serait le cas, à ce stade. J’ai entendu qu’ils ont des préoccupations, qu’ils ont même des préoccupations quant au fonctionnement de l’organisation ou des bénéfices que l’organisation engendrerait pour les Etats-Unis, et cela est légitime. Bien, voyons quelles sont ces préoccupations et voyons si elles peuvent être résolues, d’une façon ou d’une autre.

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